EXTRAIT DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER - Partie 9
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EXTRAIT DES SENTIMENTS
DE
JEAN MESLIER.
(Partie 9)
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CHAPITRE V.
I. - De l’Ancien Testament.
Nos christicoles mettent encore au rang des motifs de crédibilité et des preuves certaines de la vérité de leur religion, les prophéties, qui sont, prétendent-ils, des témoignages assurés de la vérité des révélations ou inspirations de Dieu, n’y ayant que Dieu seul qui puisse certainement prédire les choses futures si longtemps avant qu’elles soient arrivées, comme sont celles qui ont été prédites par les prophètes.
Voyons donc ce que c’est que ces prétendus prophètes, et si l’on en doit faire tant d’état que nos christicoles le prétendent.
Ces hommes n’étaient que des visionnaires et des fanatiques, qui agissaient et parlaient suivant les impulsions ou les transports de leurs passions dominantes, et qui s’imaginaient cependant que c’était par l’esprit de Dieu qu’ils agissaient et qu’ils parlaient ; ou bien c’était des imposteurs qui contrefaisaient les prophètes, et qui, pour tromper plus facilement les ignorants et les simples, se vantaient d’agir et de parler par l’esprit de Dieu.
Je voudrais bien savoir comment serait reçu un Ezéchiel qui dit, chap. III et IV, que Dieu lui a fait manger à son déjeuner un livre de parchemin, lui a ordonné de se faire lier comme un fou, lui a prescrit de se coucher trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté droit et quarante sur le gauche ; lui a commandé de manger de la merde sur son pain, et ensuite, par accommodement, de la fiente de bœuf. Je demande comment un pareil extravagant serait reçu chez les plus imbéciles même de tous nos provinciaux.
Quelle plus grande preuve encore de la fausseté de ces prétendues prédictions, que les reproches violents que ces prophètes se faisaient les uns aux autres, de ce qu’ils parlaient faussement au nom de Dieu ; reproches mêmes qu’ils se faisaient, disaient-ils, de la part de Dieu ? Voyez Ezéch., XIII, 3 ; Sophon., III, 4 ; et Jérém., II, 8.
Ils disent tous : Gardez-vous des faux prophètes, comme les vendeurs de mithridate (1) disent : Gardez-vous des pilules contrefaites.
Ces malheureux font parler Dieu d’une manière dont un crocheteur n’oserait parler. Dieu, dit, au XXIIIe chap. d’Ezéchiel, que la jeune Oolla n’aime que ceux qui ont membre d’âne et sperme de cheval. Comment ces fourbes insensés auraient-ils connu l’avenir ? Nulle prédiction en faveur de leur nation juive n’a été accomplie.
Le nombre des prophéties qui prédisent la félicité et la grandeur de Jérusalem est presque innombrable ; aussi, dira-t-on, il est très naturel qu’un peuple vaincu et captif se console dans ses maux réels par des espérances imaginaires ; comme il ne s’est pas passé une année depuis la destitution du roi Jacques que les Irlandais de son parti n’aient forgé plusieurs prophéties en sa faveur.
Mais si ces promesses faites aux Juifs se fussent effectivement trouvées véritables, il y aurait déjà longtemps que la nation juive aurait été et serait encore le peuple le plus nombreux, le plus puissant, le plus heureux, et le plus triomphant.
1 – Le mithridate est un soi-disant préservatif contre les poisons, dont on trouve la recette dans Galien. Au dix-huitième siècle, les charlatans étaient encore appelés vendeurs de mithridate. (G.A.)
II. – Du Nouveau Testament.
Il faut maintenant examiner les prétendues prophéties contenues dans les Evangiles.
Premièrement. Un ange s’étant apparu en songe à un nommé Joseph, père au moins putatif de Jésus fils de Marie, lui dit : « Joseph, fils de David, ne craignez point de prendre chez vous Marie, votre épouse ; car ce qui est dans elle est l’ouvrage du Saint-Esprit (1). Elle vous enfantera un fils que vous appellerez Jésus, parce que ce sera lui qui délivrera son peuple de ses péchés. »
Cet ange dit aussi à Marie : « Ne craignez point, parce que vous avez trouvé grâce devant Dieu. Je vous déclare que vous concevrez dans votre sein, et que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jésus. Il sera grand, sera appelé le fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il règnera à jamais dans la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin. » Matth., I, 20, et Luc, I, 30.
Jésus commença à prêcher et à dire : « Faites pénitence, car le royaume du ciel approche. » Matth., IV, 17. « Ne vous mettez pas en peine, et ne dites pas : Que mangerons-nous ou boirons-nous ? ou de quoi seront-nous vêtus ? car votre père céleste sait que toutes ces choses vous sont nécessaires. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données pour surcroît. » Matth., VI, 31, 32, 33.
Or, maintenant que tout homme qui n’a pas perdu le sens commun examine un peu si ce Jésus a été jamais roi, si ces disciples ont eu toutes choses en abondance.
Ce Jésus promet souvent qu’il délivrera le monde du péché. Y a-t-il une prophétie plus fausse ? et notre siècle n’en est-il pas une preuve parlante ?
Il est dit que Jésus est venu sauver son peuple. Quelle façon de le sauver ! C’est la plus grande partie qui donne la dénomination à une chose : une douzaine ou deux, par exemple, d’Espagnols ou de Français ne sont pas le peuple français ou le peuple espagnol ; et si une armée de cent vingt mille hommes était faite prisonnière de guerre par une plus forte armée d’ennemis, et si le chef de cette armée rachetait seulement quelques hommes, comme dix à douze soldats ou officiers, en payant leur rançon, on ne dirait pas pour cela qu’il aurait délivré ou racheté son armée. Qu’est-ce donc qu’un dieu qui vient se faire crucifier et mourir pour sauver tout le monde, et qui laisse tant de nations damnées ? Quelle pitié et quelle horreur !
Jésus-Christ dit qu’il n’y a qu’à demander qu’on recevra, qu’à chercher et qu’on trouvera. Il assure que tout ce qu’on demandera à Dieu en son nom, on l’obtiendra ; et que si l’on avait seulement la grosseur d’un grain de moutarde de foi, l’on ferait, par une seule parole, transporter des montagnes d’un endroit à un autre. Si cette promesse est véritable, rien ne paraîtrait impossible à nos christicoles qui ont la foi, à leur Christ. Cependant tout le contraire arrive.
Si Mahomet eût fait de semblables promesses à ses sectateurs que le Christ en a fait aux siens sans aucun succès, que ne dirait-on pas ? On crierait : Ah ! le fourbe ! ah ! l’imposteur ! ah ! les fous de croire un tel imposteur ! Les voilà les christicoles eux-mêmes dans le cas ; il y a longtemps qu’ils y sont sans revenir de leur aveuglement ; au contraire, ils sont si ingénieux à se tromper, qu’ils prétendent que ces promesses ont eu leur accomplissement dès le commencement du christianisme ; étant pour lors, disent-ils, nécessaire qu’il y eût des miracles, afin de convaincre les incrédules de la vérité de la religion, mais que cette religion étant suffisamment établie, les miracles n’ont plus été nécessaires : où est donc la certitude de cette proposition ?
D’ailleurs celui qui a fait ces promesses ne les a pas restreintes seulement pour un certain temps, ni pour certains lieux, ni pour certaines personnes en particulier, mais il les a faites généralement à tout le monde. « La foi de ceux qui croiront, dit-il, sera suivie de ces miracles-ci : ils chasseront les démons en mon nom ils parleront diverses langues ; ils toucheront les serpents, etc. »
A l’égard du transport des montagnes, il dit positivement que quiconque dira à une montagne : Ote-toi de là, et te jette dans la mer, pourvu qu’il n’hésite pas en son cœur, mais qu’il croie, tout ce qu’il commandera sera fait. Ne sont-ce pas des promesses qui sont tout à fait générales, sans restriction de temps, de lieu, ni de personnes ?
Il est dit que toutes les sectes d’erreurs et d’impostures prendront honteusement fin. Mais si Jésus-Christ entend seulement dire qu’il a fondé et établi une société de sectateurs qui ne tomberaient point dans le vice ni dans l’erreur, ces paroles sont absolument fausses, puisqu’il n’y a dans le christianisme aucune secte, ni société et Eglise qui ne soit pleine d’erreurs et de vices principalement la secte ou société de l’Eglise romaine, quoiqu’elle se dise la plus pure et la plus sainte de toutes. Il y a longtemps qu’elle est tombée dans l’erreur ; elle y est née ; pour mieux dire, elle y a été engendrée et formée ; et maintenant elle est même dans des erreurs qui sont contre l’intention, les sentiments et la doctrine de son fondateur, puisqu’elle a, contre son dessein, aboli les lois des Juifs qu’il approuvait, et qu’il était venu lui-même, disait-il, pour les accomplir, et non pour les détruire, et qu’elle est tombée dans les erreurs et l’idolâtrie du paganisme, comme il se voit par le culte idolâtrique qu’elle rend à son Dieu de pâte, à ses saints, à leurs images, et à leurs reliques.
Je sais bien que nos christicoles regardent comme une grossièreté d’esprit, de vouloir prendre au pied de la lettre les promesses et prophéties comme elles sont exprimées ; ils abandonnent le sens littéral et naturel des paroles, pour leur donner un sens qu’ils appellent mystique et spirituel, et qu’ils nomment allégorique et tropologique, disant, par exemple, que par le peuple d’Israël, et de Juda, à qui ces promesses ont été faites, il faut entendre, non les Israélites selon la chair, mais les Israélites selon l’esprit, c’est-à-dire les chrétiens qui sont l’Israël de Dieu, le vrai peuple choisi.
Que par la promesse faite à ce peuple esclave de le délivrer de la captivité, il faut entendre non une délivrance corporelle d’un seul peuple captif, mais la délivrance spirituelle de tous les hommes de la servitude du démon, qui se devait faire par leur divin Sauveur.
Que par l’abondance des richesses et toutes les félicités temporelles promises à ce peuple, il faut entendre l’abondance des grâces spirituelles ; et qu’enfin, par la ville de Jérusalem spirituelle, qui est l’Eglise chrétienne.
Mais il est facile de voir que ces sens spirituels et allégoriques n’étant qu’un sens étranger, imaginaire, un subterfuge des interprètes, il ne peut nullement servir à faire voir la vérité ni la fausseté d’une proposition ni d’une promesse quelconque. Il est ridicule de forger ainsi des sens allégoriques ; puisque ce n’est que par rapport au sens naturel et véritable que l’on peut juger de la vérité ou de la fausseté. Une proposition, par exemple, une promesse qui se trouve véritable dans le sens propre et naturel des termes dans lesquels elle est conçue, ne deviendra pas fausse en elle-même, sous prétexte qu’on voudrait lui donner un sens étranger qu’elle n’aurait pas ; de même que celles qui se trouvent manifestement fausses dans leur sens propre et naturel, ne deviendront pas véritables en elles-mêmes, sous prétexte qu’on voudrait leur donner un sens qu’elles n’auraient pas.
On peut dire que les prophéties de l’ancien Testament, ajoutées au nouveau, sont des choses bien absurdes et bien puériles. Par exemple, Abraham avait deux femmes, dont l’une, qui n’était que servante, figurait la synagogue, et l’autre, qui était épouse, figurait l’Eglise chrétienne ; et sous prétexte encore que cet Abraham avait eu deux fils, dont l’un, qui était de la servante, figurait le vieux Testament, et l’autre, qui était de son épouse, figurait le nouveau Testament. Qui ne rirait d’une si ridicule doctrine?
N’est-il pas encore plaisant qu’un morceau de drap rouge exposé par une putain (2), pour servir de signal à des espions dans l’ancien Testament, soit la figure du sang de Jésus-Christ répandu dans le nouveau ?
Si, suivant cette manière d’interpréter allégoriquement tout ce qui s’est dit, fait et pratiqué dans cette ancienne loi des Juifs, on voulait interpréter de même allégoriquement tous les discours toutes les actions, et toutes les aventures du fameux don Quichotte de la Manche, on y trouverait certainement autant de mystères et de figures (3)
C’est néanmoins sur ce ridicule fondement que toute la religion chrétienne subsiste. C’est pourquoi il n’est presque rien dans cette ancienne loi que les docteurs christicoles ne tâchent d’expliquer mystiquement.
La prophétie la plus fausse et la plus ridicule qu’on ait jamais faite est celle de Jésus dans Luc, chap. XXI. Il est prédit qu’il y aura des signes dans le soleil et dans la lune, et que le Fils de l’homme viendra dans une nuée juger les hommes ; et il prédit cela pour la génération présente. Cela est-il arrivé ? Le Fils de l’homme est-il venu dans une nuée ?
1 – Combien, dit Montaigne, y a-t-il d’histoires de semblables cocuages procurés par les dieux contre les pauvres humaines, etc. ? (Voltaire.)
2 – Rahab, qui cacha dans Jéricho les espions des Israélites. Voyez dans la BIBLE EXPLIQUÉE le livre de Josué. (G.A.)
3 – Cette comparaison est célèbre. Voltaire la cite souvent, et l’attribue parfois à lord Bolingbroke. (G.A.)