HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DU CHRISTIANISME - 1776 - Partie 18

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CHAPITRE VII.

 

Des disciples de Jésu.

 

 

 

          Un homme sensé ne peut voir dans ce Juif qu’un paysan un peu plus éclairé que les autres, quoiqu’il soit incertain s’il savait lire et écrire. Il est visible que son seul but était de faire une petite secte dans la populace des campagnes, à peu près comme l’ignorant et le fanatique Fox en établit une parmi nous, laquelle a eu depuis des hommes très estimables.

 

          Tous deux prêchèrent quelquefois une bonne morale. La plus vile canaille jetterait des pierres en tout pays à quiconque en prêcherait une mauvaise. Tous deux déclamèrent violemment contre les prêtres de leur temps. Fox fut pilorié, et Jésu fut pendu. Ce qui prouve que nous valons mieux que les Juifs.

 

          Jamais ni Jésu ni Fox ne voulurent établir une religion nouvelle. Ceux qui ont écrit contre Jésu ne l’en ont point accusé. Il est visible qu’il fut soumis à la loi mosaïque depuis sa circoncision jusqu’à sa mort (1).

 

          Ses disciples, ulcérés du supplice de leur maître, ne purent s’en venger ; ils se contentèrent de crier contre l’injustice de ses assassins, et ils ne trouvèrent d’autre manière d’en faire rougir les pharisiens et les scribes, que de dire que Dieu l’avait ressuscité. Il est vrai que cette imposture était bien grossière ; mais ils la débitaient à des hommes grossiers, accoutumés à croire tout ce qu’on inventa jamais de plus absurde, comme les enfants croient toutes les histoires de revenants et de sorciers qu’on leur raconte.

 

          Matthieu a beau contredire les autres évangélistes, en disant que Jésus n’apparut que deux fois à ses disciples après sa résurrection ; Marc a beau contredire Matthieu, en disant qu’il apparut trois fois ; Jean a beau contredire Matthieu et Marc en parlant de quatre apparitions ; en vain Luc dit que Jésu, dans sa dernière apparition, mena ses disciples jusqu’en Béthanie, et là monta au ciel en leur présence, tandis que Jean dit que ce fut dans Jérusalem ; en vain l’auteur des Actes des apôtres assure-t-il que ce fut sur la montagne des Oliviers, et que Jésu étant monté au ciel, deux hommes vêtus de blanc en descendirent pour leur certifier qu’il reviendrait : toutes ces contradictions, qui frappent aujourd’hui des yeux attentifs, ne pouvaient être connues des premiers chrétiens. Nous avons déjà remarqué que chaque petit troupeau avait son Evangile à part : on ne pouvait comparer ; et quand même on l’aurait pu, pense-t-on que des esprits prévenus et opiniâtres auraient examiné ? Cela n’est pas dans la nature humaine. Tout homme de parti voit dans un livre ce qu’il y veut voir.

 

          Ce qui est certain, c’est qu’aucun des compagnons de Jésu ne songeait alors à faire une religion nouvelle. Tous circoncis et non baptisés, à peine le Saint-Esprit était-il descendu sur eux en langues de feu dans un grenier, comme il a coutume de descendre, et comme il est rapporté dans le livre des Actions des apôtres ; à peine eurent-ils converti en un moment dans Jérusalem trois mille voyageurs qui les entendaient parler toutes leurs langues étrangères, lorsque ces apôtres leur parlaient dans leur patois hébreu ; à peine enfin étaient-ils chrétiens, qu’aussitôt ces compagnons de Jésu vont prier dans le temple juif, où Jésu allait lui-même. Ils passaient les jours dans le temple, perdurantes in templo (2) Pierre et Jean montaient au temple pour être à la prière de la neuvième heure. Petrus (3) et Johannes asendebant in templum ad horam orationis nonam.

 

          Il est dit dans cette histoire étonnante des Actions des apôtres, qu’ils convertirent et qu’ils baptisèrent trois mille hommes en un jour, et cinq mille en un autre. Où les menèrent-ils baptiser ? dans quel lac les plongèrent-ils trois fois selon le rite juif ? La rivière du Jourdain, dans laquelle seule on baptisait, est à huit lieues de Jérusalem. C’était là une belle occasion d’établir une nouvelle religion à la tête de huit mille enthousiastes : cependant ils n’y songèrent pas. L’auteur avoue que les apôtres ne pensaient qu’à amasser de l’argent. « Ceux qui possédaient des terres et des maisons les vendaient, et en apportaient le prix aux pieds des apôtres. »

 

          Si l’aventure de Saphira et d’Ananias était vraie, il fallait ou que tout le monde frappé de terreur embrassât sur-le-champ le christianisme en frémissant, ou que le sanhédrin fît pendre les douze apôtres comme des voleurs et des assassins publics.

 

          On ne peut s’empêcher de plaindre cet Ananias et cette Saphira, tous deux exterminés l’un après l’autre, et mourant subitement d’une mort violente (quelle qu’elle pût être), pour avoir gardé quelques écus qui pouvaient subvenir à leurs besoins, en donnant tout leur bien aux apôtres. Milord Bolingbroke a bien raison de dire que « la première profession de foi qu’on attribue à cette secte appelée depuis l’onguent (4) ou christianisme, est : Donne-moi tout ton bien, ou je vais te donner la mort. C’est donc là ce qui a enrichi tant de moines aux dépens des peuples ; c’est donc là ce qui a élevé tant de tyrannies sanguinaires ! »

 

          Remarquons toujours qu’il n’était pas encore question d’établir une religion différente de la loi mosaïque ; que Jésu, né Juif, était mort Juif, que tous les apôtres étaient Juifs, et qu’il ne s’agissait que de savoir si Jésu avait été prophète ou non.

 

          Une aussi étonnante révolution que celle de la secte chrétienne dans le monde ne pouvait s’opérer que par degrés ; et pour passer de la populace juive sur le trône des Césars, il fallut plus de trois cent trente années.

 

 

 

 

1 – C’est aussi l’opinion des critiques modernes. Voyez De Potter, Histoire du christianisme. (G.A.)

 

2 – Actes des apôtres, ch. II.

 

3 – Ch. III.

 

4 – Christ signifie oint ; christianisme, onguent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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