EXTRAIT DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER - Partie 7

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EXTRAIT DES SENTIMENTS DE JEAN MESLIER - Partie 7

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EXTRAIT DES SENTIMENTS

DE

JEAN MESLIER.

 

 

 

(Partie 7)

 

 

 

___________

 

 

 

CHAPITRE III.

 

Conformité des anciens et nouveaux miracles.

 

 

(1)

 

 

 

 

         Si nos christicoles disent que Dieu donnait véritablement pouvoir à ses saints de faire tous les miracles rapportés dans leurs vies, de même aussi les païens disent que les filles d’Anjus, grand-prêtre d’Apollon, avaient véritablement reçu du dieu Bacchus la faveur et le pouvoir de changer tout ce qu’elles voudraient en blé, en vin, en huile, etc. ; que Jupiter donna aux nymphes qui eurent soin de son éducation une corne de la chèvre qui l’avait allaité dans son enfance, avec cette propriété qu’elle leur fournissait abondamment tout ce qui leur venait à souhait.

 

         Si nos christicoles disent que leurs saints avaient le pouvoir de ressusciter les morts, et qu’ils avaient des révélations divines, les païens avaient dit avant eux qu’Athalide, fils de Mercure, avait obtenu de son père le don de pouvoir vivre, mourir et ressusciter quand il voudrait ; qu’il avait aussi la connaissance de tout ce qui se faisait au monde, et en l’autre vie ; et qu’Esculape, fils d’Apollon, avait ressuscité des morts, et entre autres qu’il ressuscita Hippolyte, fils de Thésée, à la prière de Diane, et qu’Hercule ressuscita aussi Alceste, femme d’Admète, roi de Thessalie, pour la rendre à son mari.

 

        Si nos christicoles disent que leur Chris est né miraculeusement d’une vierge, sans connaissance d’homme, les païens avaient déjà dit avant eux que Rémus et Romulus, fondateurs de Rome, étaient miraculeusement nés d’une vierge vestale nommée Illia, ou Silvia, ou Rhé Silvia ; ils avaient déjà dit que Mars, Argé, Vulcain, et autres avaient été engendrés de la déesse Junon, sans connaissance d’homme, et avaient déjà dit aussi que Minerve, déesse des sciences, avait été engendrée dans le cerveau de Jupiter, et qu’elle en sortit tout armée, par la force d’un coup de poing dont ce dieu se frappa la tête.

 

        Si nos christicoles disent que leurs saints faisaient sortir des fontaines d’eau des rochers, les païens disent de même que Minerve fit jaillir une fontaine d’huile, en récompense d’un temple qu’on lui avait dédié.

 

          Si nos christicoles se vantent d’avoir reçu miraculeusement des images du ciel, comme, par exemple, celles de Notre-Dame de Lorette et de Liesse, et plusieurs autres présents du ciel, comme la prétendue sainte ampoule de Reims, comme la chasuble blanche que sainte ampoule de Reims, comme la chasuble blanche que saint Ildefonse reçut de la vierge Marie et autres choses semblables, les païens se vantaient avant eux d’avoir reçu un bouclier sacré, pour marque de la conservation de leur ville de Rome (2), et les Troyens se vantaient avant eux d’avoir reçu miraculeusement du ciel leur Palladium, ou leur simulacre de Pallas, qui vint, disaient-ils, prendre sa place dans le temple qu’on avait édifié à l’honneur de cette déesse.

 

        Si nos christicoles disent que leur Jésus-Christ fut vu par ses apôtres monter glorieusement au ciel, et que plusieurs âmes de leurs prétendus saints furent vues transférées glorieusement au ciel par les anges, les païens romains avaient déjà dit avant eux que Romulus, leur fondateur, fut vu tout glorieux après sa mort ; que Ganymède, fils de Tros, roi de Troie, fut, par Jupiter, transporté au ciel pour lui servir d’échanson ; que la chevelure de Bérénice, ayant été consacrée au temple de Vénus, fut après transportée au ciel : ils disent la même chose de Cassiopée et d’Andromède, et même de l’âne de Silène.

 

         Si nos christicoles disent que plusieurs corps de leurs saints ont été miraculeusement préservés de corruption après leur mort, et qu’ils ont été retrouvés par des révélations divines, après avoir été un fort long temps perdus sans savoir où ils pouvaient être, les païens en disent de même du corps d’Oreste, qu’ils prétendent avoir été trouvé par l’avertissement de l’oracle, etc.

 

       Si nos christicoles disent que les sept frères Dormants dormirent miraculeusement pendant 177 ans (3) qu’ils furent enfermés dans une caverne, les païens disent qu’Epiménide le philosophe dormit pendant 57 ans dans une caverne où il s’était endormi.

 

         Si nos christicoles disent que plusieurs de leurs saints parlaient encore miraculeusement après avoir eu la tête ou la langue coupée, les païens disent que la tête de Gabienus chanta un long poème après avoir été séparée de son corps.

 

        Si nos christicoles se glorifient de ce que leurs temples et églises sont ornés de plusieurs tableaux et riches présents, qui montrent les guérisons miraculeuses qui ont été faites par l’intercession de leurs saints, on voit aussi, ou du moins on voyait autrefois, dans le temple d’Esculape, en Epidaure, quantité de tableaux des cures et guérisons miraculeuses qu’il avait faites.

 

     Si nos christicoles disent que plusieurs de leurs saints ont été miraculeusement conservés dans les flammes ardentes, sans y recevoir aucun dommage dans leurs corps ni dans leurs habits, les païens disaient que les religieuses du temple de Diane marchaient sur les charbons ardents pieds nus, sans se brûler et sans se blesser les pieds, et que les prêtres de la déesse Féronie et de Hirpicus marchaient de même sur des chardons ardents, dans les feux de joie que l’on faisait à l’honneur d’Apollon.

 

       Si les anges bâtirent une chapelle à saint Clément au fond de la mer, la petite maison de Baucis et de Philémon fut miraculeusement changée en un superbe temple, en récompense de leur piété.

 

        Si plusieurs de leurs saints, comme saint Jacques, saint Maurice, etc., ont plusieurs fois paru dans leurs armées, montés et équipés à l’avantage, combattre en leur faveur, Castor et Pollux ont paru plusieurs fois en bataille combattre pour les Romains contre leurs ennemis.

 

      Si un bélier se trouva miraculeusement pour être offert en sacrifice à la place d’Isaac, lorsque son père Abraham le voulait sacrifier, la déesse Vesta envoya aussi une génisse pour lui être sacrifiée à la place de Métella, fille de Metellus ; la déesse Diane envoya de même une biche à la place d’Iphigénie, lorsqu’elle était sur le bûcher pour lui être immolée, et par ce moyen Iphigénie fut délivrée.

 

       Si saint Joseph fuit en Egypte sur l’avertissement de l’ange, Simonides, le poète, évita plusieurs dangers mortels, sur un avertissement miraculeux qui lui en fut fait.

 

       Si Moïse fit sortir une source d’eau vive d’un rocher en le frappant de son bâton, le cheval Pégase en fit autant, en frappant de son pied un rocher ; il en sortit une fontaine.

 

       Si saint Vincent Ferrier (4) ressuscita un mort haché en pièces, et dont le corps était déjà moitié cuit et moitié rôti, Pélops, fils de Tantale, roi de Phrygie, ayant été mis en pièces par son père, pour le faire manger aux dieux, ils en ramassèrent tous les membres, les réunirent, et lui rendirent la vie.

 

      Si plusieurs crucifix et autres images ont miraculeusement parlé et rendu des réponses, les païens disent que leurs oracles ont divinement parlé et rendu des réponses à ceux qui les consultaient, et que la tête d’Orphée et celle de Polycrate rendaient des oracles après leur mort.

 

      Si Dieu fit connaître par une voix du ciel que Jésus-Christ était son fils, comme le citent les évangélistes, Vulcain fit voir par l’apparition d’une flamme miraculeuse que Cœculus était véritablement son fils.

 

      Si Dieu a miraculeusement nourri quelques-uns de ses saints, les poètes païens disent que Triptolème fut miraculeusement nourri d’un lait divin par Cérès, qui lui donna aussi un char attelé de deux dragons ; et que Phénée, fils de Mars, étant sorti du ventre de sa mère déjà morte, fut néanmoins miraculeusement nourri de son lait.

 

       Si plusieurs saints ont miraculeusement adouci la cruauté et la férocité des bêtes les plus cruelles, il est dit qu’Orphée attirait à lui, par la douceur de son chant et l’harmonie de ses instruments, les lions, les ours et les tigres, et adoucissait la férocité de leur nature ; qu’il attirait à lui les rochers, les arbres ; et même que les rivières arrêtaient leur cours pour l’entendre chanter.

 

      Enfin, pour abréger, car on en pourrait rapporter bien d’autres, si nos christicoles disent que les murailles de la ville de Jéricho tombèrent par le son des trompettes, les païens disent que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le son des instruments de musique d’Amphion, les pierres, disent les poètes, s’étant agencées d’elles-mêmes par la douceur de son harmonie ; ce qui serait encore bien plus miraculeux et plus admirable que de voir tomber des murailles par terre.

 

      Voilà certainement une grande conformité de miracles de part et d’autre. Comme ce serait une grande sottise d’ajouter foi à ces prétendus miracles du paganisme, ce n’en est pas moins une d’en ajouter à ceux du christianisme, puisqu’ils ne viennent tous que d’un même principe d’erreur. C’était pour cela aussi que les manichéens et les ariens, qui étaient vers le commencement du christianisme, se moquaient de ces prétendus miracles, faits par l’invocation des saints, et blâmaient ceux qui les invoquaient après leur mort, et qui honoraient leurs reliques.

 

      Revenons à présent à la principale fin que Dieu se serait proposée en envoyant son fils au monde, qui se serait fait homme ; c’aurait été, comme il est dit, d’ôter les péchés du monde, et de détruire entièrement les œuvres du prétendu démon, etc. ; c’est ce que nos christicoles soutiennent, comme aussi que Jésus-Christ aurait bien voulu mourir pour l’amour d’eux, suivant l’intention de Dieu son père, ce qui est clairement marqué dans tous les prétendus saints livres.

 

       Quoi ! un Dieu tout-puissant, et qui aurait voulu se faire homme mortel pour l’amour d’eux, et répandre jusqu’à la dernière goutte de son sang pour les sauver tous, aurait voulu borner sa puissance à guérir seulement quelques maladies et quelques infirmités du corps, dans quelques infirmes qu’on lui aurait présentés, et il n’aurait pas voulu employer sa bonté divine à guérir toutes les infirmités de nos âmes, c’est-à-dire à guérir tous les hommes de leurs vices et de leurs dérèglements, qui sont pires que les maladies du corps ! Cela n’est pas croyable. Quoi ! un Dieu si bon aurait voulu miraculeusement préserver des corps morts de pourriture et de corruption, et il n’aurait pas voulu de même préserver de la contagion et de la corruption du vice et du péché les âmes d’une infinité de personnes qu’il serait venu racheter au prix de son sang, et qu’il devait sanctifier par sa grâce ! Quelle pitoyable contradiction !

 

 

 

1 – Meslier argumente dans ce chapitre comme l’empereur Julien en certaines parties de son Discours. (G.A.)

 

2 – Voyez le Discours de Julien. (G.A.)

 

3 – Voyez dans le Dictionnaire philosophique, article DORMANTS (LES SEPT). (G.A.)

 

4 – Dominicain espagnol, 1357-1419. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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