VOLTAIRE, par ceux qui l'ont vu

Publié par Love Voltaire

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** Pour une meilleure compréhension, j’ai traduit ces lettres écrites en vieux français **

 

 

 

 

 

 

 

 

VOLTAIRE raconté par CEUX QUI L’ONT VU

 

Par  J.G. PROD’HOMME

 

 

 

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MAUREPAS AU LIEUTENANT DE ROI

 

AU CHATEAU D’AUXONNE.

 

 

 

3 Mai 1734.

 

         Le roi a jugé à propos de faire arrêter, et conduire au château d’Auxonne, Arouet de Voltaire ; vous voudrez bien me donner avis de son arrivée ; l’intention du roi est qu’il ne puisse sortir de l’intérieur du château sous quelque prétexte que ce soit : ainsi vous voudrez bien vous y conformer. (1)

 

 

 

 

1 – Fr. Ravaison, Archives de la Bastille, XII, P. 155, d’après une pièce des Archives nationales. Voltaire venait de laisser publier les Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises, écrites en 1726-1727 et déjà imprimées par Jore en 1731. Dans le registre du secrétariat de la maison du roi (Arch. Nat., 0178, p. 376), où cet ordre, daté du 2, est répertorié à la date du 6 seulement, on lit en marge : « Cet ordre n’a eu lieu. »

On avait laissé à Voltaire le temps de s’échapper. Il passa quelques jours à Monjeu (du 25 Avril au 6 Mai) et, à la fin de mai, il était réfugié à Bâle. Dans le même registre (p. 379), à la date du 16 Mai, on lit encore :

« Ordre pour mettre à la Bastille le S. Jore daté du 4. »

« Lettre à nouvel ordre. »

« Liberté. »

 

Il semble bien qu’on voulût tout d’abord étouffer l’affaire. Le 10 Juin, le Parlement condamnait le livre a être lacéré et brûlé. Voir, le factum (Mémoire) de Jore.

 

 

 

 

 

 

HÉRAULT A MAUREPAS

 

 

 

Juin 1734.

 

 

         Jore, fils imprimeur de Rouen ayant loué un appartement à Paris, à la Richard, dite Aubry, avec laquelle il était en liaison il fit de cet appartement un entrepôt pour les Lettres philosophiques et autres mauvais livres.

 

         L’avis m’en ayant été donné, j’envoyai faire une perquisition et on trouva un grand nombre de ces livres, mais comme la Aubry avait pris la fuite, je fis apposer les scellés de l’ordre du Roi et établir garnison pour la conservation d’iceux meubles et effets.

 

         Depuis, la femme Jore s’est présentée pour réclamer lesdits meubles et effets, et munie de la procuration et consentement par devant notaires de la Aubry de lever les scellés et la garnison, et je supplie Monsieur le comte de Maurepas d’en faire expédier l’ordre. (1)

 

 

1 – Ravaisson, Archives de la Bastille, XII, p. 253. Cette pièce paraît être postérieure à la suite. Nous n’avons pas retrouvé les originaux.

 

 

 

 

 

 

RAPPORT DE VANTEROUX

 

 

 

Juin 1734 [vers le 13].

 

 

         M. Hérault souhaite prendre un ordre du roi en séance, à l’effet de se transporter, avec un commissaire au Châtelet, dans une maison et appartement occupés par la demoiselle Aubry, maîtresse de Jore, libraire de Rouen, et en cas qu’il n’y ait personne dans l’appartement, faire faire ouverture des portes, saisir et enlever les écrits et imprimés prohibés, et entre autres les Lettres philosophiques de M. de Voltaire, dont il s’y est trouvé un grand nombre, et autres imprimés défendus, apposer les scellés sur les effets qui sont dans ladite maison, et établir garnison pour la garde d’iceux, ce qui a été exécuté en vertu de l’ordre du roi anticipé en date du 8 Juin 1734. (1)

 

 

1 – Ravaisson, Archives de la Bastille, XII, p. 158 (Bibliothèque de l’Arsenal) : Ravaisson orthographie Vanneroux le nom de l’auteur de ce rapport ; ailleurs, dans son ouvrage, il imprime Vanteroux.

Dans le registre de la Maison du roi (0178, p. 395), on lit, à la date du 13 Juin, un « ordre au S…… de se transporter chez la Demoiselle Aubry ».

 

 

 

 

HÉRAULT A VOLTAIRE

 

 

 

2 Mars 1735.

 

 

         Son Eminence et M. le Garde de sceaux m’ont chargé, monsieur, de vous mander que vous pouvez revenir à Paris lorsque vous le jugerez à propos. Ce retour a pour condition que vous vous occuperez ici d’objets qui ne donneront plus aucun sujet de former contre vous les mêmes plaintes que par le passé ; plus vous avez de talent, monsieur, plus vous devez sentir que vous avez et d’ennemis et de jaloux. Fermez-leur donc la bouche pour jamais par une conduite digne d’un homme sage et d’un homme qui a déjà acquis un certain âge. Vous savez combien je désire encore de vous prouver dans toutes les questions que j’ai l’honneur, etc… (1)

 

 

1 – Léouzon-Leduc, Voltaire et la police, II, p. 95, cf. Moland, XXXII, lettre n° 468. Voltaire ne tarda pas à revenir à Paris.

 

 

 

 

LE CONTROLEUR GÉNÉRAL A HÉRAULT

 

 

Dimanche matin, 10 juin 1736.

 

 

         ……M. le prince de Carignan vous recommande une affaire qui intéresse Voltaire et dont monsieur le garde des sceaux vous a dû parler, il vous prie de dire à Voltaire qu’il vous l’a recommandée. (1)

 

 

1 – Ravaisson, Archives de la Bastille, XII, p. 187 (Bibliothèque de l’Arsenal)

 

 

 

 

MAUREPAS A VOLTAIRE

 

 

22 Juin 1736.

 

 

         Je croyais l’affaire sur laquelle vous m’aviez écrit entièrement finie, j’en parlerai encore demain à Monsieur Hérault, et j’examinerai avec lui quels moyens on pourrait employer pour en arrêter le cours. (1)

 

 

1 – Ravaisson, Archives de la Bastille, XII, p. 187 (Archives nationales)

 

 

 

L’ABBE LEBLANC (1) AU PRESIDENT BOUHIER

 

 

Paris  Juin 1736.

 

 

         ... Disons deux mots de Voltaire. Il vient de gagner un procès aux consuls (2) contre son nouveau libraire. Il a eu la hardiesse d’aller lui-même  plaider sa cause, et de prêter le collet à la plus grande harengère (3) de toute la libraire (4). Il va en avoir un contre Jore, libraire de Rouen qui a imprimé ses Lettres philosophiques qui sera plus sérieux. Ce pauvre malheureux qui a été mis pour cela à la Bastille et qui a tous ses livres confisqués et est ruiné totalement, ne sait plus que devenir, et lui redemande je ne sais quelle somme que Voltaire lui refuse.

 

         Le procès est par-devant le Lieutenant-Civil, et Jore prépare contre lui à ce qu’on dit un Factum foudroyant (5).

 

         Vous ne savez que trop, après avoir siégé tant de temps sur les fleurs de lis, qu’on trouve assez communément parmi les avocats des faiseurs de satires et il me semble que Voltaire a tort de ne pas tâcher d’assoupir cette affaire et de laisser agiter cette matière-là. Il a fait imprimer son Epître Dédicatoire d’Alzire à Madame du Châtelet, malgré les conseils de tous ses amis. On l’accuse aussi d’être l’auteur d’une lettre sur la Mortalité de l’âme. Il ne saurait se renier en vers. J’ai l’honneur d’être votre

 

Le Blanc.

 

 

1 – Jean-Bernard Le Blanc, fils du geôlier des prisons de Dijon (né le 3.12.1707, mort en 1781).

 

2 – La juridiction des juges-consuls correspondait à celle du tribunal de commerce. Elle siégeait près de Saint-Merry.

 

3 – Marchande de poissons.

 

4 – La Bauche, éditeur d’Alzire et de Zaïre.

 

5 - Voir Mémoire pour Cl.F Jore contre le Sieur de Voltaire.

 

 

 

L’ABBE LEBLANC AU PRESIDENT BOUHIER

 

 

 

 

Paris  Juin 1736.

 

         Monsieur, je n’ai que le temps de vous dire que je vous envoie par la poste à l’adresse de M. des Granges, le Mémoire du Sieur Jore, libraire, et celui de Voltaire, qui ne parut que d’hier. Voltaire est bien misérable, bien bas ; il devait sacrifier mille écus plutôt que de laisser paraître un pareil factum contre lui. Il est à ce qu’on dit de l’avocat qui l’a signé et j’en ai déjà vu un assez plaisant de cet homme-là. Celui-ci a indisposé tous les honnêtes gens contre notre poète, et dut-il gagner son procès, il n’y a qu’un cri d’indignation publique contre lui : pour comble de maladresse son propre Mémoire est encore plus contre lui que celui de son libraire. La vanité, les airs de bienfaiteur qu’il y affecte, un certain ton d’impudence qu’il y fait sentir partout, surtout les mensonges qu’il y avance avec tant d’effronterie sur sa pauvreté et sur sa générosité, tout cela fait crier contre lui. Pour le coup le voilà, je pense, bien loin de l’Académie, ses amis se cachent. Lui-même, agité comme un démon, tourmenté par son maudit esprit, ne peut plus tenir à Paris et il part ces jours-ci. Les deux ennemis déclarés dont il veut parler sont De Launay et l’abbé Desfontaines (1)

 

 

1 – L’abbé Desfontaines fut un des ennemis les plus acharnés de Voltaire (Voltaire, qui d’ailleurs, lui avait rendu des services à cette époque). Il publia en 1748 la Voltairomanie.

 

 

 

 

 

 

 

MARAIS AU PRESIDENT BOUHIER

 

 

A Paris, ce 13 Juillet 1736.

 

 

         ... L’affaire ridicule de Voltaire est finie. Jore était un fripon qui était plus que payé de son impression. On lui a fait rendre les lettres qui eussent pû faire du mal, et Voltaire a donné par aumône, une cinquantaine de pistoles aux filles du bon Pasteur. C’est un accommodement de M. Hérault, moyennant lequel la querelle est cessée, et Voltaire rentré en quelque sorte en grâce avec le Ministère mais non pas avec les gens qui ont de la raison et du bon sens.

 

         J’apprends que Rousseau (1) vient de faire une satire contre lui, qui est arrivée secrètement à Paris et qui sera bientôt publique. Voilà encore une scène nouvelle entre deux grands acteurs, et cela en dégoûte bien : il doit y avoir trois autres Pièces de Rousseau mais on ne les voit point encore.

 

 

1 – Jean-Baptiste.