EXTRAIT DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER - Partie 8

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EXTRAIT DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER - Partie 8

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EXTRAIT DES SENTIMENTS

DE

JEAN MESLIER.

 

 

 

(Partie 8)

 

 

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CHAPITRE IV.

 

Troisième preuve de la fausseté de la religion,

tirée des prétendues visions et révélations divines.

 

 

 

 

 

          Venons aux prétendues visions et révélations divines, sur lesquelles nos christicoles fondent et établissent la vérité et la certitude de leur religion.

 

         Pour en donner une juste idée, je ne crois pas qu’on puisse mieux faire que de dire en général qu’elles sont telles, que si quelqu’un osait maintenant se vanter d’en avoir de semblables, et qu’il voulût s’en prévaloir, on le regarderait infailliblement comme un fou, un fanatique.

 

         Voici quelles furent ces prétendues visions et révélations divines.

 

        Dieu, disent les prétendus saints livres, s’étant pour la première fois apparu à Abraham, lui dit : « Sortez de votre pays (il était alors en Chaldée), quittez la maison de votre père, et allez-vous-en au pays que je vous montrerai. » Cet Abraham y étant allé, Dieu, dit l’histoire, Gen., XII 7, apparut une seconde fois à lui et lui dit : « Je donnerai tout ce pays-ci où vous êtes à votre postérité. » En reconnaissance de cette gracieuse promesse, Abraham lui dressa un autel.

 

          Après la mort d’Isaac, son fils Jacob allant un jour en Mésopotamie, pour chercher une femme qui lui fût convenable, ayant marché tout le jour, se sentant fatigué du chemin, il voulut se reposer sur le soir ; couché par terre, sa tête appuyée sur quelques pierres pour s’y reposer, il s’endormit, et pendant son sommeil il vit en songe une échelle dressée de la terre à l’extrémité du ciel, et il lui semblait voir les anges monter et descendre par cette échelle, et qu’il voyait Dieu lui-même s’appuyer sur le plus haut bout, lui disant « Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham et le Dieu d’Isaac votre père ; je vous donnerai, à vous et à votre postérité, tout le pays où vous dormez elle sera aussi nombreuse que la poussière de la terre ; elle s’étendra depuis l’orient jusqu’à l’occident, et depuis le midi jusqu’au septentrion ; je serai votre protecteur partout où vous irez ; je vous ramènerai sain et sauf de cette terre, et je ne vous abandonnerai point que je n’aie accompli tout ce que je vous ai promis. » Jacob, s’étant éveillé dans ce songe, fut saisi de crainte, et dit : « Quoi ! Dieu est vraiment ici, et je n’en savais rien ! Ah ! que ce lieu-ci est terrible, puisque ce n’est autre chose que la maison de Dieu et la porte du ciel ! » Puis s’étant levé, il dressa une pierre sur laquelle il répandit de l’huile en mémoire de ce qui venait de lui arriver, et fit en même temps vœu à Dieu que s’il revenait saint et sauf il lui offrirait la dîme de tout ce qu’il aurait.

 

          Voici encore une autre vision. Gardant les troupeaux de son beau-père Laban, qui lui avait promis que tous les agneaux de diverses couleurs que les brebis produiraient seraient sa récompense, il songea une nuit qu’il voyait les mâles sauter sur les femelles, et qu’elles lui produisaient toutes des agneaux de diverses couleurs. Dans ce beau songe Dieu lui apparut, et lui dit : « Regardez et voyez comme les mâles montent sur les femelles, et, comme ils sont de diverses couleurs ; car j’ai vu la tromperie et l’injustice que vous fait Laban votre beau-père : levez-vous donc maintenant ; sortez de ce pays-ci, et retournez dans le vôtre. » Comme il s’en retournait avec toute sa famille, et avec ce qu’il avait gagné chez son beau-père, il eut, dit l’histoire, rencontré pendant la nuit un homme inconnu, contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jusqu’au point du jour ; et cet homme ne l’ayant pu vaincre, il lui demanda qui il était ; Jacob lui dit son nom. « Vous ne serez plus appelé Jacob, mais Israël ; car puisque vous avez été fort en combattant contre Dieu, à plus forte raison serez-vous fort en combattant contre les hommes. » Gen. XXXII, 25,28.

 

          Voilà quelles furent en partie les premières de ces prétendues visions et révélations divines. Il ne faut pas juger autrement des autres que de celles-ci. Or quelle apparence de divinité y a-t-il dans des songes si grossiers et dans des illusions si vaines ? Si quelques personnes venaient maintenant nous conter de pareilles sornettes, et les crussent pour de véritables révélations divines ; comme, par exemple, si quelques étrangers, quelques Allemands venus dans notre France, et qui auraient vu toutes les plus belles provinces du royaume, venaient à dire que Dieu leur serait apparu dans leur pays, qu’il leur aurait dit de venir en France, et qu’il leur donnerait à eux et à tous leurs descendants toutes les belles terres, seigneuries et provinces de ce royaume, qui sont depuis les fleuves du Rhin et du Rhône, jusqu’à la mer océane ; qu’il ferait une éternelle alliance avec eux, qu’il multiplierait leur race ; qu’il rendrait leur postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que les grains de sable de la mer, etc., etc. ; qui ne rirait de telles sottises, et qui ne regarderait ces étrangers comme des fous ? Il n’y a certainement personne qui ne les regardât comme tels, et qui ne se moquât de toutes ces belles visions et révélations divines.

 

          Or il n’y a aucune raison de juger ni de penser autrement de tout ce qu’on fait dire à ces grands prétendus saints patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, sur les prétendues révélations divines qu’ils disaient avoir eues.

 

      A l’égard de l’institution des sacrifices sanglants, les livres sacrés l’attribuent manifestement à Dieu. Comme il serait trop ennuyeux de faire les détails dégoûtants de ces sortes de sacrifices, je renvoie le lecteur à l’Exode, chap. XXV, 1 ; XXVII, 1 et 21 ; XXVIII, 3 ; XXIX, 1 ; ibid, v, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

 

        Mais les hommes n’étaient-ils pas bien fous et bien aveuglés de croire faire honneur à Dieu de déchirer, tuer et brûler ses propres créatures, sous prétexte de lui en faire des sacrifices ? Et maintenant encore comment est-ce que nos christicoles sont si extravagants que de croire faire un plaisir extrême à leur Dieu le Père, de lui offrir éternellement en sacrifice son divin Fils, en mémoire de ce qu’il aurait été honteusement et misérablement pendu à une croix où il serait expiré ? certainement cela ne peut venir que d’un opiniâtre aveuglement d’esprit.

 

         A l’égard du détail des sacrifices d’animaux, il ne consiste qu’en des vêtements de couleur, en sang, fressures, foies, jabots, rognons, ongles, peaux, fiente, fumée, gâteaux, certaines mesures d’huiles et de vin, le tout offert et infecté de cérémonies sals et aussi pitoyables que des opérations de magie les plus extravagantes.

 

         Ce qu’il y a de plus horrible, c’est que la loi de ce détestable peuple juif ordonnait aussi que l’on sacrifiât des hommes. Les barbares (tels qu’ils soient) qui avaient rédigé cette loi affreuse, ordonnaient, Lévit., chap. XXVII, que l’on fît mourir, sans miséricorde, tout homme qui avait été voué au Dieu des Juifs, qu’ils nommaient Adonaï ; et c’est selon ce précepte exécrable que Jephté immola sa fille, que Saül voulut immoler son fils.

 

         Mais voici encore une preuve de la fausseté de ces révélations dont nous avons parlé. C’est le défaut d’accomplissement des grandes et magnifiques promesses qui les accompagnaient ; car il est constaté que ces promesses n’ont jamais été accomplies.

 

         La preuve de cela consiste en trois choses principales : 1° à rendre leur postérité plus nombreuse que tous les autres peuples de la terre, etc. ; à rendre le peuple qui viendrait de leur race le plus heureux, le plus saint et le plus triomphant de tous les peuples de la terre, etc. ; et aussi à rendre son alliance éternelle, et qu’ils posséderaient à jamais le pays qu’il leur donnerait. Or il est constant que ces promesses n’ont jamais été accomplies.

 

         Premièrement, il est certain que le peuple juif, ou le peuple d’Israël, qui est le seul qu’on puisse regarder comme descendant des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, et le seul dans lequel ces promesses auraient dû s’accomplir, n’a jamais été si nombreux pour qu’il puisse être comparable en nombre aux autres peuples de la terre, beaucoup moins, par conséquent, aux grains de sable, etc. ; car l’on voit que, dans le temps même qu’il a été le plus nombreux et le plus florissant, il n’a jamais occupé que les petites provinces stériles de la Palestine et des environs, qui ne sont presque rien en comparaison de la vaste étendue d’une multitude de royaumes florissants qui sont de tous côtés sur la terre.

 

       Secondement, elles n’ont jamais été accomplies touchant les grandes bénédictions dont ils auraient dû être favorisés : car quoiqu’ils aient remporté quelques petites victoires sur de pauvres peuples qu’ils ont pillés, cela n’a pas empêché qu’ils n’aient été le plus souvent vaincus et réduits en servitude, leur royaume détruit, aussi bien que leur nation, par l’armée des Romains ; et maintenant encore nous voyons que le reste de cette malheureuse nation n’est regardé que comme le peuple le plus vil et le plus méprisable de toute la terre, n’ayant en aucun endroit ni domination ni supériorité.

 

         Troisièmement, enfin ces promesses n’ont point été non plus accomplies à l’égard de cette alliance éternelle que Dieu aurait dû faire avec eux, puisque l’on ne voit maintenant et que l’on n’a même jamais vu aucune marque de cette alliance ; et qu’au contraire ils sont, depuis plusieurs siècles, exclus de la possession du petit pays qu’ils prétendent leur avoir été promis de la part de Dieu pour en jouir à tout jamais. Ainsi toutes ces prétendues promesses n’ayant point eu leur effet, c’est une marque assurée de la fausseté. Ce qui prouve manifestement encore que ces prétendus saints et sacrés livres qui les contiennent n’ont pas été faits par l’inspiration de Dieu. Donc c’est en vain que nos christicoles prétendent s’en servir comme d’un témoignage infaillible pour prouver la vérité de leur religion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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