Affaire CALAS - Lettre de Donat Calas

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LETTRE DE DONAT CALAS FILS A LA DAME VEUVE CALAS, SA MERE.

 

 

Sous la plume de Voltaire.

 

 

De Châtelaine, 22 juin 1762.

 

 

            Ma chère, infortunée et respectable mère, j’ai vu votre lettre du 15 juin entre les mains d’un ami qui pleurait en la lisant [a] ; je l’ai mouillée de mes larmes. Je suis tombé à genoux ; j’ai prié Dieu de m’exterminer, si aucun de ma famille était coupable de l’abominable parricide imputé à mon père, à mon frère, et dans lequel vous, la meilleure et la plus vertueuse des mères, avez été impliquée vous-même.

 

            Obligé d’aller en Suisse depuis quelques mois pour mon petit commerce, c’est là que j’appris le désastre inconcevable de ma famille entière. Je sus d’abord que vous ma mère, mon père, mon frère Pierre Calas, M. Lavaisse, jeune homme connu pour sa probité et pour la douceur de ses mœurs, vous étiez tous aux fers à Toulouse ; que mon frère aîné, Marc-Antoine Calas, était mort d’une mort affreuse, et que la haine, qui naît si souvent de la diversité des religions, vous accusait tous de ce meurtre. Je tombai malade dans l’excès de ma douleur, et j’aurais voulu être mort.

 

            On m’apprit bientôt qu’une partie de la populace de Toulouse avait crié à notre porte, en voyant mon frère expiré. « C’est son père, c’est sa famille protestante qui l’a assassiné ; il voulait se faire catholique [1], il devait abjurer le lendemain ; son père l’a étranglé de ses mains, croyant faire une œuvre agréable à Dieu ; il a été assisté dans ce sacrifice par son fils Pierre, par sa femme, par le jeune Lavaisse. »

 

            On ajoutait que Lavaisse, âgé de vingt ans, arrivé de Bordeaux le jour même, avait été choisi, dans une assemblée de protestants, pour être le bourreau de la secte, et pour étrangler quiconque changerait de religion. On criait dans Toulouse que c’était la jurisprudence ordinaire des réformes.

 

            L’extravagance absurde de ces calomnies me rassurait ; plus elles manifestaient de démence, plus j’espérais de la sagesse de vos juges.

 

            Je tremblai, il est vrai, quand toutes les nouvelles m’apprirent qu’on avait commencé par faire ensevelir mon frère Marc-Antoine dans une église catholique, sur cette seule supposition imaginaire qu’il devait changer de religion. On nous apprit que la confrérie des pénitents blancs lui avait fait un service solennel comme à un martyr, qu’on lui avait dressé un mausolée, et qu’on avait placé sur ce mausolée sa figure, tenant dans les mains une palme.

 

            Je ne pressentis que trop les effets de cette précipitation et de ce fatal enthousiasme. Je connus que, puisqu’on regardait mon frère Marc-Antoine comme un martyr, on ne voyait dans mon père, dans vous, dans mon frère Pierre, dans le jeune Lavaisse, que des bourreaux. Je restai dans une horreur stupide un mois entier. J’avais beau me dire à moi-même : Je connais mon malheureux frère, je sais qu’il n’avait point le dessein d’abjurer ; je sais que s’il avait voulu changer de religion, mon père et ma mère n’auraient jamais gêné sa conscience ; ils ont trouvé bon que mon autre frère se fit catholique ; ils lui font une pension ; rien n’est plus commun, dans les familles de ces provinces, que de voir des frères de religion différente ; l’amitié fraternelle n’en est point refroidie ; la tolérance heureuse, cette sainte et divine maxime dont nous faisons profession, ne nous laisse condamner personne ; nous ne savons point prévenir les jugements de Dieu ; nous suivons les mouvements de notre conscience sans inquiéter celle des autres.

 

            Il est incompréhensible, disais-je, que mon père et ma mère, qui n’ont jamais maltraité aucun de leurs enfants, en qui je n’ai jamais vu ni colère ni humeur, qui jamais en leur vie n’ont commis la plus légère violence, aient passé tout d’un coup d’une douceur habituelle de trente années à la fureur inouïe d’étrangler de leurs mains leur fils aîné, dans la crainte chimérique qu’il ne quittât une religion qu’il ne voulait point quitter.

 

            Voila, ma mère, les idées qui me rassuraient ; mais à chaque poste c’étaient de nouvelles alarmes. Je voulais venir me jeter à vos pieds et baiser vos chaînes. Vos amis, mes protecteurs me retinrent par des considérations aussi puissantes que ma douleur.

 

            Ayant passé près de deux mois dans cette incertitude effrayante, sans pouvoir ni recevoir de vos lettres, ni vous faire parvenir les miennes, je vis enfin les mémoires produits pour la justification de l’innocence. Je vis dans deux de ces factums précisément la même chose que vous dites aujourd’hui dans votre lettre du 15 juin, que mon malheureux frère Marc-Antoine avait soupé avec vous avant sa mort, et qu’aucun de ceux qui assistèrent à ce dernier repas de mon frère ne se sépara de la compagnie qu’au moment fatal où l’on s’aperçu de sa fin tragique [2].

 

            Pardonnez-moi si je vous rappelle toutes ces images horribles ; il le faut bien. Nos malheurs nouveaux vous retracent continuellement les anciens, et vous ne me pardonneriez pas de ne point rouvrir vos blessures. Vous ne sauriez croire, ma mère, quel effet favorable fit sur tout le monde cette preuve que mon père, et vous, et mon frère Pierre, et le sieur Lavaisse, vous ne vous étiez pas quittés un moment dans le temps qui s’écoula entre ce triste souper et votre emprisonnement.

 

            Voici comme on a raisonné dans tous les endroits de l’Europe où notre calamité est parvenue ; j’en suis bien informé, et il faut que vous le sachiez. On disait : Si Marc-Antoine Calas a été étranglé par quelqu’un de sa famille, et Lavaisse, et la servante [3] furent toujours tous ensemble ; les juges en conviennent ; rien n’est plus avéré. Ou tous les prisonniers sont coupables, ou aucun d’eux ne l’est ; il n’y a pas de milieu. Or il n’est pas dans la nature qu’une famille jusque-là irréprochable, un père tendre, la meilleure des mères, un frère qui aimait son frère, un ami qui arrivait dans la ville, et qui par hasard avait soupé avec eux, aient pu prendre tous à la fois, et en un moment, sans aucune raison, sans le moindre motif, la résolution inouïe de commettre un parricide. Un tel complot dans de telles circonstances est impossible [4]) ; l’exécution en est plus impossible encore. Il est donc infiniment probable que les juges répareront l’affront fait à l’innocence.

 

            Ces discours me soutenaient un peu dans mon accablement.

 

            Toutes ces idées de consolation ont été bien vaines. La nouvelle arriva, au mois de mars, du supplice de mon père.

 

            Une lettre qu’on voulait me cacher, et que j’arrachai, m’apprit ce que je n’ai pas la force d’exprimer, et ce qu’il vous a fallu si souvent entendre.

 

            Soutenez-moi, ma mère, dans ce moment où je vous écris en tremblant, et donnez-moi votre courage : il est égal à votre horrible situation. Vos enfants dispersés, votre fils aîné mort à vos yeux, votre mari, mon père, expirant du plus cruel des supplices, votre dot perdue, l’indigence et l’opprobre succédant à la considération et à la fortune : voilà donc votre état ? Mais Dieu vous reste, il ne vous a pas abandonnée ; l’honneur de mon père vous est cher ; vous bravez les horreurs de la pauvreté, de la maladie, de la honte même, pour venir de deux cents lieues  implorer au pied du trône la justice du roi ; si vous parvenez à vous faire entendre, vous l’obtiendrez sans doute [5].

 

            Que pourrait-on opposer aux cris et aux larmes d’une mère et d’une veuve, et aux démonstrations de la raison ? Il est prouvé que mon père ne vous a pas quittée, qu’il a été constamment avec vous et avec tous les accusés dans l’appartement d’en haut, tandis que mon malheureux frère était mort au bas de la maison. Cela suffit. On a condamné mon père au dernier et au plus affreux des supplices ; mon frère est banni par un second jugement ; et, malgré son bannissement, on le met dans un couvent de jacobins de la même ville. Vous êtes hors de cour, Lavaisse hors de cour. Personne n’a conçu ces jugements extraordinaires et contradictoires. Pourquoi mon frère n’est-il que banni, s’il est coupable du meurtre de son frère ?

 

            Tout ce que je sais, c’est que les juges, sur des indices trompeurs, voulaient condamner tous les accusés au supplice, et qu’ils se contentèrent de faire périr mon père, dans l’idée où ils étaient que cet infortuné avouerait, en expirant, le crime de toute la famille. Ils furent étonnés, m’a-t-on dit, quand mon père, au milieu des tourments, prit Dieu à témoin de son innocence et de la vôtre, et mourut en priant ce Dieu de miséricorde de faire grâce à ces juges de rigueur que la calomnie avait trompés. 

 

            Ce fut alors qu’ils prononcèrent l’arrêt qui vous a rendu la liberté [6], mais qui ne vous a rendu ni nos biens dissipés, ni votre honneur indignement flétri, si pourtant l’honneur dépend de l’injustice des hommes.

 

            Ce ne sont pas les juges que j’accuse : ils n’ont pas voulu sans doute assassiner juridiquement l’innocence ; j’impute tout aux calomnies, aux indices faux, mal exposés, aux rapports de l’ignorance [7], aux méprises extravagantes de quelques déposants, aux cris d’une multitude insensée, et à ce zèle furieux qui veut que ceux qui ne pensent pas comme nous soient capables des plus grands crimes.

 

            Il vous sera aisé sans doute de dissiper les illusions [8] qui ont surpris des juges, d’ailleurs intègres et éclairés ; car enfin, puisque mon père a été le seul condamné, il faut que mon père ait commis seul le parricide. Mais comment se peut-il faire qu’un vieillard de soixante et huit ans, que j’ai vu pendant deux ans attaqué d’un rhumatisme sur les jambes, ait seul pendu un jeune homme de vingt-huit ans, dont la force prodigieuse et l’adresse singulière étaient connues ?

 

            Si le mot de ridicule pouvait trouver place au milieu de tant d’horreurs, le ridicule excessif de cette supposition suffirait seul, sans autre examen, pour nous obtenir la réparation qui nous est due. Quels misérables indices, quels discours vagues, quels rapports populaires pourront tenir contre l’impossibilité physique démontrée ?

 

            Voilà où je m’en tiens. Il est impossible que mon père, que même deux personnes aient pu étrangler mon frère ; il est impossible, encore une fois, que mon père soit seul coupable, quand tous les accusés ne l’ont pas quitté d’un moment. Il faut donc absolument, ou que les juges aient condamné un innocent, ou qu’ils aient prévariqué, en ne purgeant pas la terre de quatre monstres coupables du plus horrible crime.

 

            Plus je vous aime et vous respecte, ma mère, moins j’épargne les termes. L’excès de l’horreur dont on vous a chargée ne sert qu’à mettre au jour l’excès de votre malheur et de votre vertu. Vous demandez à présent ou la mort ou la justification de mon père ; je me joins à vous, et je demande la mort avec vous, si mon père est coupable.

 

Obtenez seulement que les juges produisent le procès criminel ; c’est tout ce que je veux, c’est ce que tout le monde désire, et ce qu’on ne peut refuser. Toutes les nations, toutes les relations, y sont intéressées. La justice est peinte un bandeau sur les yeux, mais doit-elle être muette ? Pourquoi, lorsque l’Europe demande compte d’un arrêt si étrange, ne s’empresse-t-on pas à le donner ?

 

C’est pour le public que la punition des scélérats est décernée : les accusations sur lesquelles on les punit doivent donc être publiques. On ne peut retenir plus longtemps dans l’obscurité ce qui doit paraître au grand jour. Quand on veut donner quelque idée des tyrans des hommes. Les juges de Toulouse ne sont point des tyrans, ils sont les ministres des lois, ils jugent au nom d’un roi juste ; s’ils ont été trompés, c’est qu’ils sont hommes : ils peuvent le reconnaître, et devenir eux-mêmes vos avocats auprès du trône.

 

Adressez-vous donc à monsieur le chancelier, à messieurs les ministres, avec confiance. Vous êtes timide, vous craignez de parler, mais votre cause parlera. Ne croyez point qu’à la cour on soit aussi insensible, aussi dur, aussi injuste que l’écrivent d’impudents raisonneurs, à qui les hommes de tous les états sont également inconnus. Le roi veut la justice ; c’est la base de son gouvernement ; son conseil n’a certainement nul intérêt que cette justice ne soit pas rendue. Croyez-moi, il y a dans les cœurs de la compassion et de l’équité : les passions turbulentes et les préjugés étouffent souvent en nous ces sentiments ; et le conseil du roi n’a certainement ni passion dans cette affaire, ni préjugé qui puisse éteindre ses lumières.

 

Qu’arrivera-t-il enfin ? Le procès criminel sera-t-il mis sous les yeux du public ?  Alors on verra si le rapport contradictoire [9] d’un chirurgien, et quelques méprises frivoles, doivent l’emporter sur les démonstrations les plus évidentes que l’innocence ait jamais produites. Alors on plaindra les juges de voir point vu par leurs yeux dans une affaire si importante, et de s’en être rapportés à l’ignorance ; alors les juges eux-mêmes [10] joindront leurs voix aux nôtres. Refuseront-ils de tirer la vérité de leur greffe ? Cette vérité s’élèvera alors avec plus de force [11].

 

Persistez donc, ma mère, dans votre entreprise ; laissons là notre fortune ; nous sommes cinq enfants sans pain, mais nous avons tous le l’honneur, et nous le préférons comme vous à la vie. Je me jette à vos pieds, je les baigne de mes pleurs ; je vous demande votre bénédiction avec un respect que vos malheurs augmentent.

 

Donat Calas.

 

 

[a] C’est Voltaire (G.A)

 

[1] On a dit qu’on l’avait vu dans une eglise. Est-ce une preuve qu’il devait abjurer ? Ne voit-on pas tous les jours des catholiques venir entendre les prédicateurs célèbres en Suisse, dans Amsterdam, à Genève, etc. ? Enfin il est prouvé que Marc-Antoine Calas n’avait pris aucunes mesures pour changer de religion ; ainsi nul motif de la colère prétendue de ses parents.

 

[2] Il est de la plus grande vraisemblance que Marc-Antoine Calas se défit lui-même ; il était mécontent de sa situation ; il était sombre,  atrabilaire, et lisait souvent des ouvrages sur le suicide. Lavaisse, avant le souper, l’avait trouvé dans une profonde rêverie. Sa mère s’en était aussi aperçue. Ces mots, je brûle, répondus à la servante, qui lui proposait d’approcher du feu, sont d’un grand poids. Il descend seul en bas après souper. Il exécute sa resolution funeste. Son frère, au bout de deux heures, en conduisant Lavaisse, est témoin de ce spectacle. Tous deux s’écrient ; le père vient ; on dépend le cadavre : voilà la première cause du jugement porté contre cet infortuné père. Il ne veut pas d’abord dire aux voisins, aux chirurgiens : Mon fils s’est pendu ; il faut qu’on le traîne sur la claie, et qu’on déshonore ma famille. Il n’avoue la vérité que lorsqu’on ne peut plus la celer. C’est sa piété paternelle qui l’a perdu : on a cru qu’il était coupable de la mort de son fils, parce qu’il n’avait pas voulu d’abord accuser son fils (*)

 

(*) Avant 1789, on punissait rigoureusement le suicide. La justice ordonnait que le mort fût trainé sur une claie, pendu par les pieds, et ensuite jeté à la voirie. (G.A)

 

[3] Cette servante est catholique et pieuse ; elle était dans la maison depuis trente ans, elle avait beaucoup servi à la conversion d’un des enfants du sieur Calas. Son témoignage est du plus grand poids. Comment n’a-t-il pas prévalu sur les presomptions les plus trompeuses ?

 

[4] Dans quel temps le père aurait-il pu pendre son fils ? Ce n’est pas avant le souper, puisqu’ils soupèrent ensemble ; ce n’est pas pendant le souper, ce n’est pas après le souper, puisque le père et la famille étaient en haut quand le fils était descendu. Comment le père, assisté même de main-forte, aurait-il pu pendre son fils aux deux battants d’une porte au rez-de-chaussée, sans un violent combat, sans un tumulte horrible ? Enfin, pourquoi ce père aurait-il pendu son fils ? Pour le dépendre ? Quelle absurdité dans ces accusations !

[5] Mais pour se faire entendre, il fallait, disait Voltaire, soulever l’opinion. Il y parvint. (G.A.)

 

[6] C’est l’arrêt du 18 mars. (G.A.)

 

[7] Quand le  père et la mère én larmes étaient, vers les dix heures du soir, auprès de leur fils Marc-Antoine, déjà mort et froid, il s’écriaient, ils poussaient des cris pitoyables, ils éclataient en sanglots ; ce sont ces sanglots, ces cris paternels, qu’on a imaginé être les cris mêmes de Marc-Antoine Calas, mort deux heures auparavant : et c’est sur cette méprise qu’on a cru qu’un père et une mère qui pleuraient leur fils mort assassinaient ce fils ; et c’est sur cela qu’on a jugé.

 

[8] Un témoin a prétendu qu’on avait entendu Calas père menacer son fils quelques semaines auparavant. Quel rapport des menaces paternelles peuvent-elles avoir avec un parricide ? Marc-Antoine Calas passait sa vie à la paume, au billard, dans les salles d’armes ; le père le menaçait s’il ne changeait pas. Cette juste correction de l’amour paternel, et peut-être quelque vivacité, prouveront-elles le crime le plus atroce et le plus denaturé ?

 

[9] De très mauvais physiciens ont prétendu qu’il n’était pas possible que Marc-Antoine se fût pendu. Rien n’est pourtant si possible : ce qui ne l’est pas, c’est qu’un vieillard ait pendu, au bas de la maison, un jeune homme robuste tandis que ce vieillard était en haut.

 

NB : Le père, en arrivant sur le lieu où son fils était suspendu, avait voulu couper la corde ; elle avait cédé d’elle-même ; il crut l’avoir coupée : il se trompa sur ce fait inutile devant les juges, qui le crurent coupable. […]

 

[10] Qu’on oppose indices à indices, dépositions à dépositions, conjectures à conjectures ; et les avocats qui ont défendu la cause des accuses sont prets de faire voir l’innocence de celui qui a été sacrifié. S’il ne s’agit que de convictions, on s’en rapporte à l’Europe entière. S’il s’agit d’un examen juridique, on s’en rapporte à tous les magistrats, à ceux de Toulouse même, qui, avec le temps, se feront un honneur et un devoir de réparer, s’il est possible, un malheur dont plusieurs d’entre eux sont effrayés aujourd’hui. Qu’ils descendent dans eux-mêmes, qu’ils voient par quel raisonnement ils se sont dirigés. Ne se sont-ils pas dit : Marc-Antoine n’a pu se pendre lui-même ; donc d’autres l’ont pendu : il a soupé avec sa famille et avec Lavaisse ; donc il a été étranglé par sa samille et par Lavaisse : on l’a vu une ou deux fois, dit-on, dans une église ; donc sa famille protestante l’a étranglé par principe de religion, Voilà les présomptions qui les excusent ;

 

Mais à présent les juges se disent : Sans doute Marc-Antoine Calas a pu renoncer a la vie ; il est physiquement impossible que son père seul l’ait étranglé ; donc son père seul ne devait pas périr ; il nous est prouve que la mère, et son fils Pierre, et Lavaisse, et la servante, qui seuls pouvaient être coupables avec le père, sont tous innocents, puisque nous les avons tous élargis ; donc il nous est prouvé que Calas, le père, qui ne les a point quittés un instant, est innocent comme eux.

 

Il est reconnu que Marc-Antoine Calas ne devait pas adjurer ; donc il est impossible que son père l’ait immolé à la fureur du fanatisme. Nous n’avons aucun témoin oculaire, et il ne peut en être. Il n’y a eu que des rapports d’après des ouï-dire : or, ces vains rapports ne peuvent balancer la déclaration de Calas sur la roue, et l’innocence avérée des autres accusés ; donc Calas, le père, que nous avons roué, était innocent ; donc nous devons pleurer sur le jugement que nous avons rendu ; et ce n’est pas là le premier exemple d’un si juste et ni noble repentir.

 

 

[11] A ce moment, le parlement de Toulouse ne voulait pas même communiquer l’énoncé de l’arrêt. (G.A)

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