TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE - Chapitre XIII

Publié le par loveVoltaire

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE - Chapitre XIII

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TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE

 

A L’OCCASION DE LA MORT DE JEAN CALAS.

 

 

 

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CHAPITRE XIII.

 

 

Extrême tolérance des Juifs.

 

 

 

          Ainsi donc sous Moïse, sous les juges, sous les rois, vous voyez toujours des exemples de tolérance. Il y a bien plus : Moïse dit plusieurs fois que « Dieu punit les pères dans les enfants jusqu’à la quatrième génération : » cette menace était nécessaire à un peuple à qui Dieu n’avait révélé ni l’immortalité de l’âme, ni les peines et les récompenses dans une autre vie. Ces vérités ne lui furent annoncées ni dans le Décalogue, ni dans aucune loi du Lévitique et du Deutéronome. C’était les dogmes des Perses, des Babyloniens, des Egyptiens, des Grecs, des Crétois ; mais ils ne constituaient nullement la religion des Juifs. Moïse ne dit point : « Honore ton père et ta mère, afin de vivre longtemps sur la terre. » Il ne les menace que de maux corporels, de la gale sèche, de la gale purulente, d’ulcères malins dans les genoux et dans les gras des jambes, d’être exposés aux infidélités de leurs femmes, d’emprunter à usure des étrangers et de ne pouvoir prêter à usure, de périr de famine, et d’être obligés de manger leurs enfants ; mais en aucun lieu il ne leur dit que leurs âmes immortelles subiront des tourments après la mort, ou goûteront des félicités. Dieu, qui conduisait lui-même son peuple, le punissait ou le récompensait immédiatement après ses bonnes ou ses mauvaises actions. Tout était temporel ; et c’est une vérité dont Warburton abuse pour prouver que la loi des Juifs était divine : parce que Dieu même étant leur roi, rendant justice immédiatement après la transgression ou l’obéissance, n’avait pas besoin de leur révéler une doctrine qu’il réservait au temps où il ne gouvernerait plus son peuple. Ceux qui, par ignorance, prétendent que Moïse enseignait l’immortalité de l’âme, ôtent au nouveau Testament un de ses plus grands avantages sur l’ancien. Il est constant que la loi de Moïse n’annonçait que des châtiments temporels jusqu’à la quatrième génération. Cependant, malgré l’énoncé précis de cette loi, malgré cette déclaration expresse de Dieu qu’il punirait jusqu’à la quatrième génération, Ezéchiel annonce tout le contraire aux Juifs, et leur dit que le fils ne portera point l’iniquité de son père : il va même jusqu’à faire dire à Dieu qu’il leur avait donné « des préceptes qui n’étaient pas bons. »

 

          Le livre d’Ezéchiel n’en fut pas moins inséré dans le canon des auteurs inspirés de Dieu : il est vrai que la synagogue n’en permettait pas la lecture avant l’âge de trente ans, comme nous l’apprend saint Jérôme ; mais c’était de peur que la jeunesse n’abusât des peintures trop naïves qu’on trouve dans les chapitres XVI et XXIII du libertinage des deux sœurs Oolla et Ooliba. En un mot, son livre fut toujours reçu, malgré sa contradiction formelle avec Moïse.

 

          Enfin, lorsque l’immortalité de l’âme fut un dogme reçu, ce qui probablement avait commencé dès le temps de la captivité de Babylone, la secte des saducéens persista toujours à croire qu’il n’y avait ni peines ni récompenses après la mort, et que la faculté de sentir et de penser périssait avec nous, comme la force active, le pouvoir de marcher et de digérer. Ils niaient l’existence des anges. Ils différaient beaucoup plus des autres Juifs que les protestants ne diffèrent des catholiques ; ils n’en demeurèrent pas moins dans la communion de leurs frères : on vit même des grands-prêtres de leur secte.

 

          Les pharisiens croyaient à la fatalité et à la métempsycose. Les esséniens pensaient que les âmes des justes allaient dans les îles Fortunées, et celles des méchants dans une espèce de Tartare. Ils ne faisaient point de sacrifices ; ils s’assemblaient entre eux dans une synagogue particulière. En un mot, si l’on veut examiner de près le judaïsme, on sera étonné de trouver la plus grande tolérance au milieu des horreurs les plus barbares. C’est une contradiction, il est vrai presque tous les peuples se sont gouvernés par des contradictions. Heureuse celle qui amène des mœurs douces quand on a des lois de sang (1) !

 

 

 

1 – Tout ce que Voltaire dit de la prétendue tolérance des Juifs fut encore l’objet des critiques de d’Alembert. Voltaire lui répondit qu’il voulait dans son texte inspirer de l’indulgence, et rendre dans ses notes les Juifs exécrables. (G.A.)

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