DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : E comme ENFER

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E comme ENFER.

 

 

 

(1)

 

 

 

 

          Inferum, souterrain : les peuples qui enterraient les morts les mirent dans le souterrain ; leur âme y était donc avec eux. Telle est la première physique et la première métaphysique des Egyptiens et des Grecs.

 

          Les Indiens, beaucoup plus anciens, qui avaient inventé le dogme ingénieux de la métempsycose, ne crurent jamais que les âmes fussent dans le souterrain.

 

          Les Japonais, les Coréens, les Chinois, les peuples de la vaste Tartarie orientale et occidentale, ne surent pas un mot de la philosophie du souterrain.

 

          Les Grecs, avec le temps, firent du souterrain un vaste royaume qu’ils donnèrent libéralement à Pluton et à Proserpine sa femme. Ils leur assignèrent trois conseillers d’Etat, trois femmes de charge, nommées les Furies, trois parques pour filer, dévider et couper le fil de la vie des hommes ; et comme dans l’antiquité chaque héros avait son chien pour garder sa porte, on donna à Pluton un gros chien qui avait trois têtes : car tout allait par trois. Des trois conseillers d’Etat, Minos, Eaque et Radamanthe, l’un jugeait la Grèce, l’autre l’Asie-Mineur (car les Grecs ne connaissaient pas alors la grande Asie), le troisième était pour l’Europe.

 

          Les poètes ayant inventé ces enfers s’en moquèrent les premiers. Tantôt Virgile parle sérieusement des enfers dans l’Enéide, parce qu’alors le sérieux convient à son sujet ; tantôt il en parle avec mépris dans ses Georgiques (II, v. 490 et suivants) :

 

 

Felix qui potuis rerum cognoscure causas,

Atque metus omnes et inexorabile fatum

Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari !

 

 

Heureux qui peut sonder les lois de la nature,

Qui des vains préjugés foule aux pieds l’imposture ;

Qui regarde en pitié le Styx et l’Achéron,

Et le triple Cerbère, et la barque  Caron.

 

 

          On déclamait sur le théâtre de Rome ces vers de la Troade (chœur du IIe acte), auxquels quarante mille mains applaudissaient :

 

 

.  .  .  .  .  .  .  Tænara et aspero

Regnum sub domino, limen et obsidens

Custos non facili Cerberus ostio,

Rumores vacui, verbaque inania,

Et par sollicito fabula somnio.

 

 

Le palais de Pluton, son portier à trois têtes,

Les couleuvres d’enfer à mordre toujours prêtes,

Le Styx, le Phlégéton, sont des contes d’enfants,

Des songes importuns, des mots vides de sens.

 

 

          Lucrèce, Horace s’expriment avec la même force : Cicéron, Sénèque, en parlent de même en vingt endroits. Le grand empereur Marc-Aurèle raisonne encore plus philosophiquement qu’eux tous. « Celui qui craint la mort, craint ou d’être privé de tout sens, ou d’éprouver d’autres sensations. Mais si tu n’as plus tes sens, tu ne seras plus sujet à aucune misère ; si tu as des sens d’une autre espèce, tu seras une autre créature. »

 

          Il n’y avait pas un mot à répondre à ce raisonnement dans la philosophie profane. Cependant, par la contradiction attachée à l’espèce humaine, et qui semble faire la base de notre nature, dans le temps même que Cicéron disait publiquement :« Il n’y a point de vieille femme qui croie ces inepties, » Lucrèce avouait que ces idées faisaient une grande impression sur les esprits ; il vient, dit-il, pour les détruire :

 

 

.  .  .  .  .  .  . Si certam finem esse viderent

Ærumnarum homines, aliqua ratione valerent

Relligionibus atque minis obsistere vatum.

Nunc ratio nulla est restandi, nulla facultas :

Æternas quoniam pœnas in morte tidmendum.

 

LUCR., I, V. 108 et seq.

 

 

Si l’on voyait du moins un terme à son malheur,

On soutiendrait sa peine, on combattrait l’erreur,

On pourrait supporter le fardeau de la vie ;

Mais d’un plus grand supplice elle est, dit-on, suivie :

Après de tristes jours on craint l’éternité.

 

 

          Il était donc vrai que parmi les derniers du peuple, les uns riaient de l’enfer, les autres en tremblaient. Les uns regardaient Cerbères, les Furies, et Pluton, comme des fables ridicules ; les autres ne cessaient de porter des offrandes aux dieux infernaux. C’était tout comme chez nous :

 

 

Et quocumque tamen miseri venere, parentant,

Et nigras mactant pecudes, et Manibu’ divis

Inferias mittunt, multoque in rebus acerbis

Acrius advertunt animos ad relligionem.

 

 

LUCR., III, v. 51-54.

 

 

Ils conjurent ces dieux qu’ont forgés nos caprices ;

Ils fatiguent Pluton de leurs vains sacrifices ;

Le sang d’un bélier noir coule sous leurs couteaux ;

Plus ils sont malheureux et plus ils sont dévots.

 

 

          Plusieurs philosophes qui ne croyaient pas aux fables des enfers, voulaient que la populace fût contenue par cette croyance. Tel fut Timée de Locres, tel fut le politique historien Polybe. « L’enfer, dit-il, est inutile aux sages, mais nécessaire à la populace insensée. »

 

          Il est assez connu que la loi du Pentateuque n’annonça jamais un enfer (2). Tous les hommes étaient plongés dans ce chaos de contradictions et d’incertitudes quand Jésus-Christ vint au monde. Il confirma la doctrine ancienne de l’enfer ; non pas la doctrine des poètes païens, non pas celle des prêtres égyptiens, mais celle qu’adopta le christianisme, à laquelle il faut que tout cède. Il annonça un royaume qui allait venir, et un enfer qui n’aurait point de fin.

 

          Il dit expressément à Capharnaüm en Galilée : « Quiconque appellera son frère Raca sera condamné par le sanhédrin ; mais celui qui l’appellera fou sera condamné au genehei eimom, gehenne du feu. »

 

          Cela prouve deux choses : premièrement que Jésus-Christ ne voulait pas qu’on dît des injures ; car il n’appartenait qu’à lui, comme maître, d’appeler les prévaricateurs pharisiens race de vipères.

 

          Secondement, que ceux qui disent des injures à leur prochain méritent l’enfer ; car la gehenna du feu était dans la vallée d’Ennom, où l’on brûlait autrefois des victimes à Moloch ; et cette gehenna figure le feu d’enfer.

 

          Il dit ailleurs : « Si quelqu’un sert d’achoppement aux faibles qui croient en moi, il vaudrait mieux qu’on lui mît au cou une meule anisaire, et qu’on le jetât dans la mer.

 

          Et si ta main te fait achoppement, coupe-la ; il est bon pour toi d’entrer manchot dans la vie, plutôt que d’aller dans la gehenna du feu inextinguible, où le ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point.

 

          Et si ton pied te fait achoppement, coupe ton pied ; il est bon d’entrer boiteux dans la vie éternelle, plutôt que d’être jeté avec tes deux pieds dans la gehenna inextinguible, où le ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point.

 

          Et si ton œil te fait achoppement, arrache ton œil ; il vaut mieux entrer borgne dans le royaume de Dieu, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la gehenna du feu, où le ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point.

 

          Car chacun sera salé par le feu, et toute victime sera salée par le sel.

 

          Le sel est bon ; que si le sel s’affadit, avec quoi salerez-vous ?

 

          Vous avez dans vous le sel, conservez la paix parmi vous. »

 

 

          Il dit ailleurs, sur le chemin de Jérusalem : « Quand le père de famille sera entré et aura fermé la porte, vous resterez dehors, et vous heurterez, disant : Maître, ouvrez-nous ; et en répondant, il vous dira : Nescio vos, d’où êtes-vous ? Et alors vous commencerez à dire : Nous avons mangé et bu avec toi, et tu as enseigné dans nos carrefours : et il vous répondra : Nescio vos, d’où êtes-vous ? ouvriers d’iniquités ! Et il y aura pleurs et grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob, et tous les prophètes, et que vous serez chassés dehors. »

 

          Malgré les autres déclarations positives émanées du Sauveur du genre humain, qui assurent la damnation éternelle de quiconque ne sera pas de notre Eglise, Origène et quelques autres n’ont pas cru l’éternité des peines.

 

          Les sociniens les rejettent, mais ils sont hors du giron. Les luthériens et les calvinistes, quoique égarés hors du giron, admettent un enfer sans fin.

 

          Dès que les hommes vécurent en société, ils durent s’apercevoir que plusieurs coupables échappaient à la sévérité des lois ; ils punissaient les crimes publics ; il fallut établir un frein pour les crimes secrets ; la religion seule pouvait être ce frein. Les Persans, les Chaldéens, les Egyptiens, les Grecs, imaginèrent des punitions après la vie ; et de tous les peuples anciens que nous connaissons, les Juifs, comme nous l’avons déjà observé, furent les seuls qui n’admirent que des châtiments temporels. Il est ridicule de croire ou de feindre de croire, sur quelques passages très obscurs, que l’enfer était admis par les anciennes lois des Juifs, par leur Lévitique, par leur Décalogue, quand l’auteur de ces lois ne dit pas un seul mot qui puisse avoir le moindre rapport avec les châtiments de la vie future (3). On serait en droit de dire au rédacteur du Pentateuque : Vous êtes un homme inconséquent et sans probité, comme sans raison, très indigne du nom de législateur que vous vous arrogez. Quoi ! vous connaissez un dogme aussi réprimant, aussi nécessaire au peuple que celui de l’enfer, et vous ne l’annoncez pas expressément ? et tandis qu’il est admis chez toutes les nations qui vous environnent, vous vous contentez de laisser deviner ce dogme par quelques commentateurs qui viendront quatre mille ans après vous, et qui donneront la torture à quelques-unes de vos paroles pour y trouver ce que vous n’avez pas dit ? Ou vous êtes un ignorant, ; qui ne savez pas que cette créance était universelle en Egypte, en Chaldée, en Perse, ou vous êtes un homme très malavisé, si, étant instruit de ce dogme, vous n’en avez pas fait la base de votre religion.

 

          Les auteurs des lois juives pourraient tout au plus répondre : Nous avouons que nous sommes excessivement ignorants ; que nous avons appris à écrire fort tard ; que notre peuple était une horde  sauvage et barbare, qui de notre aveu erra près d’un demi-siècle dans des déserts impraticables ; qu’elle usurpa enfin un petit pays par les rapines les plus odieuses, et par les cruautés les plus détestables dont jamais l’histoire ait fait mention. Nous n’avions aucun commerce avec les nations policées : comment voulez-vous que nous puissions (nous les plus terrestres des hommes) inventer un système tout spirituel ?

 

          Nous ne nous servions du mot qui répond à âme que pour signifier la vie ; nous ne connûmes notre Dieu et ses ministres, ses anges, que comme des êtres corporels : la distinction de l’âme et du corps, l’idée d’une vie après la mort, ne peuvent être que le fruit d’une longue méditation et d’une philosophie très fine. Demandez aux Hottentots et aux Nègres, qui habitent un pays cent fois plus étendu que le nôtre, s’ils connaissent la vie à venir. Nous avons cru faire assez de persuader à notre peuple que Dieu punissait les malfaiteurs jusqu’à la quatrième génération, soit par la lèpre, soit par des morts subites, soit par la perte du peu de bien qu’on pouvait posséder.

 

          On répliquerait à cette apologie : Vous avez inventé un système dont le ridicule saute aux yeux ; car le malfaiteur qui se porte bien, et dont la famille prospérait, devait nécessairement se moquer de vous.

 

          L’apologiste de la loi judaïque répondrait alors : Vous vous trompez ; car pour un criminel qui raisonnait juste, il y en avait cent qui ne raisonnaient point du tout. Celui qui ayant commis un crime ne se sentait puni ni dans son corps, ni dans celui de son fils, craignait pour son petit-fils. De plus, s’il n’avait pas aujourd’hui quelque ulcère puant, auquel nous étions très sujets, il en éprouvait dans le cours de quelques années : il y a toujours des malheurs dans une famille, et nous faisions aisément accroire que ces malheurs étaient envoyés par une main divine, vengeresse des fautes secrètes.

 

          Il serait aisé de répliquer à cette réponse, et de dire : Votre excuse ne vaut rien, car il arrive tous les jours que de très honnêtes gens perdent la santé et leurs biens ; et s’il n’y a point de famille à laquelle il ne soit arrivé des malheurs, si ces malheurs sont des châtiments de Dieu, toutes vos familles étaient donc des familles de fripons.

 

          Le prêtre juif pourrait répliquer encore ; il dirait qu’il y a des malheurs attachés à la nature humaine, et d’autres qui sont envoyés expressément de Dieu. Mais on ferait voir à ce raisonneur combien il est ridicule de penser que la fièvre et la grêle sont tantôt une punition divine, tantôt un effet naturel.

 

          Enfin, les pharisiens et les esséniens, chez les Juifs, admirent la créance d’un enfer à leur mode : ce dogme avait déjà passé des Grecs aux Romains, et fut adopté par les chrétiens.

 

          Plusieurs Pères de l’Eglise ne crurent point les peines éternelles ; il leur paraissait absurde de brûler pendant toute l’éternité un pauvre homme pour avoir volé une chèvre. Virgile a beau dire, dans son sixième chant de l’Enéide (vers 617 et 618) :

 

 

.  .  .  .  .  .  . Sedet æternumque sedebit

Infelix Theseus.

 

 

Il prétend en vain que Thésée est assis pour jamais sur une chaise, et que cette posture est son supplice. D’autres croyaient que Thésée est un héros qui n’est point assis en enfer, et qu’il est dans les Champs-Elysées.

 

          Il n’y a pas longtemps qu’un théologien calviniste, nommé Petit-Pierre, prêcha et écrivit que les damnés auraient un jour leur grâce. Les autres ministres lui dirent qu’ils n’en voulaient point. La dispute s’échauffa ; on prétend que le roi, leur souverain, leur manda que puisqu’ils voulaient être damnés sans retour, il le trouvait très bon, et qu’il y donnait les mains. Les damnés de l’église de Neufchâtel déposèrent le pauvre Petit-Pierre, qui avait pris l’enfer pour le purgatoire. On a écrit que l’un d’eux lui dit : Mon ami, je ne crois pas plus à l’enfer éternel que vous ; mais sachez qu’il est bon que votre servante, que votre tailleur, et surtout votre procureur y croient.

 

          J’ajouterai, pour l’illustration de ce passage, une petite exhortation aux philosophes qui nient tout à plat l’enfer dans leurs écrits. Je leur dirai : Messieurs, nous ne passons pas notre vie avec Cicéron, Atticus, Caton, Marc-Aurèle, Epictète, le chancelier de l’Hospital, La Mothe Le Vayer, Des Yvetaux, René Descartes, Newton, Locke, ni avec le respectable Bayle, qui était si au-dessus de la fortune ; ni avec le trop vertueux incrédule Spinosa, qui, n’ayant rien, rendit aux enfants du grand pensionnaire de Witt une pension de trois cents florins que lui faisait le grand de Witt dont les Hollandais mangèrent le cœur, quoiqu’il n’y eût rien à gagner en le mangeant. Tous ceux à qui nous avons affaire ne sont pas des Des Barreaux, qui payait à des plaideurs la valeur de leur procès qu’il avait oublié de rapporter (4). Toutes les femmes ne sont pas des Ninon Lenclos, qui gardait les dépôts si religieusement, tandis que les plus graves personnages les violaient. En un mot, messieurs, tout le monde n’est pas philosophe.

 

          Nous avons affaire à force fripons qui ont peu réfléchi ; à une foule de petites gens, brutaux, ivrognes, voleurs. Prêchez-leur, si vous voulez, qu’il n’y a point d’enfer, et que l’âme est mortelle. Pour moi, je leur crierai dans les oreilles qu’ils seront damnés s’ils me volent : j’imiterai ce curé de campagne qui, ayant été outrageusement volé par ses ouailles, leur dit à son prône : Je ne sais à quoi pensait Jésus-Christ, de mourir pour des canailles comme vous (5).

 

          C’est un excellent livre pour les sots que le Pédagogue chrétien, composé par le révérend Père d’Outreman, de la compagnie de Jésus, et augmenté par révérend Coulon, curé de Ville-Juif-lez-Paris. Nous avons, Dieu merci, cinquante et une éditions de ce livre, dans lequel il n’y a pas une page où l’on trouve une ombre de sens commun.

 

          Frère Outreman affirme (page 157, édition in-4°) qu’un ministre d’Etat de la reine Elisabeth, nommé le baron de Honsden, qui n’a jamais existé, prédit au secrétaire d’Etat Cécil, et à six autres conseillers d’Etat, qu’ils seraient damnés et lui aussi ; ce qui arriva, et qui arrive à tout hérétique. Il est probable que Cécil et les autres conseillers n’en crurent point le baron de Honsden ; mais si ce prétendu baron s’était adressé à six bourgeois, ils auraient pu le croire.

 

          Aujourd’hui qu’aucun bourgeois de Londres ne croit à l’enfer, comment faut-il s’y prendre ? quel frein aurons-nous ? celui de l’honneur, celui des lois, celui même de la divinité, qui veut sans doute que l’on soit juste, soit qu’il y ait un enfer, soit qu’il n’y en ait point.

 

 

e comme ENFER

 

 

 

 

1 – Je suis fâché de voir, écrit Voltaire à d’Alembert, 24 Mai 1757, que le chevalier de Jaucourt, à l’article ENFER, prétende que l’enfer était un point de la doctrine de Moïse ; cela n’est pas vrai, de par tous les diables. Pourquoi mentir ? » Et d’Alembert lui répondait : « Vous faites injure au chevalier de Jaucourt de mettre sur son compte l’article ENFER ; il est de notre théologien, docteur et professeur de Navarre (Mallet), qui est mort à la peine, et qui sait actuellement si l’enfer de la nouvelle loi est plus réel que celui de l’ancienne. Au reste, cet article ENFER n’est pas sans mérite, l’auteur y a eu le courage de dire qu’on ne pouvait pas prouver l’éternité des peines par la raison : cela est fort pour un sorboniste. » (G.A.)

 

2 – Dans le Dictionnaire encyclopédique, l’auteur de l’article théologique ENFER semble se méprendre étrangement en citant le Deutéronome, au chapitre XXII, v. 23 et suivants ; il n’y est pas plus question d’enfer que de mariage et de danse. On fait parler Dieu ainsi : « Ils m’ont provoqué dans celui qui n’était pas leur Dieu, et ils m’ont irrité dans leurs vanités ; et moi je les provoquerai dans celui qui n’est pas mon peuple, et je les irriterai dans une nation folle. – Un feu s’est allumé dans ma fureur, et il brûlera jusqu’au bord du souterrain, et il dévorera la terre avec ses fermes, et il brûlera les racines des montagnes. – J’accumulerai les maux sur eux : je viderai sur eux mes flèches ; je les ferai mourir de faim ; les oiseaux les dévoreront d’une morsure amère ; j’enverrai contre eux les dents des bêtes avec la fureur des reptiles et des serpents. Le glaive les dévastera au-dehors, et la frayeur au-dedans, eux et les garçons, et les filles, et les enfants à la mamelle, avec les vieillards. »

 

            Y a-t-il là, s’il vous plait, rien qui désigne des châtiments après la mort ? Des herbes sèches, des serpents qui mordent, des filles et des enfants qu’on tue, ressemblent-ils à l’enfer ? N’est-il pas honteux de tronquer un passage pour y trouver ce qui n’y est pas ? Si l’auteur s’est trompé, on lui pardonne ; s’il a voulu tromper, il est inexcusable. (Voltaire.)

 

3 – Les apparitions que l’on voit mentionnées dans la Bible appartiennent au domaine de l’imagination poétique et populaire. Le mot hébreu schéol, qui désigne un lieu souterrain, est un nom propre, au lieu d’être celui d’un séjour commun des morts comme l’enfer. Les peines ainsi que les récompenses de la loi mosaïque sont toutes de ce monde ; mais elles ne sont pas toujours personnelles, et le coupable est aussi puni dans sa postérité. Le dogme d’une autre vie ne date guère chez les Juifs que des pharisiens qui empruntèrent cette croyance aux Chaldéens et aux Perses. – Voir Munk. (G.A.)

 

4 – Et tous ne sont pas non plus des Voltaire qui aidait de sa bourse ceux qui plaidaient contre lui-même. En 1770, raconte la Revue des Autographes, madame Denis ayant eu un procès avec un agriculteur au sujet d’une portion de terrain qu’elle prétendait appartenir à son oncle, l’agriculteur, à qui l’argent manquait pour soutenir ses droits, conjura Voltaire de lui prêter vingt-cinq louis. – C’est l’héritage de mon père qu’on veut me ravir, et vous seul pouvez me fournir les moyens d’obtenir justice. – Oh ! oh ! voilà qui est nouveau, s’écria Voltaire. Wagnières, dit-il à son secrétaire, avons-nous cette somme en caisse ? – Oui, monsieur Voltaire. – Eh bien ! comptez-les à ce brave homme qui vient chercher ici des verges pour me fouetter, et qui n’aura pas compté en vain sur mes bons sentiments.

 

            Et l’agriculteur ayant gagné son procès, Voltaire alla tout de suite féliciter M. Pan…t d’un succès qui lui était dû. (G.A.)

 

5 – Il ne faut jamais oublier qu’au temps où Voltaire écrivait ceci, il n’y avait pas deux hommes par village sachant lire ; les paysans étaient toujours ces animaux farouches, noirs, livides, affamés, dont parle La Bruyère, et s’enivrant les dimanches et fêtes avec leur curé. Imaginez des êtres semblables à ces Chouans de la Bretagne que nous connûmes si bien depuis. Quelle distance les sépare de ces bourgeois de Londres que Voltaire admire ! (G.A.)

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