COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 4

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COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

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- Partie 4 -

 

 

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COMMENTAIRE

 

SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES

DE L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

III.

 

 

 

 

 

 

      "La noblesse entre en quelque façon dans l'essence de la monarchie, dont la maxime fondamentale (1) est : Point de monarque, point de noblesse ; point de noblesse, point de monarque. Mais on a un despote." (Page 7, édit. de Leyde, in-4°, de l'Esprit des lois, liv. II, chapitre IV.)

 

      Cette maxime fait souvenir de l'infortuné Charles Ier, qui disait : Point d'évêques, point de monarque. Notre grand Henri IV aurait pu dire à la faction des Seize : Point de noblesse, point de monarque. Mais qu'on me dise ce que je dois entendre par noblesse et par monarque.

 

      Les Grecs et ensuite les Romains entendaient par le mot grec despotès un père de famille, un maître de maison, despotès, herus, patronuys, despoïna, hera, patrona, opposé à thérapon ou theraps, famulus, servus. Il me semble qu'aucun Grec, qu'aucun Romain, ne se servit du mot despote, ou d'un dérivé de despotès, pour signifier un roi. Despoticus ne fut jamais un mot latin (2). Les Grecs du moyen âge s'avisèrent, vers le commencement du quinzième siècle, d'appeler despotes des seigneurs très faibles, dépendants de la puissance des Turcs, despotes de Servie, de Valachie, qu'on ne regardait que comme des maîtres de maison. Aujourd'hui les empereurs de Turquie, de Maroc, de Perse, de l'Indoustan, de la Chine, sont appelés par nous despotes ; et nous attachons à ce titre l'idée d'un fou féroce qui n'écoute que son caprice ; d'un barbare qui fait ranger devant lui ses courtisans prosternés, et qui pour se divertir ordonne à ses satellites d'étrangler à droite et d'empaler à gauche.

 

      Le terme de monarque emportait originairement l'idée d'une puissance bien supérieure à celle du mot despote : il signifiait seul prince, seul dominant, seul puissant ; il semblait exclure toute puissance intermédiaire.

 

      Ainsi chez presque toutes les nations les langues se sont dénaturées. Ainsi les mots de pape, d'évêque, de prêtre, de diacre, d'église, de jubilé, de pâques, de fêtes, noble, vilains, moine, chanoine, clerc, gendarme, chevalier, et une infinité d'autres, ne donnent plus les mêmes idées qu'ils donnaient autrefois ; c'est à quoi l'on ne saurait faire trop d'attention dans toutes ses lectures.

 

      J'aurais désiré que l'auteur, ou quelque autre écrivain de sa force, nous eût appris clairement pourquoi la noblesse est l'essence du gouvernement monarchique. On serait porté à croire qu'elle est l'essence du gouvernement féodal, comme en Allemagne, et de l'aristocratie comme à Venise (3).

 

 

 

 

 

 

 

1 - Le mot fondamentale n'est pas dans le texte de Montesquieu. (G.A.)

 

2 - Voyez, dans la CORRESPONDANCE, la lettre à M. Gin, écrite au moment où Voltaire faisait ce commentaire ; juin 1777. (G.A.)

 

3 - Il ne peut y avoir aucune autre différence entre le despotisme et la monarchie que l'existence de certaines règles, de certaines formes, de certains principes, consacrés par le temps et l'opinion, et dont le monarque se fait une loi de ne pas s'écarter. S'il n'est lié par son serment, par la crainte d'aliéner les esprits de sa nation, le gouvernement est monarchique ; mais s'il existe un corps, une assemblée, du consentement desquels il ne puisse se passer lorsqu'il veut déroger à ces lois premières ; si ce corps a le droit de s'opposer à l'exécution de ces lois nouvelles, lorsqu'elles sont contraires aux lois établies, dès lors il n'y a plus de monarchie, mais une aristocratie. Le monarque, pour être juste, est censé devoir respecter les règles consacrées par l'opinion, tandis que le despote n'est obligé de respecter que les premiers principes du droit naturel, la religion, les mœurs. La différence est moins dans la forme de la constitution que dans l'opinion des peuples, qui ont une idée plus ou moins étendue de ce qui constitue les droits de l'homme et du citoyen.

 

Or il est difficile, en admettant cette explication, de deviner pourquoi il faut qu'il y ait dans une monarchie un corps d'hommes jouissant de privilèges héréditaires. Les privilèges sont une charge de plus pour le peuple, un découragement pour tout homme de mérite qui ne fait point partie de ce corps. Montesquieu pouvait-il croire que dans un pays éclairé un homme sans noblesse, mais ayant de l'éducation, n'aurait pas autant de noblesse d'âme, d'horreur pour les bassesses, qu'un gentilhomme ? Croyait-il que la connaissance des droits de l'humanité ne donne pas autant d'élévation que celle des prérogatives de la noblesse ? Ne vaudrait-il pas mieux chercher à donner aux âmes des hommes de tous les états plus d'énergie, que de vouloir conserver dans celle des nobles quelques restes de l'orgueil de leur ancienne indépendance ? Ne serait-il point plus utile au peuple d'une monarchie de chercher les moyens d'y établir un ordre plus simple, au lieu d'y conserver soigneusement les restes de l'anarchie ?

 

Il est sûr que dans toute monarchie modérée, où les propriétés sont assurées, il y aura des familles qui, ayant conservé des richesses, occupé des places, rendu des services pendant plusieurs générations, obtiendront une considération héréditaire : mais il y a loin de la à la noblesse, ses exemptions, à ses prérogatives, aux chapitres nobles, aux tabourets, aux cordons, aux certificats des généalogistes, à toutes ces inventions nuisible ou ridicules dont une monarchie peut sans doute se passer.

 

L'auteur de cette note prend la liberté d'assurer ses lecteurs, s'il en a, qu'en plaisant la cause du bonheur du peuple contre la vanité des nobles, ce ne sont point du tout ses intérêts qu'il défend ici. (K.) - Condorcet, auteur de cette note, était marquis. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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