MAHOMET - Partie 1 : Avertissement pour la présente édition
Photo de PAPAPOUSS
M A H O M E T,
TRAGÉDIE EN CINQ ACTES,
REPRÉSENTÉE SUR LE THÉÂTRE FRANÇAIS, A PARIS,
LE 29 AOUT 1742.
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AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.
Cette tragédie doit être placée au même rang que Brutus : c’est le Tartufe de Voltaire. Elle fut composée en même temps que Zulime, Mérope, Pandore et la Prude, de 1739 à 1741. C’est armé de Mahomet que, après huit ans de disgrâce, le poète-philosophe comptait rentrer dans Paris. Mais allait-on laisser jouer cette satire religieuse ? Il dut ruser.
Aux dames, aux seigneurs, aux ministres, aux jésuites, au cardinal même qui gouvernait, il fit réciter par fragments sa terrible tragédie, mais tout bas, à l’oreille, en confidence, si bien qu’un jour tout le monde demanda à voir ensemble ce qu’on avait entendu à part, et l’approbation ne se marchandait déjà plus, quand la retraite subite du premier acteur de la Comédie, Quinault-Dufresne, arrêta tout. C’est alors que Voltaire eut l’étrange idée d’essayer sa pièce en province. Il se trouvait à Bruxelles avec Mme du Châtelet ; il n’était guère éloigné de Lille, où demeurait le mari d’une de ses nièces, M. Denis. Il vint à Lille et, sur le théâtre du lieu, il fit jouer son Mahomet en avril 1741. C’est une date que cette représentation, pendant laquelle on vit Voltaire se lever soudain de sa loge, papier en main, demander le silence au public, aux acteurs, et annoncer qu’à la minute même il recevait de Sa Majesté le roi de Prusse la nouvelle de sa victoire de Molwitz, le Sadowa du dix-huitième siècle.
Quel évènement que cette annonce ! Quel brusque changement de mœurs en même temps que de politique ! Le grand homme de lettres et le grand homme-roi apparaissaient de pair au public, tous deux unis dans la même besogne anticatholique et frappant à la même heure leur grand coup, l’un avec son armée, l’autre avec Mahomet.
Un an plus tard, l’ami du roi de Prusse obtenait de faire jouer sa pièce à Paris, malgré l’opposition de son rival en tragique, le vieux Crébillon ; mais, dès la troisième représentation, messieurs du parlement criaient au scandale, et leurs cris forçaient Voltaire à retirer sa pièce : « Allons, il ne me reste plus, dit-il, qu’à dédier Mahomet au pape. » On crut qu’il voulait rire ; mais, en 1745, paraissait une édition de la tragédie avec une lettre authentique du saint-père, lequel remerciait Voltaire de lui avoir envoyé Mahomet. C’était par une femme, Melle du Thil, et par un abbé, M. de Tolignan, qu’il avait eu l’oreille de Benoît XIV ; et par quel moyen avait-il endoctriné le vicaire de Dieu ? Par un moyen des plus humains : en caressant son amour-propre littéraire. La pièce fut traduite en italien, jouée devant les membres du sacré-collège, et bientôt après sur les théâtres publics de la Péninsule. L’exemple papal ne fit pourtant pas honte aux parlementaires jansénistes de France ; ils restèrent inflexibles ; et huit ans s’étaient écoulés, quand, les querelles du parlement et du clergé se renouvelant, les amis du poète (alors à Berlin) profitèrent de la bagarre, et un jour que le parlement s’était suspendu lui-même, Mahomet ressuscita au théâtre dans toute sa gloire (30 Septembre 1751.)
Au dix-huitième siècle, cette pièce s’affichait : Le Fanatisme ou Mahomet le prophète. Le véritable titre serait : La religion révélée.
GEORGES AVENEL.