CORRESPONDANCE - Année 1739 - Partie 12

Publié le par loveVoltaire

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à M. de Cideville

A Paris, le 5 septembre.

 

 

          Mon cher ami, je suis bien coupable, mais comptez que quand on ne vous écrit point, et qu’on ne reçoit point de vos nouvelles, on est bien puni de sa faute. La première chose que je fais en arrivant à Paris, c’est de vous dire combien j’ai tort. Cependant, si je voulais, je trouverais bien de quoi m’excuser ; je vous dirais que j’ai mené une vie errante, et que dans les moments de repos que j’ai eus, j’ai travaillé dans l’intention de vous plaire. Quoique l’air de Bruxelles n’ait pas la réputation d’inspirer de bons vers, je n’ai pas laissé de reprndre ma lime et mon rabot ; et, ne me sentant pas encore tout à fait apoplectique (1), j’ai voulu mettre à profit le temps que la nature veut bien encore laisser à mon imagination.

 

          J’étais en beau train, quand un maudit cartésien, nommé Jean Baunières, m’est venu harceler par un gros livre (2) contre Newton. Adieu les vers ; il faut répondre aux hérétiques, et soutenir la cause de la vérité. J’ai donc remis ma lyre dans mon étui, et j’ai tiré mon compas. A peine travaillais-je à ces tristes discussions, que la divine Emilie s’est trouvée dans la nécessité de partir pour Paris, et me voilà.

 

          J’ai appris, quelques jours avant mon arrivée en cette bruyante ville, que notre Linant avait gagné le prix (3) de l’Académie française. Je lui en ai fait mon compliment, et je m’en réjouis avec vous. C’est vous qui l’avez fait poète, et la moitié du prix vous appartient. J’espère que cet honneur éveillera sa paresse et fortifiera son génie. Il m’a envoyé son discours dans lequel j’ai trouvé de très bonnes choses, et, surtout, ce qui caractérise l’écrivain d’un esprit au-dessus du commun, images et précision. Je lui souhaite de la gloire et de la fortune. J’espère qu’on jouera sa tragédie cet hiver ; on dit qu’il l’a beaucoup corrigée. Je n’en sais rien, je ne l’ai point encore vu ; je n’ai vu personne. Tout ce que je sais, c’est que s’il travaille et s’il est honnête homme, je lui rends toute mon amitié.

 

          Je vais chercher Formont dans le palais de Plutus (4) ; je vais lui parler de vous. Il n’aura peut-être pas la tête tournée, comme l’ont tous les gens de ce pays-ci, qui ne parlent que de feux d’artifice et de fusées volantes, et d’une Madame et d’un Infant qu’ils ne verront jamais. Les hommes sont de grands imbéciles ! Tout le monde paraît occupé profondément d’une marmotte qui n’est point jolie ; mais il faut leur pardonner.

 

          Depuis que le père de la marié est amoureux (5), on dit que tout le monde est gai, et qu’il y a du plaisir, même à Versailles.

 

          Chimon aima, puis devint honnête homme (6).

 

          Bonjour, mon ancien ami ; je vais courir par cette grande ville, et chercher, pour un mois, quelque gîte tranquille où je puisse vous écrire quelquefois. Que dites-vous de Voltaire, qui a des meubles à Bruxelles, et qui loge en chambre garnie à Paris ? Si vous avez quelques ordres à me donner, adressez-les à l’hôtel de Richelieu. Je vous embrasse tendrement.

 

 

 

1 – Alluvion à Jean-Baptiste Rousseau. (G.A.)

 

2 – Examen et réfutation des Eléments de la philosophie de Newton. (G.A.)

 

3 – Le sujet était les Progrès de l’éloquence sous le règne de Louis-le-Grand. (G.A.)

 

4 – Il était devenu sous(fermier. (G.A.)

 

5 – Louis XV avait pris pour maîtresse la comtesse de Mailly. (G.A.)

 

6 – La Fontaine, Courtisane amoureuse.(G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

Samedi, septembre 1739.

 

 

          [Envoi de Mahomet terminé. Reconnaît quelle est la faiblesse de Zulime.]

 

 

 

 

à M. Helvétius

Septembre (1).

 

 

          J’ai trop de remerciements, trop de compliments à vous faire, trop d’éloges à vous donner, mon charmant ami, pour vous écrire. Il faut que je vous voie ; il faut que je vous embrasse. On dit que vous venez à Paris, et que peut-être ma lettre ne vous trouvera pas à Montbard. Si vous y êtes encore, tâchez de quitter M. de Buffon, si cela se peut. Je sens combien il vous en coûtera à tous deux.

 

          Madame du Châtelet vous désire avec la même vivacité que moi. J’ai vu M. de Montmirel (2) ; je n’ai rien vu ici de plus aimable que lui et ce qu’il m’a apporté. Faites souvenir de moi le très philosophe M. de Buffon, à qui je suis bien véritablement attaché. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. Venez, l’espérant et le modèle des philosophes et des poètes.

 

 

1 – Cette lettre, éditée par MM. de Cayrol et A. François, doit être de septembre 1739 et non de 1740. (G.A.)

 

2 – Ami d’Helvétius.

 

 

 

 

à M. l’abbé Du Resnel

 

 

          Je suis aux ordres de la beauté et de l’esprit, et je profiterai, quand madame Dupin voudra, des bontés dont elle veut bien m’honorer. Je compte aussi sur celles de mon grand abbé. Vous n’aurez qu’à disposer du jour, à compter depuis lundi. Farewell and let us be merry.

 

          Je suis bien coupable envers M. et madame Dupré (1) ; mais je demeure au bout du monde, et il n’y a plus ni devoir ni plaisir pour moi. Tout cela changera quand nous nous reverrons un peu à notre aise. Je n’ai pas encore vécu, depuis mon retour ; je n’ai que couru.

 

 

1 – Dupré de Saint-Maur. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

Septembre 1739.

 

 

          [N’ayant pas trois semaines à passer à Paris, il lui témoigne le désir de voir la première représentation (de Zulime, ou plutôt de Mahomet).]

 

 

 

 

à M. de Cideville

 

AU CHÂTEAU DE TOURNEBU, ROUTE DE GAILLON

Ce 26 Septembre.

 

 

 

Tibulle de la Normandie,

Vous qui, ne vivant qu’à la cour

Du dieu des vers et de Lesbie,

Ne voyageâtes de la vie

Que sur les ailes de l’Amour,

Venez à Paris, je vous prie,

Sur les ailes de l’Amitié ;

Voltaire et la reine Emilie,

S’ils n’écoutaient que leur envie,

Du chemin feraient la moitié.

 

 

          Ah ! Mon cher ami, par quel contre-temps cruel ne vous verrai-je qu’un moment ! Je pars mercredi pour Richelieu. Sera-t-il dit que nous ressemblerons aux deux héros du roman de Zaïde (1), qui se virent de loin une fois, et s’éloignèrent pour un temps si long ? Quand nous retrouverons-nous ? Quand passerai-je avec vous le soir tranquille de ce jour nébuleux qu’on nomme la vie ?

 

 

1 – Par madame de La Fayette. (G.A.)

 

 

 

 

à M.***

Paris, 26 Septembre 1739 (1) .

 

 

          Malgré votre prodigieuse indifférence, madame la duchesse de Richelieu vous prie à souper aujourd’hui samedi. Seriez-vous assez malheureux pour n’être point à Paris ? Pour moi, je le suis fort de n’avoir pu vous faire ma cour. C’était bien la peine de quitter Bruxelles ! V.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame de Chambonin

De Paris.

 

 

          Ma chère amie, Paris est un gouffre où se perdent le repos et le recueillement de l’âme, sans qui la vie n’est qu’un tumulte importun. Je ne vis point ; je suis porté, entraîné loin de moi dans des tourbillons. Je vais, je viens ; je soupe au bout de la ville, pour souper le lendemain à l’autre. D’une société de trois ou quatre intimes amis il faut voler à l’opéra, à la comédie, voir des curiosités comme un étranger, embrasser cent personnes en un jour, faire et recevoir cent protestations ; pas un instant à soi, par le temps d’écrire, de penser, ni de dormir. Je suis comme cet ancien qui mourut accablé sous les fleurs qu’on lui jetait.

 

          De cette tempête continuelle, de ce roulis de visites, de ce chaos éclatant, j’allais encore à Richelieu, avec madame du Châtelet ; je partais en poste, ou à peu près, et nous revenions de même, pour aller enterrer à Bruxelles toute cette dissipation. Madame la duchesse de Richelieu s’avise de faire une fausse couche, et voilà un grand voyage de moins. Nous partons probablement au commencement d’octobre, pour aller plaider tristement, après avoir étés ballotés ici assez gaiement, mais trop fort. C’est avoir la goutte après avoir sauté.

 

          Voilà notre vie, mon cher gros chat ; et vous, tranquille dans votre gouttière, vous vous moquez de nos écarts ; et moi, je regrette ces moments pleins de douceur où l’on jouissait à Cirey de ses amis et de soi-même.

 

          Qu’est-ce donc que ce ballot de livres arrivé à Cirey ? Est-ce un paquet d’ouvrages contre moi ? Je vous dirai, en passant, qu’il n’est pas plus question ici des horreurs de l’abbé Desfontaines, que si lui ni les monstres ses enfants n’avaient jamais existé. Ce malheureux ne peut pas plus se fourrer dans la bonne compagnie à Paris, que Rousseau à Bruxelles. Ce sont des araignées qu’on ne trouve point dans les maisons bien tenues.

 

          Mon cher gros chat, je baise mille fois vos pattes de velours.

 

 

 

 

à M. Helvétius

A Paris, le 3 Octobre.

 

 

          Mon jeune Apollon, j’ai reçu votre charmante lettre. Si je n’étais pas avec madame du Châtelet, je voudrais être à Montbard (1). Je ne sais comment je m’y prendrai pour envoyer une courte et modeste réponse (2) que j’ai faite aux anti-newtoniens. Je suis l’enfant perdu d’un parti dont M. de Buffon est le chef, et je suis assez comme les soldats qui se battent de bon cœur, sans trop entendre les intérêts de leur prince. J’avoue que j’aimerais infiniment mieux recevoir de vos ouvrages que vous envoyez les miens. N’aurai-je point le bonheur, mon cher ami, de voir arriver quelque gros paquet de vous avant mon départ ? Pour Dieu, donnez-moi au moins une épître. Je vous ai dédié ma quatre Epître sur la Modération ; cela m’a engagé à la retoucher avec soin. Vous me donnez de l’émulation ; mais donnez-moi donc de vos ouvrages. Votre métaphysique n’est pas l’ennemie de la poésie. Le père Malebranche était quelquefois poète en prose ; mais, vous, vous savez l’être en vers. Il n’avait de l’imagination qu’à contre-temps. Madame du Châtelet a amené avec elle à Paris son Kœnig (3), qui n’a de l’imagination en aucun sens, mais qui, comme vous savez, est ce qu’on appelle grand métaphysicien. Il sait à point nommé de quoi la matière est composée, et il jure, d’après Leibnitz, qu’il est démontré que l’étendue est composée de monades non étendues, et la matière impénétrable composée de petites monades pénétrables. Il croit que chaque monade est un miroir de son univers. Quand on croit tout cela, on mérite de croire aux miracles de saint Pâris. D’ailleurs il est très bon géomètre, comme vous savez, et, ce qui vaut mieux, très bon garçon. Nous irons bientôt philosopher à Bruxelles ensemble, car on n’a point sa raison à Paris. Le tourbillon du monde est cent fois plus pernicieux que ceux de Descartes. Je n’ai encore eu ni le temps de penser, ni celui de vous écrire. Pour madame du Châtelet, elle est toute différente, elle pense toujours, elle a toujours son esprit ; et si elle ne vous a pas écrit, elle a tort. Elle vous fait mille compliments et en dit autant à M. de Buffon.

 

          Le d’Arnaud espère que vous ferez un jour quelque chose pour lui, après Montmirel s’entend ; car il faut que chaque chose soit à sa place.

 

          Si je savais où loge votre aimable Montmirel, si j’avais achevé Mahomet, je me confierais à lui in nomine tuo ; mais je ne suis pas encore prêt, et je pourrai bien vous envoyer de Bruxelles, mon Alcoran.

 

          Adieu, mon cher ami ; envoyez-moi donc de ces vers dont un seul dit tant de choses. Faites ma cour, je vous en prie, à M. de Buffon ; il me plaît tant, que je voudrais bien lui plaire. Adieu ; je suis à vous pour le reste de ma vie.

 

 

1 – Où Buffon demeurait. (G.A.)

 

2 – Voyez tome V, page 716. (G.A.)

 

3 – Célèbre mathématicien qui fit de madame du Châtelet une adpte de la doctrine de Leibnitz. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé du Resnel

 

Ce mercredi, onze heures du matin, à l’hôtel de Brie.

 

 

          L’abbé de Voisenon (1) me mande, mon cher abbé, que vous voulez me venir voir ce matin ; mais, tout malade que je suis, il faut que je sorte. Savez-vous bien ce qu’il faut faire ? Il faut être chez moi à neuf heures précises, avec l’aimable Cideville qu’on dit être arrivé. Vous mangerez la poularde du malade ; vous permettrez que je me couche de bonne heure. Si vous voulez venir avec M. Dupré de Saint-Maur, il vous ramènerait. Mais où loge M. de Cideville ? Vous le savez apparemment.

 

          Bonjour, mon cher grand abbé. V.

 

 

1 – Agé alors de trente et un ans. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

 

CHEZ M. L’ABBÉ BIGNON, OU AU CHÂTEAU DE TOURNEBU,

ROUTE DE ROUEN

 

A Paris, le 11 Octobre.

 

 

          Mon cher ami, je tombai malade le jour même que je devais partir avec M. le duc de Richelieu, et me voici entre MM. Silva et Morand. On ne disait pas trop de bien d’abord de mon cul et de ma vessie ; mais, Dieu merci, ces deux parties misérables ne sont pas offensées. On me saigne, on me baigne. Si vous êtes encore dans le voisinage de Paris, et dans le dessein d’y faire un tour, votre ancin ami gît rue Cloche-Perce, à l’hôtel de Brie, et Emilie plane à l’hôtel Richelieu.

 

          Je vous embrasse mille fois.

 

 

 

RÉPONSE DE CIDEVILLE AU BAS DE LA LETTRE

 

                                                                 Le 12.

 

 

Oui, j’irai, cher ami, dans peu,

Mais tard au gré de mon envie,

Adorer Emilie

A cet hôtel de Richelieu,

Vous baiser à celui de Brie.

Sans m’enivrer du vin du lieu.

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

 

A Paris, ce jeudi 15 Octobre.

 

 

          Mon cher Cideville, voici un jeune homme qui fait des vers, et qui veut en déclamer. Ce serait, je crois, une bonne acquisition pour la troupe de La Noue. Voyez si vous pouvez le recommander ; je souhaite qu’il serve, cet hier, à vos plaisirs. En vous remerciant de celui que vous me fîtes hier.

 

          Il faudra, mon cher ami, pour voir bien à votre aise la divine Emilie, que vous fassiez un souper chez moi avec elle et madame d’Argental. J’arrangerai cette partie aujourd’hui, sans préjudice du plaisir de vous mener chez elle auparavant, et de dîner ensemble, avec cet opéra que j’ai tant d’impatience de voir.

 

          Si vous voulez passer demain chez moi, à midi, nous irons ensemble chez madame du Châtelet ; elle loge à l’hôtel de Richelieu. Si elle était chez elle, vous y eussiez soupé le jour même de votre arrivée. En vérité, si Paris a besoin de bonne compagnie, vous devez y rester. Est-il possible que vous viviez ailleurs, et toujours loin de moi !

 

          Bonjour, ami charmant. V.

 

 

 

 

à M. l’envoyé de …

A Paris, le 18 Octobre. (1)

 

 

          J’avais peur, monsieur, qu’il n’entrât trop d’amour-propre dans le plaisir que m’a fait la traduction italienne de la Henriade de M. Nenci ; mais puisque vous en êtes content, je ne dois plus douter du jugement que j’en ai porté, et je n’ai qu’à remercier l’auteur qui m’a embelli. Je compte avoir l’honneur de vous faire ma cour, dès que j’aurai un peu de santé. Vous connaissez mon tendre et respectueux attachement pour vous.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

 

29 Octobre.

 

 

          [Voltaire lui donne une autorité absolue sur Mahomet et sur Zulime, qu’il a laissé aux deux frères (d’Argental et Pont de Veyle.]

 

 

 

 

à M. de Pont de Veyle

Ce 16 de Novembre, en courant.

 

 

Huc quoque clara tuipervenit fama triumphi,

Languida quo fessi vix venit aura noti.

 

                                                                       OVID., epist., ex Ponto, II.

 

 

          J’apprends dans un village de Liège, en revenant à Bruxelles, que l’homme du monde le plus aimable va être aussi un des plus à son aise. Vous êtes, dit-on, monsieur, intendant des classes de la marine. Il y a longtemps que je suis dans la classe des gens qui vous sont le plus tendrement attachés, et je vous jure qu’il n’y a personne qui sente plus de plaisir, quand il vous arrive des événements agréables, que les deux voyageurs flamands qui vous font ces compliments très sincères et très à la hâte. Madame du Châtelet va vou écrire ; mais je l’ai devancée, afin d’avoir un avantage sur elle, une fois en ma vie. Ce sont des hommes comme vous qu’il faut mettre en place, et non pas des animaux qui ne sont graves que par sottise, et qui ne savent ni donner ni recevoir du plaisir. Je vois que M. de Maurepas aime à placer les gens qui lui ressemblent, et qu’il est bon ami comme bon connaisseur. Adieu, monsieur l’intendant ; il n’est doux de l’être qu’à Versailles et à Paris. Je vous suis attaché pour jamais avec la tendresse la plus respectueuse.

 

 

 

 

 

 

1739-12

 

 

 

 

 

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