SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXV - Particularités et anecdotes - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

SIÈCLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXV - Particularités et anecdotes - Partie 4

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

 

____________

 

 

 

- Partie 4 -

 

 

____________

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXV.

 

 

PARTICULARITÉS ET ANECDOTES DU RÈGNE DE LOUIS XIV

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Ce qui lui donna dans l’Europe le plus d’éclat, ce fut une libéralité qui n’avait point d’exemple. L’idée lui en vint d’un discours du duc de Saint-Aignan, qui lui conta que le cardinal de richelieu avait envoyé des présents à quelques savants étrangers, qui avaient fait son éloge. Le roi n’attendit pas qu’il fût loué ; mais sûr de mériter de l’être, il recommanda à ses ministres Lyonne et Colbert, de choisir un nombre de Français et d’étrangers distingués dans la littérature, auxquels il donnerait des marques de sa générosité. Lyonne ayant écrit dans les pays étrangers, et s’étant fait instruire autant qu’on le peut dans cette matière si délicate, où il s’agit de donner des préférences aux contemporains, on fit d’abord une liste de soixante personnes : les unes eurent des présents, les autres des pensions, selon leur rang, leurs besoins, et leur mérite. (1663) Le bibliothécaire du Vatican, Allaci ; le comte Graziani, secrétaire d’Etat du duc de Modène ; le célèbre Viviani, mathématicien du grand-duc de Florence ; Vossius, l’historiographe des Provinces-Unies ; l’illustre mathématicien Huygens ; un résident hollandais en Suède ; enfin jusqu’à des professeurs d’Altorf et de Helmstard, villes presque inconnues des Français furent étonnés de recevoir des lettres de M. Colbert, par lesquelles il mandait que, si le roi n’était leur souverain, il les priait d’agréer qu’il fût leur bienfaiteur. Les expressions de ces lettres étaient mesurées sur la dignité des personnes ; et toutes étaient accompagnées, ou de gratifications considérables, ou de pensions (1).

 

          Parmi les Français, on sût distinguer Racine, Quinault, Fléchier, depuis évêque de Nîmes, encore fort jeune : ils eurent des présents. Il est vrai que Chapelain et Cotin eurent des pensions ; mais c’était principalement Chapelain que le ministre Colbert avait consulté (2). Ces deux hommes, d’ailleurs si décriés pour la poésie, n’étaient pas sans mérite. Chapelain avait une littérature immense ; et, ce qui peut surprendre, c’est qu’il avait du goût, et qu’il était un des critiques les plus éclairés. Il y a une grande distance de tout cela au génie. La science et l’esprit conduisent un artiste, mais ne le forment en aucun genre. Personne en France n’eut plus de réputation de son temps que Ronsard et Chapelain. C’est qu’on était barbare dans le temps de Ronsard, et qu’à peine on sortait de la barbarie dans celui de Chapelain. Costar, le compagnon d’étude de Balzac et de Voiture, appelle Chapelain le premier des poètes héroïques.

 

          Boileau n’eut point de part à ces libéralités ; il n’avait encore fait que des satires, et l’on sait que ces satires attaquaient les mêmes savants que le ministre avait consultés. Le roi le distingua, quelques années après, sans consulter personne.

 

          Les présents faits dans les pays étrangers furent si considérables, que Viviani fit bâtir à Florence une maison des libéralités de Louis XIV. Il mit en lettres d’or sur le frontispice, Ædes a Deo datœ ; allusion au surnom de Dieu-Donné, dont la voix publique avait nommé ce prince à sa naissance.

 

          On se figure aisément l’effet qu’eut dans l’Europe cette magnificence extraordinaire ; et si l’on considère tout ce que le roi fit bientôt après de mémorable, les esprits les plus sévères et les plus difficiles doivent souffrir les éloges immodérés qu’on lui prodigua. Les Français ne furent pas les seuls qui le louèrent. On prononça douze panégyriques de Louis XIV en diverses villes d’Italie ; hommage qui n’était rendu ni par la crainte, ni par l’espérance, et que le marquis Zampieri envoya au roi.

 

          Il continua toujours à répandre ses bienfaits sur les lettres et sur les arts. Des gratifications particulières d’environ quatre mille louis à Racine, la fortune de Despréaux, celle de Quinault, surtout celle de Lulli, et de tous les artistes qui lui consacrèrent leurs travaux, en sont des preuves. Il donna même mille louis à Benserade, pour faire graver les tailles-douces de ses Métamorphoses d’Ovide en rondeaux : libéralité mal appliquée, qui prouve seulement la générosité du souverain. Il récompensait dans Benserade le petit mérite qu’il avait eu dans ses ballets.

 

          Plusieurs écrivains ont attribué uniquement à Colbert cette protection donnée aux arts, et cette magnificence de Louis XIV ; mais il n’eut d’autre mérite en cela que de seconder la magnanimité et le goût de son maître. Ce ministre, qui avait un très grand génie pour les finances, le commerce, la navigation, la police générale, n’avait pas dans l’esprit ce goût et cette élévation du roi ; il s’y prêtait avec zèle, et était loin de lui inspirer ce que la nature donne.

 

          On ne voit pas, après cela, sur quel fondement quelques écrivains ont reproché l’avarice à ce monarque. Un prince qui a des domaines absolument séparés des revenus de l’Etat, peut être avare comme un particulier ; mais un roi de France, qui n’est réellement que le dispensateur de l’argent de ses sujets, ne peut guère être atteint de ce vice. L’attention et la volonté de récompenser peuvent lui manquer, mais c’est ce qu’on ne peut reprocher à Louis XIV.

 

          Dans le temps même qu’il commençait à encourager les talents par tant de bienfaits, l’usage que le comte de Bussy fit des siens fut rigoureusement puni. On le mit à la Bastille en 1665. Les Amours des Gaules furent le prétexte de sa prison. La véritable cause était cette chanson où le roi était trop compromis, et dont alors on renouvela le souvenir pour perdre Bussy, à qui on l’imputait :

 

Que Déodatus est heureux

De baiser ce bec amoureux (3)

Qui d’une oreille à l’autre va !

Alleluia.

 

          Ses ouvrages n’étaient pas assez bons pour compenser le mal qu’ils lui firent. Il parlait purement sa langue : il avait du mérite, mais plus d’amour-propre encore, et il ne se servit guère de ce mérite que pour se faire des ennemis. Louis XIV aurait agit généreusement s’il lui avait pardonné ; il vengea son injure personnelle en paraissant céder au cri public. Cependant le comte de Bussy fut relâché au bout de dix-huit mois ; mais il fut privé de ses charges, et resta dans la disgrâce tout le reste de sa vie, protestant en vain à Louis XIV une tendresse que ni le roi ni personne ne croyait sincère.

 

 

 

 

 

1 – Les lettres de Colbert ont été publiées. (G.A.)

2 – Chapelain eut 3,000 livres ; Douvrier, 3,000 ; Corneille, 2,000 ; Molière, 1,000 ; Fléchier, 800 ; Racine, 800 ; Desmarest, 1,200 ; Cotin, 1,200, etc. (G.A.)

3 – Le bec amoureux était celui de mademoiselle de La Vallière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article