Affaire CALAS - Déclaration juridique

Publié le par loveVoltaire





DECLARATION JURIDIQUE

 

 

 

De la servante de Madame Calas, au sujet de la nouvelle calomnie qui persécute encore cette vertueuse famille



– 1767 –

 

 

 




 

En 1767, la servante catholique de l’infortuné Calas s’étant cassé la jambe, les zélés imaginèrent de répandre le bruit qu’elle était morte des suites de sa chute, et qu’elle avait déclaré en mourant que son maître était coupable du meurtre de son fils. Ce bruit fut adopté avidement par les pénitents et le reste de la populace de Toulouse. Fréron, dont la plume était vendue à toutes les calomnies que l’esprit de fanatisme avait intérêt d’accréditer, inséra cette nouvelle dans ses feuilles périodiques.

 

Il importait de la détruire, non-seulement pour l’honneur de la famille des Calas, mais pour sauver celle de Sirven, qui demandait alors justice contre un jugement également ridicule et inique, que le fanatisme avait inspiré à un juge imbécile.

 

Cette anecdote est une preuve de ce que le faux zèle ose se permettre, de la bassesse avec laquelle les insectes de la littérature se prêtent à ces infâmes manœuvres, de ce qu’enfin on aurait à craindre, même dans notre siècle, si le zèle éclairé qui anime les amis de l’humanité pouvait cesser un moment d’avoir les yeux ouverts sur les crimes du fanatisme et les manœuvres de l’hypocrisie.

 

Nous avons cru devoir joindre ici cette déclaration aux autres pièces relatives à l’affaire des Calas : elle est également nécessaire, et pour compléter cette funeste histoire, et pour montrer que c’est moins à l’erreur personnelle des juges qu’à l’atrocité de l’esprit persécuteur qu’il faut attribuer le meurtre de ce père infortuné.(K.) – Cette déclaration, qui ne se trouve dans aucune édition des Œuvres faite du vivant de Voltaire, a été dressée par les soins de Damilaville. Voyez à la Correspondance  (G.A)

 



 

 


 

 

 

         L’an 1767, le dimanche 29 mars, trois heures de relevée, nous Jean-François Hugues, conseiller du roi, commissaire enquêteur, examinateur au Châtelet de Paris, sur la réquisition qui nous a été faite de la part de Jeanne Viguière, ci-devant domestique des sieur et dame Calas, de nous transporter au lieu de son domicile, pour y recevoir sa déclaration sur certains faits, nous nous sommes en effet transporté, rue Neuve et paroisse Saint-Eustache, en une maison appartenant à M. Langlois, conseiller au grand conseil, dont le troisième étage est occupé par la dame veuve du sieur Jean Calas, marchant à Toulouse ; et étant monté chez ladite dame Calas, elle nous a fait conduire dans une chambre au quatrième étage, ayant vue sur la rue, où étant parvenu nous avons trouvé ladite Jeanne Viguière dans son lit, par l’effet de la chute dont va être parlé, ayant une garde à côté d’elle, que nous avons fait retirer ; laquelle Jeanne Viguière, après serment par elle fait et prêté en nos mains de dire la vérité, nous a dit et déclaré que, le lundi 16 février dernier, sur les quatre heures après midi, étant sortie pour aller rue Montmartre, elle eut le malheur de tomber dans ladite rue, et de se casser la jambe droite ; que plusieurs personnes étant accourues à son secours, elle fut transportée sur-le-champ chez ladite dame Calas, son ancienne maîtresse, où elle a toujours conservé sa demeure depuis qu’elle est à Paris, laquelle envoya chercher le sieur Botentuit oncle, maître en chirurgie, qui lui remit la jambe ; que ladite dame Calas lui a donné une garde, qui est celle qui vient de se retirer, laquelle ne l’a point quittée depuis cet accident ; que le sieur Botentuit a continué de venir lui donner les soins dépendants de son état, lesquels ont été si heureux, qu’elle n’a eu aucun accès de fièvre, qu’elle est actuellement à son quarante-unième jour sans qu’il lui soit survenu aucun autre accident ; qu’elle a reçu ladite dame Calas de tous les secours qu’elle pouvait espérer d’une ancienne maîtresse dont elle a éprouvé dans tous les temps mille marques de bonté ; qu’elle a appris avec la plus grande surprise qu’on avait débité dans le monde qu’elle, Jeanne Viguière, était morte, et que dans ses derniers moments elle avait déclaré devant notaires, qu’étant chez le feu sieur Jean Calas, son maître, elle avait embrassé la religion protestante ; et que, par un prétendu zèle pour cette religion, elle avait conjointement avec ledit sieur Calas, sa famille, et le sieur Lavaisse, donné la mort à Marc-Antoine Calas ; qu’ensuite, ayant été constituée prisonnière, elle avait feint d’être toujours catholique, afin de n’être point soupçonnée de sauver sa vie, et, par son témoignage, celle de tous les autres accusés ; mais que, se trouvant au moment de mourir, elle était rentrée dans les sentiments de la foi catholique, et qu’elle s’était crue obligée de déclarer la vérité qu’elle avait cachée, dont elle était, dit-on, fort repentante.

 

         Que, pour arrêter les suites que pourrait avoir cette imposture, ladite Jeanne Viguière a cru devoir secourir à notre ministère, et requérir notre transport, pour nous déclarer, comme elle le fait présentement, en son âme et conscience, que rien n’est plus faux que le bruit dont elle vient de nous rendre compte ; que son accident ne l’a jamais mise dans aucun danger de mort ; mais que,  quand cela aurait été, elle n’aurait jamais fait la déclaration qu’on ose lui attribuer, puisqu’il est vrai, ainsi qu’elle l’a toujours soutenu et qu’elle le soutiendra jusqu’au dernier instant de sa vie, que ledit feu sieur Jean Calas, la dame son épouse, le sieur Jean-Pierre Calas, et le sieur Lavaisse, n’ont contribué en aucune manière à la mort de Marc-Antoine Calas ; qu’elle se croit même obligée de nous déclarer que le sieur Jean Calas était moins capable que personne d’un pareil crime, l’ayant toujours connu d’un caractère très doux, et rempli de tendresse pour ses enfants ; que d’ailleurs le motif qu’on a donné à la mort de Marc-Antoine Calas, et à la prétendue haine de son père est faux, puisque ladite Jeanne Viguière  a connaissance que ce jeune homme n’avait pas changé de religion, et qu’il avait continué jusqu’à la veille de sa mort les exercices de la religion protestante ; – Que, pour ce qui concerne elle Jeanne Viguière, elle n’a pas, grâce à Dieu, cessé un seul instant de faire profession de la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle elle entend vivre et mourir ; qu’elle a pour confesseur le R.P Irénée, augustin de la place des Victoires ; que ledit R.P Irénée, ayant été instruit de son accident, est venu la voir le dimanche 8 du présent mois de mars, qu’il peut rendre compte de ses sentiments et de sa créance. De laquelle déclaration ladite Jeanne Viguière nous a requis et demandé acte ; et lecture lui en ayant été faite par nous conseiller-commissaire, elle a déclaré contenir vérité, et a déclaré ne savoir écrire, ni signer, de ce interpellée suivant l’ordonnance, ainsi qu’il est dit dans la minute.

 

         Et à l’instant est survenu et comparu par devers nous, en la chambre où nous sommes, sieur Pierre-Louis Botentuit-Langlois, maître en chirurgie et ancien chirurgien major des armées du roi, demeurant rue Montmartre, paroisse Sainte-Eustache, lequel nous a attesté et déclaré que, le 16 février dernier, entre sept et huit heures du soir, il a été requis et s’est transporté chez ladite dame Calas, au sujet de l’accident qui venait d’arriver à ladite Jeanne Viguière ; qu’ayant visité sa jambe droite, il a remarqué fracture complète des deux os de la jambe ; qu’il a continué de la voir et de la panser depuis ce temps, et lui a administrer tous les secours relatifs à son état ; qu’elle n’a jamais été en danger de perdre la vie par l’effet de ladite chute ; qu’il n’y a eu qu’une excoriation sur la crête du tibia, et que la malade a toujours été de mieux en mieux ; qu’il est à sa connaissance que ledit P. Irénée a confessé ladite Viguière depuis ledit accident, laquelle déclaration il fait pour rendre hommage à la vérité, et a signé en la minute des présentes.

 

         Est aussi survenu et comparu par devant nous, en la chambre où nous sommes, Pierre-Guillaume Garilland, religieux, prêtre de l’ordre des augustins de la province de France, établi à Paris près la place des Victoires, nommé en religion Irénée de Sainte-Thérèse, définiteur de la susdite province, demeurant audit couvent, lequel nous a dit, déclaré et certifié que ladite Jeanne Viguière vient  à lui se confesser depuis trois ans ou environ ; que chaque année elle s’est acquittée du devoir pascal, et que diverses fois dans le courant desdites années, pour satisfaire à sa piété, vu sa conduite régulière, il lui a permis la sainte communion ; qu’enfin, depuis le fâcheux accident qui est arrivé à ladite Viguière, il est venu la confesser, et a continué de remarquer en elle les mêmes sentiments de religion et de piété, comme par le passé ; laquelle déclaration ledit R.P Irénée nous a faite pour rendre hommage à la vérité, et a signé en la minute.

 

         Sur quoi, nous, conseiller du roi, commissaire au Châtelet, susdit et soussigné, avons donné acte à ladite Viguière, audit sieur Botentuit, et au R.P Irénée, de leur déclaration ci-dessus, pour servir et valoir ce que de raison ; et avons signé en la minute restée en nos mains. Signé, HUGUES, commissaire.

 

 

 

 

-oOo-

 

 

 

 

N.B. Cette calomnie avait été publiée dans tout le Languedoc, et elle était répandue dans Paris par le nommé Fréron, pour empêcher M. de Voltaire de poursuivre la justification des Sirven, accusés du même crime que les Calas.

 

Tous ceux qui auront lu cette feuille authentique sont priés de la conserver comme un monument de la rage absurde du fanatisme.

 


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