CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 48

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 48

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à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 13 Septembre 1767.

 

 

          Vous me pardonnerez, monseigneur, si je me sers d’une main étrangère ; ma fièvre ne me permet pas d’écrire. Vous me pardonnerez encore si je vous importune si souvent pour les affaires de Galien ; mais il faut que mes comptes soient apurés avant que je meure. Il m’est venu voir aujourd’hui avec deux seigneurs espagnols qu’il m’a amenés. Je lui ai demandé s’il n’avait point encore quelques dettes, et il m’a donné le petit mémoire ci-joint ; de sorte que tout se monte à la somme de 881 livres 18 sous. Ainsi donc, monseigneur, ce jeune homme vous coûtait par an 1,200 livres, indépendamment de sa nourriture et des autres choses nécessaires. Il y a très peu de personnes qui en fissent davantage pour leur fils. Ses dépenses me paraissent exorbitantes pour un jeune homme que vous aviez si bien équipé quand vous me l’envoyâtes. Je n’ai cessé de lui recommander la plus grande retenue ; mais je vois qu’il a usé largement de vos bontés. Il faut avouer pourtant qu’il a mis de la discrétion dans sa magnificence ; car, à l’abri de votre protection et de votre nom, il aurait pu prendre dix mille francs chez les marchands ; on ne lui aurait rien refusé. Vous voilà heureusement débarrassé de ce fardeau, sans qu’il puisse être dégagé de la reconnaissance éternelle qu’il vous doit.

 

          Il ne me reste, monseigneur, que d’attendre vos ordres, et de vous supplier de me continuer vos bontés pour le peu de temps que j’ai encore à en jouir.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

18 Septembre 1767.

 

 

          Mon cher ange est donc dans l’allégresse et la jubilation ; la convalescence se soutient donc parfaitement ; l’appétit est donc revenu : Dieu soit loué ! Je chante Te Deum pour madame d’Argental, et pour moi un Libera, car j’ai encore de grands ressentiments de fièvre. Je tâcherai d’engager Lacombe à faire encore mieux que vous ne proposez pour Lekain ; mais il a supprimé l’Ingénu, sans m’en rien dire, sur les premières feuilles incorrectes qu’il a été assez heureux pour se procurer. Son édition fourmille de fautes absurdes  je ne conçois pas comment on en a pu souffrir la lecture. Je ne lui ai écrit jusqu’à présent que pour lui laver la tête. Vous aurez incessamment Charlot, ou la Comtesse de Givry, dont je fais plus de cas que de l’Ingénu, mais qui n’aura pas le même succès. Je ne la destine pas aux comédiens, à qui je ne donnerai jamais rien, après la manière barbare dont ils m’ont défiguré, et l’insolence qu’ils ont eue de mettre dans mes pièces des vers dont l’abbé Pellegrin et Danchet auraient rougi. D’ailleurs les caprices du parterre sont intolérables, et les Welches sont trop welches.

 

          Il m’a été de toute impossibilité, mon cher ange, de faire ce que vous exigiez à l’égard des Scythes, la tournure que vous vouliez était absolument incompatible avec mon goût et ma manière de penser. On fait toujours très mal les choses auxquelles on a de la répugnance.

 

          Au reste, les comédiens me doivent la reprise des Scythes, qu’ils ont abandonnés, après les plus fortes chambrées, pour jouer des pièces qui sont l’opprobre de la nation. J’espère que vous voudrez bien engager les premiers gentilshommes de la chambre, qui sont vos amis, à me faire rendre justice, et que, de son côté, M. le maréchal de Richelieu, qui a fait jouer les Scythes à Bordeaux avec le plus grand succès, ne souffrira pas qu’on me traite avec si peu d’égards. On dit qu’il n’y aura point de spectacles à Fontainebleau, ainsi je compte qu’on jouera les Scythes à la Saint-Martin. Il serait bien étrange que les comédiens ne payassent mes bienfaits que d’ingratitude ; vous ne le souffrirez pas : vos bontés pour moi sont trop constantes, et ce n’est pas votre coutume d’abandonner vos amis.

 

          Mon village est devenu le quartier-général des troupes qui font le blocus de Genève. Je vous écris au son du tambour, et en attendant la fièvre qui va me prendre.

 

          Madame Denis et M. de Chabanon se joignent à moi pour vous dire combien ils s’intéressent à la santé de madame d’Argental, et moi je ne puis vous dire combien je vous aime.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

18 Septembre 1767.

 

 

          Je saisis, mon cher ami, l’intervalle de ma fièvre pour vous envoyer de quoi réparer un peu les griefs de Merlin. Il peut imprimer cela sur-le-champ, car je ne veux point absolument de privilège, et ce n’est qu’à condition qu’il n’aura nul privilège que je lui donne ce petit ouvrage (1). Il nous amuse, il plaît aux officiers qui sont chez nous ; il plaira, s’il peut, aux Welches.

 

          Je mets encore une condition à ce présent que je lui fais : c’est que la pièce sera imprimée sur-le-champ, sans avoir été communiquée à personne.

 

          Il y a un gros paquet pour vous qui vous sera remis quand il plaira à Dieu. Tâchez que votre santé soit meilleure que la mienne. Je vous embrasse tendrement.

 

          Je vous prie de faire donner cette lettre à Panckoucke.

 

 

1 – Charlot, ou la Comtesse de Givry. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

19 Septembre 1767.

 

 

          Je vous ai envoyé, mon cher ami, une petite galanterie pour Merlin ; je vous supplie de vouloir bien faire un petit changement au premier acte.

 

          Madame la comtesse dit à son fils :

 

Tous les grands sont polis. Pourquoi ? C’est qu’ils ont eu

Cette éducation qui tient lieu de vertu.

Si de la politesse un agréable usage

N’est pas la vertu même, il est sa noble image.

 

Il faut mettre :

 

Leur âme en est empreinte ; et si cet avantage

N’est pas la vertu même, il est sa noble image.

 

          Je crois que Merlin peut tirer, sans rien risquer, sept cent cinquante exemplaires, qu’il vendra bien.

 

          Je ne sais aucune nouvelle. Je suis entouré d’officiers et de soldats, fort affaibli de ma fièvre, et très inquiet de votre santé.

 

          Je rouvre ma lettre pour vous supplier de mettre encore ce petit changement à la fin du troisième acte (1).

 

 

1 – Suivaient six vers qui ne sont plus dans cette comédie, dont le dénouement a été changé. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Villette.

 

20 Septembre 1767.

 

 

          Je vous pardonne, mon cher marquis, d’avoir oublié un vieillard malade et inutile, longtemps pénétré, dans sa retraite, de l’affliction la plus profonde ; mais je ne vous pardonne pas de vous livrer au public (1), qui cherche toujours une victime, et qui s’acharne impitoyablement sur elle. On ne vous dit peut-être pas à quel point il enfonce le poignard dans les plaies qu’il a faites lui-même. Je vous prédis que vous serez malheureux si vous ne vous dérobez pas à l’envie et à la malignité ; et je vous répète que vous n’avez d’autre parti à prendre que de vivre avec un petit nombre d’amis dont vous soyez sûr.

 

          Vous vous plaignez de quelques tours qu’on vous a joués ; j’aimerais mieux qu’on vous eût volé deux cent mille francs, que de vous voir déchirer par les harpies de la société, qui remplissent le monde. Il faut absolument que vous sachiez que cela a été poussé à un excès qui m’a fait une peine cruelle. On dit : voilà comme sont faits tous les petits philosophes de nos jours : on clabaude à la cour, à la ville. Vous sentez combien mon amitié pour vous en a souffert. Vous êtes fait pour mener une vie très heureuse, et vous vous obstinez à gâter tout ce que la nature et la fortune ont fait en votre faveur.

 

          Je vous dirai encore qu’il ne tient qu’à vous de faire tout oublier. Je vous demande en grâce que vous soyez heureux. Je ne veux pas qu’un beau diamant soit mal monté. Pardonnez ma franchise ; c’est mon cœur qui vous parle ; il ne vous déguise ni son affliction, ni ses sentiments pour vous, ni ses craintes : je vous aime trop pour vous écrire autrement.

 

          Je vous invite plus que jamais à vous livrer à l’étude. L’homme studieux se revêt à la longue d’une considération personnelle que ne donnent ni les titres, ni la fortune. Celui qui travaille n’a pas le temps de faire mal parler de soi. Je vous parle ainsi, parce que vous me devez compte de cette heureuse facilité, et de vos belles dispositions pour les lettres. Je vous pardonne si vous écrivez et surtout si vous m’écrivez. Vous voilà quitte de ma morale ; mais, si vous étiez ici, je vous avertis qu’elle serait beaucoup plus longue.

 

          Madame Denis pense absolument de même : quiconque s’intéressera à vous vous dira les mêmes choses. Pardonnez, encore une fois, aux sentiments qui m’attachent à vous.

 

 

1 – Villette venait de publier l’Eloge de Charles V. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

21 Septembre 1757.

 

 

          Le malade demande comment se porte le malade. Il le supplie de faire coller sur la pièce cette dernière leçon, qui est la meilleure. Il demande à Merlin exactitude et diligence. Le Huron du sieur du Laurens est défendu à Paris ; mais on espère que la Comtesse de Givry aura permission de paraître (1).

 

 

1 – Même remarque que pour la lettre du 19 Septembre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

23 Septembre 1757.

 

 

          Le malade de Ferney est bien en peine du malade de Paris, et il attend avec impatience de ses nouvelles. Il soupçonne qu’on a fait une faute dans la dernière lettre, où il est question de la Comtesse de Givry. On a fait dire à Charlot dans la dernière scène :

 

O destins inouïs !

 

et c’est à la belle Julie de le dire. Le malade des champs recommande à la bonté du malade de la ville la comtesse, Charlot, Julie, et l’intendant faiseur de contes. Puisse cette pièce vous amuser autant qu’elle nous amuse, et être utile à l’enchanteur Merlin !

 

          Que faut-il faire pour Sirven ? J’ai bien peur que cette affaire ne s’en aille en fumée.

 

 

 

 

 

à M. Guyot.

 

A Ferney, 25 Septembre 1767.

 

 

          J’ai enfin reçu, monsieur, les deux premiers volumes de votre Vocabulaire. Tout ce que j’en ai lu m’a paru exact et utile : rien de trop ni de trop peu ; point de fades déclamations. J’attends la suite avec impatience ; votre entreprise est un vrai service rendu à toute la littérature.

 

          Vous me feriez plaisir de m’apprendre les noms des auteurs à qui nous aurons tant d’obligations. J’ai l’honneur d’être bien véritablement, monsieur, votre, etc.

 

 

P.S. – Il ne serait pas mal de mettre, dans votre errata, que nous prononçons auto-da-fé par corruption, et que les Espagnols disent auto-de-fé. Il y a une grosse faute à la page 423 :

 

Les dieux mêmes, éternels arbitres.

 

                                                                                J.B. Rousseau.

 

il faut lire les dieux même, sans s. Cet s donne une syllabe de trop au vers.

 

          Il y a une plus grande faute à la page 422 :

 

Plaçât tous bienfaiteurs au rang des immortels ; (1)

 

c’est un barbarisme. On dit tous les bienfaiteurs, et non tous bienfaiteurs. On n’entendrait pas un homme qui dirait j’ai mis tous saints dans le catalogue. D’ailleurs il faut tâcher, dans un dictionnaire, de ne citer que de bons vers, et ne point imiter en cela l’impertinent Dictionnaire de Trévoux. Les vers cités en cet endroit sont trop mauvais : bonté fertile (2) est ridicule.

 

          Priez vos auteurs de ne citer que des faits avérés. Le viol d’une dame par un marabout, à la face et non en face de tout un peuple, est un conte à dormir debout, digne de Léon d’Afrique.

 

 

1 – J.B. Rousseau a dit : « Plaçât leurs bienfaiteurs. » (G.A.)

2 – Expression de J. Baptiste Rousseau. (G.A.)

 

 

 

 

 

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