DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme AME - Section IV

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SECTION IV.

 

 

SUR L’ÂME ET SUR NOS IGNORANCES.

 

 

 

 

 

 

         Sur la foi de nos connaissances acquises, nous avons osé mettre en question si l’âme est créée avant nous, si elle arrive du néant dans notre corps ? à quel âge elle est venue se placer entre une vessie et les intestins cœcum et rectum ? si elle y a reçu ou apporté quelques idées, et quelles sont ces idées ? si après nous avoir animé quelques moments, son essence est de vivre après nous dans l’éternité sans l’intervention de Dieu même ? si, étant esprit, et Dieu étant esprit, ils sont l’un et l’autre d’une nature semblable (1) ? Ces questions paraissent sublimes : que sont-elles ? des questions d’aveugles-nés sur la lumière.

 

         Que nous ont appris tous les philosophes anciens et modernes ? un enfant est plus sage qu’eux : il ne pense pas à ce qu’il ne peut concevoir.

 

         Qu’il est triste, direz-vous, pour notre insatiable curiosité, pour notre soif intarissable du bien-être, de nous ignorer ainsi : J’en conviens, et il y a des choses encore plus tristes, mais je vous répondrai :

 

 

Sors tua mortalis, non est mortale quod optas.

 

OVID., Met., II, 56.

 

Tes destins sont d’un homme, et tes vœux sont d’un dieu.

 

 

         Il paraît, encore une fois, que la nature de tout principe des choses est le secret du Créateur. Comment les airs portent-ils des sons ? comment se forment les animaux ? comment quelques-uns de nos membres obéissent-ils constamment à nos volontés ? quelle main place des idées dans notre mémoire, les y garde comme dans un registre, et les en tire tantôt à notre gré et tantôt malgré nous ? Notre nature, celle de l’univers, celle de la moindre plante, tout est plongé pour nous dans un gouffre de ténèbres.

 

         L’homme est un être agissant, sentant et pensant : voilà tout ce que nous en savons : il ne nous est donné de connaître ni ce qui nous rend sentants et pensants, ni ce qui nous fait agir, ni ce qui nous fait être. La faculté agissante est aussi incompréhensible pour nous que la faculté pensante. La difficulté est moins de concevoir comment ce corps de fange a des sentiments et des idées, que de concevoir comment un être, quel qu’il soit, a des idées et des sentiments.

 

         Voilà d’un côté l’âme d’Archimède, de l’autre celle d’un imbécile : sont-elles de même nature ? Si leur essence est de penser, elles pensent toujours, et indépendamment du corps qui ne peut agir sans elles. Si elles pensent par leur propre nature, l’espèce d’une âme qui ne peut faire une règle d’arithmétique sera-t-elle la même que celle qui a mesuré les cieux ? Si ce sont les organes du corps qui ont fait penser Archimède, pourquoi mon idiot, mieux constitué qu’Archimède, plus vigoureux, digérant mieux, faisant mieux toutes ses fonctions, ne pense-t-il point ? C’est, dites-vous, que sa cervelle n’est pas si bonne. Mais vous le supposez ; vous n’en savez rien. On n’a jamais trouvé de différence entre les cervelles saines qu’on a disséquées ; il est même très-vraisemblable que le cervelet d’un sot sera en meilleur état que celui d’Archimède, qui a fatigué prodigieusement et qui pourrait être usé et raccourci.

 

         Concluons donc ce que nous avons déjà conclu, que nous sommes des ignorants sur tous les premiers principes. A l’égard des ignorants qui font les suffisants, ils sont fort au-dessous des singes.

 

         Disputez maintenant, colériques argumentants ; présentez des requêtes les uns contre les autres ; dites des injures, prononcez vos sentences, vous qui ne savez pas un mot de la question.

 

 

 

 A comme AME - Section 4

 

 

 

 

1 – Ce n’était pas sans doute l’opinion de saint Augustin qui, dans le livre VIII de la Cité de Dieu, s’exprime ainsi : « Que ceux-là se taisent qui n’ont pas osé, à la vérité, dire que Dieu est un corps, mais qui ont cru que nos âmes sont de même nature que lui. Ils n’ont pas été frappés de l’extrême mutabilité de notre âme, qu’il n’est pas permis d’attribuer à Dieu. »

 

 

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