CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 41

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 41

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à M. le comte d’Argental.

 

16 Juillet 1767 (1).

 

 

          Je crois que M. de Courteilles est à la campagne ; pardonnez-moi si je vous adresse ce paquet pour Lekain.

 

          J’écris donc à M. Daguesseau, puisque vous l’ordonnez.

 

          L’affaire de La Beaumelle est grave. C’est un monstre. Lavaysse le père a été assez affligé qu’il ait séduit sa fille. Il est l’éditeur des lettres affreuses imprimées sous mon nom. Mais comment souffre-t-on qu’il traite Louis XIV, le Régent et le duc de Bourbon d’empoisonneurs ? Comment au moins ne lui impose-t-on pas silence ? Ah ! mon cher ange, qu’il y a des gens de lettres indignes de ce nom ! Cela empoisonne la fin de ma vie.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

17 Juillet 1767.

 

 

          Mon cher ami, je reçois votre lettre du 8 de Juillet. J’attends tous les jours l’édition des Scythes, faite à Lyon pour vous l’envoyer ; c’est la seule à laquelle on doive se tenir. Elle est faite entièrement selon les vues de M. d’Argental ; on a fait tout ce qu’on a pu pour profiter de ses observations judicieuses. Il est vrai que le rôle que vous voulez bien jouer dans cette pièce ne convient pas tout à fait à vos grands talents, et n’a pas ce sublime et cette terreur que vous savez si bien mettre sur la scène. Athamare est un très jeune homme, amoureux, vif, pétulant dans sa tendresse, un jeune petit cheval échappé, et puis c’est tout. Il est fait pour un petit blondin nouvellement entré au service ; mais vous savez vous plier à toute sorte de caractères.

 

          Si vous jouez le Droit du Seigneur, comme je l’espère, je donne le rôle d’Acanthe à mademoiselle Doligni, celui de Colette à mademoiselle Luzy, celui du fermier Mathurin à M. Monfoulon ; ce sont les dispositions que M. d’Argental a faites lui-même.

 

          A l’égard d’Olympie, je suis persuadé que cette pièce, remise au théâtre, vous vaudra quelque argent ; mas il est absolument nécessaire de la jouer comme je l’ai faite, et non pas comme mademoiselle Clairon l’a défigurée. Elle a cru devoir sacrifier la pièce à son rôle, supprimer et changer des vers dont la suppression ou le changement ne forme aucun sens. On a surtout dépouillé le cinquième acte de ce qui en faisait toute la terreur et l’intérêt. Une actrice assez bonne, qui a joué Olympie à Genève, ayant restitué tous les endroits supprimés ou altérés par mademoiselle Clairon, a eu un succès si prodigieux, que la pièce a été jouée six jours de suite.

 

          Si vous jouez l’Orphelin de la Chine, je vous prie très instamment de la donner aussi telle qu’elle est imprimée dans l’édition des Cramer. Vous devez avoir cette édition ; et, si vous ne l’avez pas, elle est chez M. d’Argental.

 

          Voici encore un petit mot pour l’Ecossaise, que je vous prie de donner à l’assemblée. Nous allons ce soir jouer l’Orphelin de la Chine. M. de Chabanon et M. de La Harpe travaillent pour vous de toutes leurs forces. J’aurai du moins le plaisir de voir mes amis soutenir le théâtre auquel mon grand âge, mes maladies, et peut-être encore plus mes ennemis, me forcent de renoncer. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. Deparcieux.

 

A Ferney, le 17 Juillet 1767.

 

 

          Vous avez dû, monsieur, recevoir des éloges et des remerciements de tous les hommes en place (1) : vous n’en recevez aujourd’hui que d’un homme bien inutile, mais bien sensible à votre mérite et à vos grandes vues patriotiques. Si ma vieillesse et mes maladies m’ont fait renoncer à Paris, mon cœur est toujours votre concitoyen. Je ne boirai plus des eaux de la Seine, ni d’Arcueil, ni de l’Yvette, ni même de l’Hippocrène ; mais je m’intéresserai toujours au grand monument que vous voulez élever. Il est digne des anciens Romains, et malheureusement nous ne sommes pas Romains. Je ne suis point étonné que votre projet soit encouragé par M. de Sartines. Il pense comme Agrippa ; mais l’Hôtel-de-Ville de Paris n’est pas le Capitole. On ne plaint point son argent pour avoir un Opéra-Comique, et on le plaindra pour avoir des aqueducs dignes d’Auguste. Je désire passionnément de me tromper. Je voudrais voir la fontaine d’Yvette former un large bassin autour de la statue de Louis XV : je voudrais que toutes les maisons de Paris eussent de l’eau, comme celles de Londres. Nous venons les derniers en tout. Les Anglais nous ont précédés et instruits en mathématiques, les Italiens en architecture, en peinture, en sculpture, en poésie, en musique ; et j’en suis fâché.

 

          J’ai l’honneur d’être, avec l’estime infinie que vous méritez, et avec la reconnaissance d’un concitoyen monsieur, votre, etc.

 

 

1 – Pour ses mémoires sur la possibilité d’amener les eaux de l’Yvette à Paris. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

18 Juillet (1).

 

 

          Mon cher ami, ce qu’un homme qui a été historiographe de Paris doit à la maison royale, à la patrie, à la vérité, m’a forcé de publier ce mémoire. Les nouvelles accumulations des horreurs de La Beaumelle m’ont imposé ce devoir. Je suis fâché que ce coquin ait séduit et épousé la fille de l’avocat Lavaysse ; mais il faut savoir réprimer le crime de la même main dont on soutient l’innocence. Cela est triste, mais cela est indispensable.

 

          J’ai écrit à M. Daguesseau : je n’ai pas un moment à moi. Je fais la guerre en mourant.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

A Ferney, 18 Juillet (1).

 

 

          Madame, les nouvelles horreurs de La Beaumelle contre votre auguste maison, et contre ce que nous avons de plus respectable dans le monde, m’obligent de mettre à vos pieds ce mémoire. Je demande à votre altesse sérénissime la permission de confirmer la vérité de la conduite que ce malheureux tint à Gotha. Cela est important pour ma justification, et j’espère que votre altesse sérénissime ne refusera pas cette grâce à un vieillard qui lui est si attaché. Agréez, madame, la reconnaissance et le profond respect que je dois à votre altesse sérénissime. Le Suisse V.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le prince de Condé.

 

Au château de Ferney, par Genève, 20 Juillet 1767.

 

 

          Monseigneur, je suis trop respectueusement attaché à votre auguste nom, et à la personne de votre altesse sérénissime, pour ne pas lui donner avis que La Beaumelle, retiré à présent au pays de Foix, dans la petite ville de Mazères, fait réimprimer à Avignon le livre abominable (1) dans lequel ce calomniateur ose accuser monseigneur le duc, votre père, d’avoir fait assassiner le sieur Vergier, ancien commissaire de marine. Cette horreur, jointe à tant d’autres, doit certainement être réprimée. L’audace criminelle de ce misérable donne du cours à ses livres, surtout dans les pays étrangers. Je suis persuadé que si votre altesse sérénissime daigne dire ou faire dire un mot à M. de Saint-Florentin, on préviendra aisément cette nouvelle édition. Vous verrez, monseigneur, dans le Mémoire ci-joint, la page où ce coquin ose ainsi vous outrager. Vous y verrez ses autres crimes. Jamais l’abus de l’imprimerie n’a rien produit de si coupable. Les sentiments que la France a pour votre personne autorisent la liberté que je prends. Je suis avec un profond respect, etc.

 

 

1 – Le Siècle de Louis XIV, annoté par La Beaumelle. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

22 Juillet 1767.

 

 

          Ah ! mon respectable ami, mon cher ange, qu’il y a une différence immense entre les sentiments des sociétés de Paris et le reste de l’Europe ! il y a bien des espèces d’hommes différentes ; et quiconque a le malheur d’être un homme public est obligé de répondre à tous.

 

          Vous me mandez, dans votre lettre du 15 de juillet, que La Beaumelle est oublié, tandis qu’il y a sept éditions de ses calomnies dans les pays étrangers, et que tous les sots, dont le monde est plein, prennent ses impostures pour des vérités. Il est triste en effet que La Beaumelle soit le beau-frère de Lavaysse : sa sœur a fait cet indigne mariage malgré son père. Mais dois-je me laisser déshonorer par un scélérat dans toute l’Europe, parce que ce malheureux est le beau-frère d’un homme à qui j’ai rendu service ? n’est-ce pas au contraire à Lavaysse de forcer ce malheureux à rentrer dans son devoir, s’il est possible ? La Beaumelle a fait commencer secrètement une nouvelle édition de ses infamies dans Avignon. Le commandant du pays de Foix (1) est chargé, par M. le comte de Saint-Florentin, de le menacer des plus grands châtiments, mais cela ne le contiendra point ; c’est un homme de la trempe des d’Eon et des Vergy ; il niera tout, et il en sera quitte pour désavouer l’édition. Je n’ai de ressource que dans une justification nécessaire. Je n’envoie mon Mémoire qu’aux personnes principales de l’Europe, dont les noms sont intéressés dans les calomnies que La Beaumelle a prodiguées : je remplis un devoir indispensable.

 

          A l’égard des Scythes, je suis indigné de la lenteur du libraire de Lyon. Il me mande qu’enfin l’édition sera prête cette semaine ; mais il m’a tant trompé que je ne peux plus me fier à lui. Un libraire d’une autre ville veut en faire encore une nouvelle édition. On n’imprime pas, mais on joue les Illinois. Nous avons joué ici l’Orphelin de la Chine ; mais, Dieu merci, nous ne l’avons pas donné tel qu’on me fait l’affront de le représenter à Paris. Je ne sais si de Belloy a raison de se plaindre ; mais, pour moi, je me plains très fort d’être défiguré sur le théâtre, et par Duchesne. Je me flatte que vos bontés pour moi ne se démentiront pas. Vous m’avouerez qu’il est désagréable que les comédiens, qui m’ont quelques obligations, prennent la licence de jouer mes pièces autrement que je ne les ai faites. Quel est le peintre qui souffrirait qu’on mutilât ses tableaux ?

 

          Ayez soin de votre santé, mon cher ange ; portez-vous mieux que moi, et je serai consolé d’avoir une santé détestable.

 

 

1 – De Gudane. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

22 Juillet 1767.

 

 

          Je ne puis que vous répéter, mon cher ami, que je suis très fâché que Lavaysse soit le beau-frère de La Beaumelle, mais que ce n’est pas une raison pour que je me laisse accabler par les calomnies de ce malheureux. Mon Mémoire présenté aux ministres a eu déjà une partie de l’effet que je désirais. Le commandant du pays de Foix a envoyé chercher La Beaumelle, et l’a menacé des plus grands châtiments ; mais cela ne détruit pas l’effet de la calomnie. Le devoir des ministres est de la punir ; le mien est de la confondre. Je ne sais ni pardonner aux pervers, ni abandonner les malheureux. J’enverrai de l’argent à Sirven : il n’a qu’à parler.

 

          M. Marin a dû vous faire tenir un paquet ; c’est la seule voie dont je puisse me servir. J’ai écrit à M. Daguesseau.

 

          On m’assure que la Sorbonne lâchera toujours son décret contre Bélisaire. Il est difficile de comprendre comment un corps entier s’obstine à se rendre ridicule. Bélisaire est traduit dans presque toutes les langues de l’Europe L’impératrice de Russie m’écrit (1), de Casan en Asie, qu’on y imprime actuellement la traduction russe.

 

          Je suis assailli, mon cher ami, à droite et à gauche. Je vous embrasse en courant, mais très tendrement.

 

 

1 – Le 18/29 mai. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 22 Juillet 1767.

 

 

          Je me flatte, monseigneur, que c’est par votre ordre que M. de Gudane, commandant au pays de Foix, a fait de justes menaces à La Beaumelle ; mais ces menaces ne l’empêchent pas de faire secrètement réimprimer dans Avignon les calomnies affreuses qu’il a vomies contre la maison royale, et contre tout ce que nous avons de plus respectable en France Après le crime de Damiens, je n’en connais guère de plus grand que celui d’accuser Louis XIV d’avoir été un empoisonneur, et de vomir des impostures non moins exécrables contre tous les princes. J’ignore si vous êtes actuellement à Paris ou à Bordeaux ; mais, en quelque endroit que vous soyez, vos bontés me sont bien chères, et j’espère qu’elles feront toujours la plus grande douceur de ma retraite. Je compte sur votre protection pour les Scythes à Fontainebleau ; j’aurai l’honneur de vous envoyer la nouvelle édition qu’on fait à Lyon. Je vous demanderai qu’il ne soit pas permis aux comédiens de mutiler mes pièces. Vous savez qu’il y a des gens qui croient en savoir beaucoup plus que moi, et qui substituent leurs vers aux miens. Je ne fais pas grand cas de mes vers ; mais enfin j’aime mieux mes enfants tortus (1) et bossus, que les beaux bâtards que l’on me donne.

 

          Je ne sais pas encore quelles sont vos résolutions sur Galien. Il y a longtemps que je ne l’ai vu ; il est presque toujours à Genève. Si j’avais cru que vous le destinassiez à être votre secrétaire, je l’aurais engagé à former sa main ; mais comme vous ne m’avez jamais répondu sur cet article, et que je n’ai point d’autorité sur lui, je me suis borné à le traiter comme un homme qui vous appartient, sans prendre sur moi de lui rien prescrire. Je souhaite toujours qu’il se rende digne de vos bontés.

 

          Je n’ai que des nouvelles fort vagues touchant le curé de Sainte-Foy et les protestants qui sont en prison. Cette affaire m’intéresse, parce qu’elle peut beaucoup nuire à celle des Sirven, qui se jugera à Compiègne.

 

          Je vous supplie de conserver vos bontés au plus ancien serviteur que vous ayez, et au plus respectueusement attaché.

 

 

1 – Qui est à la fois tordu et courbe.

 

 

 

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