CORRESPONDANCE - Année 1739 - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens

A Bruxelles, 4 Juillet 1739. (1)

 

 

Mon cher marquis philosophe, quelle étoile nous sépare avant de nous avoir réunis ? Vous êtes encore à Maëstricht, comme je le vois par votre lettre du 30 Août ; et moi je pars sur la fin de cette semaine pour aller faire un tour à Paris, où je resterai près de trois semaines. Vous retrouverai-je à mon retour ? Pourrai-je avoir le plaisir de relire vos ouvrages et de revoir l’auteur, que j’aime encore plus qu’eux ?

 

Vous me demandez si je sais que Milton a fait autre chose que des vers. Vous n’avez donc pas lu ce que j’en dis dans l’article qui le regarde, à la fin de la Henriade ? Pour vous en punir, les Ledet et Desbordes ont ordre de vous présenter leur nouvelle édition, en grand papier, qui m’a paru très belle.

 

Permettez-moi, en vous remerciant tendrement de ce que vous avez fait, de vous envoyer encore les pièces ci-jointes que je vous prie de recommander à Paupie. J’ai extrêmement à cœur que des choses si vraies et si authentiques soient publiées, et j’ai un plaisir bien sensible à me voir défendu par vous contre un scélérat.

 

Les Français deviennent plus Romains que jamais, j’entends Romains du Bas-Empire. Adieu ; j’ai pour vous l’estime que je dois à ceux qui pensent comme les Romains de la République. Je suis ici dans un pays où il n’y a ni Scipions, ni Cicérons ; mais j’y joue au brelan, j’y fais grande chère, et je me dépique avec les plaisirs de l’abandon où je vois ici les lettres. Vale et me ama.

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Helvétius

A Enghien, le 6 Juillet.

 

 

Je vois, mon charmant ami, que je vous avais écrit d’assez mauvais vers, et qu’Apollon n’a pas voulu qu’ils vous parvinssent. Ma lettre était adressée à Charleville, où vous deviez être, et j’avais eu soin d’y mettre une petite apostille, afin que la lettre vous fût rendue, en quelque endroit de votre département que vous fussiez. Vous n’avez rien perdu, mais moi j’ai perdu l’idée que vous aviez de mon exactitude. Mon amitié n’est point du tout négligente. Je vous aime trop pour être paresseux avec vous. J’attends, mon bel Apollon, votre ouvrage (1), avec autant de vivacité que vous le faites. Je comptais vous envoyer de Bruxelles ma nouvelle édition de Hollande, mais je n’en ai pas encore reçu un seul exemplaire de mes libraires. Il n’y en a point à Bruxelles, et j’apprends qu’il y en a à Paris. Les libraires de Hollande, qui sont des corsaires maladroits, ont sans doute fait beaucoup de fautes dans leur édition, et craignent que je ne la voie assez tôt pour m’en plaindre et pour la décrier. Je ne pourrai en être instruit que dans quinze jours. Je suis actuellement, avec madame du Châtelet, à Enghien, chez M. le duc d’Aremberg, à sept lieues de Bruxelles. Je joue beaucoup au brelan ; mais nos chères études n’y perdent rien. Il faut allier le travail et le plaisir ; c’est ainsi que vous en usez, et c’est un petit mélange que je vous conseille de faire toute votre vie ; car, en vérité, vous êtes né pour l’un et pour l’autre.

 

Je vous avoue, à ma honte, que je n’ai jamais lu l’Utopie de Thomas Morus ; cependant je m’avisai de donner une fête il y a quelques jours, dans Bruxelles, sous le nom de l’envoyé d’Utopie. La fête était pour madame du Châtelet, comme de raison ; mais croiriez-vous bien qu’il n’y avait personne dans la ville qui sût ce que veut dire Utopie ? Ce  n’est pas ici le pays des belles-lettres. Les livres de Hollande y sont défendus, et je ne peux pas concevoir comment Rousseau a pu choisir un tel asile. Ce doyen des médisants, qui a perdu depuis longtemps l’art de médire, et qui n’en a conservé que la rage, est ici (2) aussi inconnu que les belles-lettres. Je suis actuellement dans un château où il n’y a jamais eu de livres que ceux que madame du Châtelet et moi nous avons apportés ; mais, en récompense, il y a des jardins plus beaux que ceux de Chantilly, et on y mène cette vie douce et libre qui fait l’agrément de la campagne. Le possesseur de ce beau séjour vaut mieux que beaucoup de livres ; je crois que nous allons y jouer la comédie ; on y lira du moins les rôles des acteurs.

 

          J’ai bien un autre projet en tête : j’ai fini ce Mahomet dont je vous avais lu l’ébauche. J’aurais grande envie de savoir comment une pièce d’un genre si nouveau et si hasardé réussirait chez nos galants Français ; je voudrais faire jouer la pièce, et laisser ignorer l’auteur. A qui puis-mieux me confier qu’à vous ? N’avez-vous pas en main cet ami de Paris, qui vous doit tout, et qui aime tant les vers ? Ne pourriez-vous pas la lui envoyer ? Ne pourrait-il pas la lire aux comédiens ? Mais lit-il bien ? Car une belle prononciation et une lecture pathétique sont une bordure nécessaire au tableau. Voyez, mon cher ami ; donnez-moi sur cela vos réflexions.

 

          Quelle est donc cette madame Lambert à qui je dois des compliments ? Vous me faites des amis des gens qui vous aiment ; je serai bientôt aimé de tout le monde. Adieu. Madame du Châtelet vous estime, vous aime, vous n’en doutez pas. Nos cœurs sont à vous pour jamais ; elle vous a écrit comme moi à Charleville. Adieu ; je vous embrasse du meilleur de mon âme.

 

 

1 – L’Epître sur l’Orgueil. (G.A.)

 

2 – Il était revenu de Paris depuis février. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

A Enghien, près de Bruxelles, le 9 Juillet.

 

 

J’aurai donc le plaisir de vous voir en Flandre, mon cher abbé. Vous achèterez pour ce qu’il vous plaira de tableaux ; mais, en attendant, procurez-moi pour Bruxelles une lettre de change de deux cent cinquante louis. Grondez bien fort ce diable d’Hébert qui ne finit pas un joli petit ouvrage qu’il a commencé et promis depuis six mois. Faites graver une estampe sur le portrait (1) de Latour, qui soit moins grossière que celle de notre ivrogne.

 

Pensez aussi, mon cher abbé, que nous sommes dans le temps de notre petite collecte, et que, s’il est possible, nous ne devons rien laisser en arrière. Une lettre à chaque débiteur ne coûte pas beaucoup, si elle n’est guère profitable. Il n’y a point de temps à perdre, ni d’autre parti à prendre, que de faire saisir, en mon nom, les biens de M. de Lezeau, qui ne veut ni payer, ni compter, ni s’arranger, ni fournir délégation pour cinq mille livres qu’il me doit. J’entends aussi que, dans cette cérémonie de procureur et d’huissier, on ne fasse que les frais indispensables.

 

Mouhi, mon correspondant, me donne bien de fausses nouvelles, entre autres, que je suis brouillé avec madame du Châtelet. Donnez-lui toujours deux louis d’or, comme si les nouvelles étaient bien bonnes, et portez-vous bien, mon cher abbé.

 

 

1 – Portrait de Voltaire par Latour. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens

A Enghien, ce 10 Juillet (1).

 

 

          Je suis encore à Enghien, mon cher ami, et je ne serai libre que vers la fin du mois. Mandez-moi donc de vos nouvelles, et que je sache où je pourrai avoir l’honneur de vous embrasser. Vous êtes aussi paresseux avec vos amis, que vous êtes diligent avec le public. La réputation est votre première divinité, si ce n’est Léontine (2) ; mais que l’amitié soit au moins la troisième ; elle est chez moi la première : je sacrifie à cette idole tout, jusqu’à l’étude. Depuis quinze jours, figurez-vous que ma philosophie passe ici ses journées à jouer la comédie, et la nuit à jouer au brelan.

 

          Cependant il en faut revenir au travail, car le temps perdu dans le plaisir laisse l’esprit vide, et les heures employées à l’étude laissent l’âme toute pleine. Vous savez passer si bien du plaisir au travail, que vous donneriez là-dessus des leçons. Mars, Apollon, Vénus sont des saints que vous savez très bien fêter. Faites-moi donc un peu part de vos desseins, de vos études, de vos amusements, et regardez-moi comme le plus tendre de vos amis.

 

          Mon adresse est rue de la Grosse-Tour, à Bruxelles.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Mademoiselle Cochois. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens

A Bruxelles, ce 18 Juillet.

 

 

          Etes-vous parti ? Pour moi, je pars dans la minute. Mes compliments, mon cher ami ; au révérend père Janssens (1), jésuite de Bruxelles, lequel a persuadé à la pauvre madame Viana que son mari était mort hérétique, et que, par conséquent, elle ne pouvais en conscience garder de l’argent chez elle, et qu’il fallait remettre tout entre les mains de son confesseur. La dame Viana, pleine de componction, lui a confié tout son argent. Le cocher qui a aidé le révérend Père à porter les sacs dépose juridiquement contre le révérend Père. Le bon homme dit qu’il ne sait ce que c’est, et prie Dieu pour eux. Le peuple cependant veut lapider le saint. On va juger l’affaire (2). Il faut ou le pendre ou le canoniser, et peut-être sera-t-il l’un et l’autre.

 

          Adieu, mon ami ; ne soyons ni l’un ni l’autre.

 

 

1 – Ou Yancin. (G.A.)

 

2 – Voyez, sur cette affaire, l’Essai sur les probabilités en fait de justice. (K.)

 

 

 

 

à M. M. Prault

 

A Bruxelles, 21 Juillet (1).

 

 

Depuis que j’ai vu la nouvelle édition de Ledet, je suis plus que jamais, mon cher Prault, dans la résolution de vous en procurer une qui vous soit utile et honorable. Je crois que vous pouvez compter sur la protection de M. d’Argenson, comme sur mon zèle. Je serais trop fâché que les étrangers profitassent seuls de mon travail, et que le libraire de Paris que j’estime le plus n’eût de moi que des offres inutiles de service. Je suis donc tout prêt ; parlez, quand commencerez-vous ? Je vous offre et mon travail et de l’argent.

 

Je ne crois pas que vous gagniez à débiter ce petit Essai sur Molière, qui n’a été fait que pour être joint à l’édition de ses œuvres. M. Pallu m’avait prié d’y travailler ; mais quand l’ouvrage fut fait, on donna la préférence, comme de raison, à M. de La Serre, qui avait commencé avant moi, et qui, d’ailleurs, retirait de son travail un profit que j’aurais été au désespoir de lui ôter.

 

S’il est vrai que mes Epîtres et le commencement du Siècle de Louis XIV paraissent, je vous prie de les chercher et de me les envoyer. Au reste, vous ne ferez rien qu’avec prudence, et je m’en rapporte à vous. My services to your lady. Si vous voyez le père du Sopha (2), je suis son ami pour la vie.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Crébillon fils. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

27 Juillet.

 

 

[L’arrêt prononcé sévèrement sur Zulime par mademoiselle Quinault a été écouté avec docilité ; opinion de Voltaire sur cette tragédie. Parle de l’Héritier ridicule joué devant le roi à Compiègne. Eloge du style pur du Siège de Salais. Œdipe a été corrigé dans la nouvelle édition des Œuvres de Voltaire faite en Hollande. Compliments de madame du Châtelet.]

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

 

A Bruxelles, 28 Juillet.

 

 

Monsieur, un Suisse, passant par Bruxelles, pour aller à Paris, était désigné pour être dépositaire du plus instructif et du meilleur ouvrage que j’aie lu depuis vingt ans (1) ; mais la crainte de tous les accidents qui peuvent arriver à un étranger inconnu m’a déterminé à ne confier l’ouvrage qu’à l’abbé Moussinot, qui aura l’honneur de vous le rendre.

 

On m’assure que l’auteur de cet ouvrage unique ne va point enterrer à Lisbonne les talents qu’il a pour conduire les hommes et pour les rendre heureux. Puisse-t-il rester à Paris, et puissé-je le retrouver dans un de ces postes où l’on a fait, jusqu’ici, tant de mal et si peu de bien ! Si je suivais mon goût, je vous jure bien que je ne remettrais les pieds dans Paris que quand je verrais M. d’Argenson à la place de son père et à la tête des belles-lettres.

 

La décadence du bon goût, le brigandage de la littérature me font sentir que je suis né citoyen ; je suis au désespoir de voir une nation si aimable si prodigieusement gâtée. Figurez-vous, monsieur, que M. de Richelieu inspira au roi, il y a quatre ans, l’envie de voir la comédie de l’Héritier ridicule (2), et sur cela une prétendue anecdote de la cour de Louis XIV. On prétendait que le roi et Monsieur avaient fait jouer cette pièce deux fois en un jour. Je suis bien éloigné de croire ce fait ; mais ce que je sais bien, c’est que cette malheureuse comédie est un des plus plats et des plus impertinents ouvrages qu’on ait jamais barbouillés. Les comédiens français eurent tant de honte que Louis XV la leur demandât, qu’ils refusèrent de la jouer. Enfin, Louis XV a obtenu cette belle représentation des bateleurs de Compiègne ; lui et les siens s’y sont terriblement ennuyés. Qu’arrivera-t-il de là ? Que le roi, sur la foi de M. de Richelieu, croira que cette pièce est le chef-d’œuvre du théâtre, et que, par conséquent, le théâtre est la chose la plus méprisable.

 

Encore passe, si les gens qui se sont consacrés à l’étude n’étaient pas persécutés ; mais il est bien douloureux de se voir maîtrisé, foulé aux pieds par des hommes sans esprit, qui ne sont pas nés assurément pour commander, et qui se trouvent dans de très belles places qu’ils déshonorent.

 

Heureusement il y a encore quelques âmes comme la vôtre ; mais c’est bien rarement dans ce petit nombre qu’on choisit les dispensateurs de l’autorité royale, et les chefs de la nation. Un fripon de la lie du peuple (3) et de la lie des êtres pensants,qui n’a d’esprit que ce qu’il en faut pour nouer des intrigues subalternes, et pour obtenir des lettres de cachet, ignorant et haïssant les lois, patelin et fourbe, voilà celui qui réussit, parce qu’il entre par la chatière ; et l’homme digne de gouverner vieillit dans des honneurs inutiles.

 

Ce n’était pas à Bruxelles, c’était à Compiègne qu’il fallait que votre livre fût lu. Quand il n’y aurait que cette seule définition-ci, elle suffirait à un roi : « Un parfait gouvernement est celui où toutes les parties sont également protégées. » Que j’aime cela ! « Les savantes recherches sur le droit public ne sont que l’histoire des anciens abus. » Que cela est vrai ! Eh ! Qu’importe à notre bonheur de savoir les Capitulaires de Charlemagne ? Pour moi, ce qui m’a dégoûté de la profession d’avocat, c’est la profusion de choses inutiles dont on voulut charger ma cervelle. Au fait  est ma devise.

 

Que ce que vous me dites sur la Pologne ma plaît encore : J’ai toujours regardé la Pologne comme un beau sujet de harangue, et comme un gouvernement misérable ; car, avec tous ses beaux privilèges, qu’est-ce qu’un pays où les nobles sont sans discipline, le roi un zéro, le peuple abruti par l’esclavage, et où l’on n’a d’argent que celui qu’on gagne à vendre sa voix ? Je vous ai déjà parlé, je crois, de la vieille barbarie du gouvernement féodal.

 

Votre article sur la Toscane : Ils viennent de tomber entre les mains des Allemands, etc., est bien d’unhomme amoureux du bonheur public, et je dirai avec vous :

 

 

Barbarus has segetes ! …         (VIRG. Eccl. I.)

 

 

Je suis fâché de ne pouvoir relire tout le livre pour marquer toutes les beautés de détail qui m’ont frappé, indépendamment de la sage économie et de l’enchaînement de principes qui en fait le mérite.

 

Il y a une anecdote dontje ne puis encore convenir, c’est que les nouvelles rentes ne furent pas proposées par M. Colbert. J’ai toujours ouï dire que ce fut lui-même qui les proposa, étant à bout de ses ressources, et je ne crois pas que Louis XIV consultât d’autres que lui. (4).

 

Avant de finir ma lettre, j’ai voulu avoir encore le plaisir de relire le chapitre VI (5) et la fin du précédent : « Un monarque qui n’a plus à songer qu’à gouverner, gouverne toujours bien. » Cette admirable maxime se trouve à la suite de choses très édifiantes. Mais, pour Dieu, que ce monarque songe donc à gouverner !

 

Je ne sais si on songe assez à une chose dont j’ai cru m’apercevoir. J’ai manqué souvent d’ouvriers à la campagne ; j’ai vu que les sujets manquaient pour la milice ; je me suis informé en plusieurs endroits s’il en était de même ; j’ai trouvé qu’on s’en plaignait presque partout ; et j’ai conclu de là que les moines et les religieuses ne font pas tant d’enfants qu’on le dit, et que la France n’est pas si peuplée (proportion gardée) que l’Allemagne, la Hollande, la Suisse, l’Angleterre. Du temps de M. de Vauban nous étions dix-huit millions : combien sommes-nous à présent ? C’est ce que je voudrais bien savoir.

 

Voilà l’abbé Moussinot (6) qui va monter en chaise, et moi je vais fermer votre livre ; mais je ferai avec lui comme avec vous, je l’aimerai toute ma vie.

 

On me mande que Prault vient d’imprimer une petite Histoire de Molière (7) et de ses ouvrages, de ma façon. Voici le fait : M. Pallu me pria d’y travailler, lorsqu’on imprimait le Molière in-4° ; j’y donnai mes petits soins, et quand j’eus fini, M. de Chauvelin donna la préférence à M. de La Serre :

 

Sic vos non vobis ! …………..

 

Ce n’est pas d’aujourd’hui que Midas a des oreilles d’ânes. Mon manuscrit est enfin tombé à Prault, qui l’a imprimé, dit-on, et défiguré ; mais l’auteur vous est toujours attaché avec la plus respectueuse estime et le plus tendre dévouement.

 

Madame du Châtelet, aussi enchantée que moi, vous louera bien mieux.

 

 

1 – Les Considérations de d’Argenson. (G.A.)

 

2 – Par Scarron. (G.A.)

 

3 – Le lieutenant de police Hérault. (G.A.)

 

4 – Elles furent proposées à Colbert par des membres du parlement, et il les adopta par faiblesse et malgré lui. (K.)

 

5 – Disposition à étendre la démocratie en France.(G.A.)

 

6 – Voyez la lettre à cet abbé du 9 juillet. (G.A.)

 

7 – Vie de Molière. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Bruxelle, 17 Août (1).

 

 

Il y a plus de quinze jours, monsieur, que nous avons le pied à l’étrier. J’ai toujours différé à avoir l’honneur de vous écrire, parce que je comptais venir aussitôt qu’une lettre. Nous partons enfin demain à petites journées ; nous arriverons le 27 ou le 28. C’est au roi de Portugal, qui ne vous verra point, à être fâché, et c’est à moi à me réjouir. Je vous réponds que je regarderai comme un des plus beaux jours de ma vie celui où je verrai l’auteur d’un ouvrage qui tient tout ce que les titres de l’abbé de Saint-Pierre promettent, et où je pourrai vous dire combien je suis sensible à vos bontés, combien je vous suis attaché pour jamais avec la plus tendre et la plus respectueuse reconnaissance.

 

Madame du Châtelet fait peu de cas des fusées, des illuminations (2) ; mais elle sent tout le prix de votre connaissance, et pense sur vous comme moi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – A l’occasion du mariage de la fille de Louis XV avec l’infant d’Espagne, le 26 Août. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

Bruxelles, 17-18 Août.

 

 

          Enfin, nous partons pour Paris ; nous sommes des étrangers qui venons voir ce que c’est que cette ville dont on disait autrefois tant de bien. J’espère au moins y retrouver votre amitié, qui me dédommagera de ce que je n’y trouverai pas. On dit qu’on y reçoit assez bien les étrangers qui voyagents ; nous y serons un mois, tout au plus, après quoi je retourne à la suite d’un procès triste et long, mais à la suite de l’amitié qui rend tout agréable. Je ne sais pas encore où je logerai ; mais, quel que soit le baigneur ou le cabaret qui hébergera mon ambulante personne, j’ai lieu de croire que rien ne m’aura privé de la douceur d’être aimé de vous.

 

 

 

 

à Madame de Chambonin

De Cambrai (1).

 

 

          Mon cher gros chat est dans sa gouttière, et nous courons les champs. Nous voici à Cambrai, marchant à petite journée. Nous n’avons pas trouvé la moindre petite fête sur la route. Nous sommes traités en médecins de village, qu’on envoie chercher en carrosse, et qu’on laisse retourner à pied. Si vous me demandez pourquoi nous allons à Paris, je ne peux vous répondre que de moi. J’y vais parce que je suis Emilie. Mais pourquoi Emilie y va-t-elle, je ne le sais pas trop. Elle présent que cela est nécessaire, et je suis destiné à la croire comme à la suivre. Vous jugez bien que la première chose que je ferai sera de voir monsieur votre fils ; mais pouquoi la mère n’y serait-elle pas ? Pourquoi n’aurions-nous pas le plaisir de nous voir rassemblés ? Voici une belle occasion pour quitter sa gouttière. On ne vous soupçonera point d’être venue à Paris pour les feux d’artifice. On sait assez que vous ne faites de ces voyages-là que pour vos amis. Où êtes-vous à présent, cher gros chat ? Etes-vous à La Neuville ? Y renouez-vous les nœuds d’une ancienne amitié ? Et madame de La Neuville jouit-elle un peu de l’interrègne ? Elle sera trop heureuse de vous avoir retrouvée ; mais nous aurons notre tour, et nous espérons toujours revoir Cirey avant d’habiter le palais de la pointe de l’Ile. Nous les verrons bien tard, ce Cirey et ce Champbonin. Hélas ! Nous avons acheté des meubles à Bruxelles ; c’est la transmigration de Babylone. Je ne suis pas trop content de mon séjour dans ce pays-là. Je me suis ruiné ; et, pour dernier trait, les commis de la douane ont saisi des tableaux qui m’appartiennent. Il y a, comme vous savez, beaucoup de princes à Bruxelles, et peu d’hommes. On entend à tout moment votre altesse, votre excellence. Madame du Châtelet ne sera princesse quez quand sa généalogie sera imprimée ; mais, fût-elle bergère, elle vaut mieux que tout Bruxelles. Elle est plus savante que jamais ; et, si sa supériorité lui permet encore de baisser les yeux sur moi, ce sera une belle action à elle ; car elle est bien haute. Il faut qu’elle cligne les yeux en regardant en bas pour me voir. On va souper ; adieu, cher gros chat. J’embrasse vos pattes de velours.

 

 

1 – Cette lettre a toujours été classée au mois de janvier 1743, et les éditeurs l’y ont laissée, tout en déclarant que cette place ne lui convenait guère. Nous croyons qu’il faut la rejeter au mois d’août 1739. (G.A.)

 

 

 

 

à M. César du Missy

 

 

          J’ai lu avec un plaisir bien vif votre estimable lettre, et madame la marquise du Châtelet y a été aussi sensible que moi ; nous voudrions que tous les gens de votre robe vous ressemblassent.

 

 

Vous êtes prêtre d’Apollon

Autant que de la sainte Eglise :

Sans doute votre main baptise

Avec l’eau du sacré Vallon.

Les vers dont le dieu d’Hélicon

Si pleinement vous favorise

Sont bien au-dessus d’un sermon.

La brillante inspiration,

Dont l’esprit s’enivre au Parnasse,

Est un des beaux coups de la grâce,

Et voilà ma dévotion.

 

 

          Si on avait pensé à peu près dans ce goût-là, monsieur, les hommes eussent vécu plus doucement ; il n’y eût ni concile de Constance, ni de Saint-Barthelémy.

 

 

Ah ! Laissons le pape et Calvin

Disputer, en mauvais latin,

A qui peut, d’une main plus sûre,

Ouvrir et fermer la serrure

Des portes du jardin d’Eden.

Vivons sans crainte et sans chagrin

Dans le jardin de la nature ;

En tout temps, sous d’égales lois,

Cette adorable souveraine

Unit les peuples et les rois ;

La religion, moins humaine,

Les a divisés quelquefois.

 

 

          Je vais passer deux ou trois mois en France, après quoi je reviendrai à Bruxelles ; je remets à ce temps-là à vous parler de la littérature. Je vous prie, monsieur, de me continuer votre amitié ; la dernière lettre que vous m’avez écrite me rend cette amitié si précieuse, que je me dispense déjà des cérémonies qui ne sont pas faites pour elle.

 

 

 

 

 

 

1739-11

 

 

 

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