LA FEMME QUI A RAISON - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

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LA FEMME QUI A  RAISON.

 

 

 

 

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SCÈNE IV.

 

 

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M. DURU.

 

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M. DURU.

 

Les affaires vont bien : quant à ce mariage,

J’en suis fort satisfait ; mais quant à mon ménage,

C’est un scandale affreux, et qui me pousse à bout.

Il faut tout observer, découvrir tout, voir tout.

 

 

(On sonne.)

 

 

J’entends une sonnette et du bruit ; on appelle.

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

 

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M. DURU, MARTHE, à la porte.

 

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M. DURU.

 

Oh ! quelle est cette jeune et belle demoiselle

Qui va vers cette porte ? elle a l’air bien coquet.

Est-ce ma fille ? mais … j’en ai peur, en effet :

Elle est bien faite, au moins, passablement jolie,

Et cela fait plaisir. Ecoutez, je vous prie ;

Où courez-vous si vite, aimable et chère enfant ?

 

MARTHE.

 

Je vais chez ma maîtresse, en son appartement.

 

M. DURU.

 

Quoi ! vous êtes suivante ? et de qui, ma mignonne ?

 

MARTHE.

 

De madame Duru.

 

M. DURU, à part.

 

Je veux de la friponne

Tirer quelque parti, m’instruire, si je puis…

Ecoutez.

 

MARTHE.

 

Quoi, monsieur ?

 

M. DURU.

 

Savez-vous qui je suis ?

 

MARTHE.

 

Non ; mais je vois assez ce que vous pouvez être.

 

M. DURU.

 

Je suis l’intime ami de monsieur votre maître,

Et de monsieur Gripon. Je puis très aisément

Vous faire ici du bien, même en argent comptant.

 

MARTHE.

 

Vous me ferez plaisir. Mais, monsieur, le temps presse,

Et voici le moment de coucher ma maîtresse.

 

M. DURU.

 

Se coucher, quand il est neuf heures du matin ?

 

MARTHE.

 

Oui, monsieur.

 

M. DURU.

 

Quelle vie !: et quel horrible train !

 

 

MARTHE.

 

C’est un train fort honnête. Après souper on joue.

Après le jeu l’on danse, et puis on dort.

 

M. DURU.

 

J’avoue

Que vous me surprenez ; je ne m’attendais pas

Que madame Duru fît un si beau fracas.

 

MARTHE.

 

Quoi ! cela vous surprend, vous, bonhomme, à votre âge ?

Mais rien n’est plus commun. Madame fait usage

Des grands biens amassés par son ladre mari ;

Et quand on tient maison, chacun en use ainsi.

 

M. DURU.

 

Mignonne, ces discours me font peine à comprendre ;

Qu’est-ce tenir maison ?

 

MARTHE.

 

Faut-il tout vous apprendre ?

D’où diable venez-vous ?

 

M. DURU.

 

D’un peu loin.

 

MARTHE.

 

Je le voi.

Vous me paraissez neuf, quoique antique.

 

M. DURU.

 

Ma foi ! Tout est neuf à mes yeux. Ma petite maîtresse,

Vous tenez donc maison ?

 

MARTHE.

 

Oui.

 

M. DURU.

 

Mais de quelle espèce ?

Et dans cette maison que fait-on, s’il vous plait ?

 

MARTHE.

 

De quoi vous mêlez-vous ?

 

M. DURU.

 

J’y prends quelque intérêt.

 

MARTHE.

 

Vous, monsieur ?

 

M. DURU.

 

(A part.)

 

Oui, moi-même. Il faut que je hasarde

Un peu d’or de ma poche avec cette égrillarde :

Ce n’est pas sans regret ; mais essayons enfin.

 

 

(Haut.)

 

Monsieur Duru vous fait ce présent par ma main.

 

MARTHE.

 

Grand merci.

 

M. DURU.

 

Méritez un tel effort, ma belle ;

C’est à vous de montrer l’excès de votre zèle

Pour le patron d’ici, le bon monsieur Duru,

Que, par malheur pour vous, vous n’avez jamais vu.

Quelque amant, entre nous, a, pendant son absence,

Produit tous ces excès, avec cette dépense ?

 

MARTHE.

 

Quelque amant ! vous osez attaquer notre honneur ?

Quelque amant ! A ce trait, qui blesse ma pudeur,

Je ne sais qui me tient que mes mains appliquées

Ne soient sur votre face avec cinq doigts marquées.

Quelque amant ! dites-vous ?

 

M. DURU.

 

Eh ! pardon.

 

MARTHE.

 

Apprenez

Que ce n’est pas à vous à fourrer votre nez

Dans ce que fait madame.

 

M. DURU.

 

Eh ! mais…

 

MARTHE.

 

Elle est trop bonne,

Trop sage, trop honnête, et trop douce personne ;

Et vous êtes un sot avec vos questions…

 

(on sonne.)

 

J’y vais … Un impudent, un rôdeur de maisons …

 

(on sonne.)

 

Tout à l’heure. Un benêt qui pense que les filles

Iront lui confier les secrets des familles…

 

(on sonne.)

 

Eh ! j’y cours … Un vieux fou, que la main que voilà

 

(on sonne.)

 

Devrait punir cent fois … l’on y va, l’on y va.

 

 

 

 

 

SCÈNE VI.

 

 

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M. DURU.

 

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M. DURU.

 

Je ne sais si je dois en croire sa colère :

Tout ici m’est suspect ; et sur ce grand mystère

Les femmes ont juré de ne parler jamais :

On n’en peut rien tirer par force ou par bienfaits ;

Et toutes se liguant pour nous en faire accroire ?

S’entendent contre nous comme larrons en foire.

Non, je n’entrerai point ; je veux examiner

Jusqu’où Du bon chemin l’on peut se détourner.

Que vois-je , un beau monsieur sortant de chez ma femme !

Ah ! voilà comme on tient maison !

 

 

 

 

 

SCÈNE VII.

 

 

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M. DURU, LE MARQUIS, sortant de l’appartement de madame Duru,

en lui parlant tout haut.

 

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LE MARQUIS.

 

Adieu, madame.

Ah ! que je suis heureux !

 

M. DURU.

 

Et beaucoup trop. J’en tiens.

 

LE MARQUIS.

 

Adieu, jusqu’à ce soir.

 

M. DURU.

 

Ce soir encor ! Fort bien.

Comme de la maison je vois ici deux maîtres,

L’un des deux pourrait bien sortir par les fenêtres.

On ne me connaît pas ; gardons-nous d’éclater.

 

LE MARQUIS.

 

Quelqu’un parle, je crois.

 

M. DURU.

 

Je n’en saurais douter.

Volets fermés, au lit, rendez-vous, porte close ;

La suivante, à mon nez, complice de la chose !

 

LE MARQUIS.

 

Quel est cet homme-là qui jure entre ses dents ?

 

M. DURU.

 

Mon fait est net et clair.

 

LE MARQUIS.

 

Il paraît hors de sens.

 

M. DURU.

 

J’aurais mieux fait, ma foi, de rester à Surate

Avec tout mon argent. Ah, traitre : ah, scélérate !

 

LE MARQUIS.

 

Qu’avez-vous donc, monsieur, qui parlez seul ainsi ?

 

M. DURU.

 

Mais j’étais étonné que vous fussiez ici.

 

LE MARQUIS.

 

Et pourquoi, mon ami ?

 

M. DURU.

 

Monsieur Duru peut-être

Ne serait pas content de vous y voir paraître.

 

LE MARQUIS.

 

Lui, mécontent de moi ! Qui vous a dit cela ?

 

M. DURU.

 

Des gens bien informés. Ce monsieur Duru-là,

Chez qui vous avez pris des façons si commodes,

Le connaissez-vous ?

 

LE MARQUIS.

 

Non ; il est aux antipodes,

Dans les Indes, je crois, cousu d’or et d’argent.

 

M. DURU.

 

Mais vous connaissez fort madame !

 

LE MARQUIS.

 

Apparemment.

Sa bonté m’est toujours précieuse et nouvelle,

Et je fais mon bonheur de vivre ici près d’elle.

Si vous avez besoin de sa protection,

Parlez ; j’ai du crédit, je crois, dans la maison.

 

M. DURU.

 

Je le vois… De monsieur je suis l’homme d’affaires.

 

LE MARQUIS.

 

Ma foi, de ces gens-là je ne me mêle guère.

Soyez le bienvenu ; prenez surtout le soin

D’apporter quelque argent, dont nous avons besoin.

Bonsoir.

 

M. DURU, à part.

 

J’enfermerai dans peu ma chère femme.

 

 

(Au marquis.)

 

Que l’enfer… Mais, monsieur qui gouvernez madame,

La chambre de sa fille est-elle près d’ici ?

 

LE MARQUIS.

 

Tout auprès, et j’y vais. Oui, l’ami ; la voici ;

 

(Il entre chez Erise, et ferme la porte.)

 

 

M. DURU.

 

Cet homme est nécessaire à toute ma famille :

Il sort de chez ma femme, et s’en va chez ma fille.

Je n’y puis plus tenir, et je succombe enfin.

Justice ! je suis mort.

 

 

 

LA FEMME QUI A RAISON - Partie 4

 

 

 

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