THÉÂTRE - LES SCYTHES - Partie 9
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LES SCYTHES.
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SCÈNE III.
SOZAME, OBÉIDE, SULMA.
SOZAME.
Eh quoi ! notre ennemi nous poursuivra toujours !
Il vient flétrir ici les derniers de mes jours.
Qu’il ne se flatte pas que le déclin de l’âge
Rende un père insensible à ce nouvel outrage.
OBÉIDE.
Mon père… il vous respecte... il ne me verra plus :
Pour jamais à le fuir mes vœux sont résolus.
SOZAME.
Indatire est à toi.
OBÉIDE.
Je le sais.
SOZAME.
Dépendant de toi seule, a reçu son hommage.
OBÉIDE.
J’ai cru vous plaire au moins… j’ai cru que sans fierté
Le fils de votre ami devait être accepté.
SOZAME.
Sais-tu ce qu’Athamare à ma honte propose
Par un de ces Persans dont son pouvoir dispose ?
OBÉIDE.
Qu’a-t-il pu demander ?
SOZAME.
De violer ma foi,
De briser tes liens, de le suivre avec toi,
D’arracher ma vieillesse à ma retraite obscure,
De mendier chez lui le prix de ton parjure.
D’acheter par la honte une ombre de grandeur.
OBÉIDE.
Comment recevez-vous cette offre ?
SOZAME.
Avec horreur.
Ma fille, au repentir il n’est aucune voie.
Triomphant dans nos jeux, plein d’amour et de joie,
Indatire, en tes bras, par son père conduit,
De l’amour le plus pur attend le digne fruit :
Rien n’en doit altérer l’innocente allégresse.
Les Scythes sont humains et simples sans bassesse ;
Mais leurs naïves mœurs ont de la dureté ;
On ne les trompe point avec impunité ;
Et surtout, de leurs lois vengeurs impitoyables,
Ils n’ont jamais, ma fille épargné des coupables.
OBÉIDE.
Seigneur, vous vous borniez à me persuader ;
Pour la première fois pourquoi m’intimider ?
Vous savez si, du sort bravant les injustices,
J’ai fait depuis quatre ans d’assez grands sacrifices,
S’il en fallait encor, je les ferais pour vous.
Je ne craindrai jamais mon père ou mon époux.
Je vois tout mon devoir … ainsi que ma misère.
Allez… Vous n’avez point de reproche à me faire.
SOZAME.
Pardonne à ma tendresse un reste de frayeur,
Triste et commun effet de l’âge et du malheur.
Mais qu’il parte aujourd’hui, que jamais sa présence
Ne profane un asile ouvert à l’innocence.
OBÉIDE.
C’est ce que je prétends, seigneur ; et plût aux dieux
Que son fatal aspect n’eût point blessé mes yeux !
SOZAME.
Rien ne troublera plus ton bonheur qui s’apprête,
Et je vais de ce pas en préparer la fête.
SCÈNE IV.
OBÉIDE, SULMA.
SULMA.
Quelle fête cruelle ! Ainsi dans ce séjour
Vos beaux jours enterrés sont perdus sans retour ?
OBÉIDE.
Ah ! dieux !
SULMA.
Votre pays, la cour qui vous vit naître,
Un prince généreux… qui vous plaisait peut-être,
Vous les abandonnez sans crainte et sans pitié ?
OBÉIDE.
Mon destin l’a voulu… j’ai tout sacrifié.
SULMA.
Haïrez-vous toujours la cour et la patrie ?
OBÉIDE.
Malheureuse !... jamais je ne l’ai tant chérie.
SULMA.
Ouvrez-moi votre cœur : je le mérite.
OBÉIDE.
Hélas !
Tu n’y découvrirais que d’horribles combats ;
Il craindrait trop ta vue et ta plainte importune.
Il est des maux, Sulma, que nous fait la fortune ;
Il en est de plus grands dont le poison cruel,
Préparé par nos mains, porte un coup plus mortel.
Mais lorsque dans l’exil, à mon âge on rassemble,
Après un sort si beau, tant de malheur ensemble,
Lorsque tous leurs assauts viennent se réunir,
Un cœur, un faible cœur, les peut-il soutenir ?
SULMA.
Ecbatane… Un grand prince…
OBÉIDE.
Ah ! fatal Athamare
Quel démon t’a conduit dans ce séjour barbare ?
Que t’a fait Obéide ? et pourquoi découvrir
Ce trait longtemps caché qui me faisait mourir ?
Pourquoi, renouvelant ma honte et ton injure,
De tes funestes mains déchirer ma blessure ?
SULMA.
Madame, c’en est trop ; c’est trop vous immoler
A ces préjugés vains qui viennent vous troubler,
A d’inhumaines lois d’une horde étrangère,
Dont un père exilé chargea votre misère.
Hélas ! contre les rois son trop juste courroux
Ne sera donc jamais retombé que sur vous !
Quand vous le consolez, faut-il qu’il vous opprime ?
Soyez sa protectrice, et non pas sa victime.
Athamare est vaillant, et de braves soldats
Ont jusqu’en ces déserts accompagné ses pas.
Athamare, après tout, n’est-il par votre maître ?
OBÉIDE.
Non.
SULMA.
C’est en ses Etats que le ciel vous fit naître.
N’a-t-il donc pas le droit de briser un lien,
L’opprobre de la Perse, et le vôtre et le sien ?
M’en croirez-vous ? partez, marchez sous sa conduite.
Si vous avez d’un père accompagné la fuite,
Il est temps à la fin qu’il vous suive à son tour ;
Qu’il renonce à l’orgueil de dédaigner sa cour ;
Que sa douleur farouche, à vous perdre obstinée,
Cesse enfin de lutter contre sa destinée.
OBÉIDE.
Non ; ce parti serait injuste et dangereux ;
Il coûterait du sang ; le succès est douteux ;
Mon père expirerait de douleur et de rage…
Enfin l’hymen est fait… je suis dans l’esclavage.
L’habitude à souffrir pourra fortifier
Mon courage éperdu qui craignait de plier.
SULMA.
Vous pleurez cependant, et votre œil qui s’égare
Parcourt avec horreur cette enceinte barbare
Ces chaumes, ces déserts, où des pompes des rois
Je vous vis descendue aux plus humbles emplois ;
Où d’un vain repentir le trait insupportable
Déchire de vos jours le tissu misérable …
Que vous restera-t-il, hélas !
OBÉIDE.
Le désespoir.
SULMA
Dans cet état affreux, que faire ?
OBÉIDE.
Mon devoir.
L’honneur de le remplir, le secret témoignage
Que la vertu se rend, qui soutient le courage,
Qui seul en est le prix, et que j’ai dans mon cœur,
Me tiendra lieu de tout, et même du bonheur (1)
1 – « Le rôle d’Obéide demande d’autant plus d’art, qu’elle pense presque toujours le contraire de ce qu’elle dit. Je ne sais pas comment j’ai pu faire un pareil rôle qui est tout l’opposé de mon caractère… C’est dans ce rôle que la lettre tue, et que l’esprit vivifie ; car pendant plus de quatre actes oui veut dire non. » (G.A.)