COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 16

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 16

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COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

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- Partie 16 -

 

 

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COMMENTAIRE

 

SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES

 

DE L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

 

XXIX.

 

 

 

 

 

 

      "Dans les monarchies il ne faut point de censeurs. Elles sont fondées sur l'honneur ; et la nature de l'honneur est d'avoir pour censeur tout l'univers." (Page 79, livre V, chapitre XIX.)

 

      Que signifie cette maxime ? tout homme n'a-t-il pas pour censeur l'univers, en cas qu'il en soit connu ? Les Grecs mêmes, du temps de leur Sophocle, jusqu'à celui de leur Aristote, crurent que l'univers avait les yeux sur eux. Toujours de l'esprit ; mais ce n'est pas ici sur les lois (1).

 

 

 

 

 

1 - La censure est très bonne, en général, pour maintenir dans un peuple les préjugés utiles à ceux qui gouvernent, pour conserver dans un corps tous les vices qui naissent de l'esprit de corps : la censure fut établie à Rome par le sénat pour contre-balancer le pouvoir des tribuns. Elle était un instrument de tyrannie. On prit les mœurs pour prétexte, on profita de la haine naturelle du peuple pour les riches. La crainte d'être dégradé par le censeur doit être d'autant plus terrible qu'on est plus sensible à l'honneur, aux distinctions, aux prérogatives. Des hommes guidés par la vertu riraient des jugements des censeurs, et emploieraient leur éloquence à faire abolir cet établissement ridicule. (K.)

 

 

 

 

 

XXX.

 

 

 

 

 

 

      "En Turquie on termine promptement toutes les disputes. La manière de les finir est indifférente, pourvu qu'on finisse. Le bacha, d'abord éclairci, fait distribuer à sa fantaisie des coups de bâton sur la plante des pieds des plaideurs, et les renvoie chez eux." (Page 84, livre VI, chapitre II.)

 

      Cette plaisanterie serait bonne à la Comédie italienne. Je ne sais si elle est convenable dans un livre de législation ; il ne faudrait y chercher que la vérité. Il est faux que dans Constantinople un bacha se mêle de rendre la justice. C'est comme si on disait qu'un brigadier, un maréchal de camp fait l'office de lieutenant civil et de lieutenant criminel. Les cadis sont les premiers juges ; ils sont subordonnés aux cadileskers, et les cadileskers au vizir-azem, qui juge lui-même avec les vizir du banc. L'empereur est souvent présent à l'audience, caché derrière une jalousie ; et le vizir-azem, dans les causes importantes, lui demande sa décision par un simple billet, sur lequel l'empereur décide en deux mots. Le procès s'instruit sans le moindre bruit, avec la plus grande promptitude. Point d'avocats, encore moins de procureurs et de papier timbré. Chacun plaide sa cause sans oser élever sa voix. Nul procès ne peut durer plus de dix-sept jours. Il reste à savoir si notre chicane, nos plaidoiries si longues, si répétées, si fastidieuses, si insolentes ; ces immenses monceaux de papiers fournis par ces harpies de procureurs, ces taxes ruineuses imposées sur toutes les pièces qu'il faut timbrer et produire, tant de lois contradictoires, tant de labyrinthes qui éternisent chez nous les procès ; si, dis-je, cet effroyable chaos vaut mieux que la jurisprudence des Turcs, fondée sur le sens commun, l'équité, et la promptitude. C'était à corriger nos lois que Montesquieu devait consacrer son ouvrage, et non à railler l'empereur d'Orient, le grand-vizir, et le divan (1).

 

 

 

 

 

 

1 - Quand les lois sont très simples, il n'y a guère de procès où l'une des deux parties ne soit évidemment un fripon, parce que les discussions roulent sur des faits, et non sur le droit. Voilà pourquoi on fait dans l'Orient un si grand usage des témoins dans les affaires civiles, et qu'on distribue quelquefois des coups de bâton aux plaideurs et aux témoins qui en ont imposé à la justice. (K.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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