COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 5

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 5

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COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

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- Partie 5 -

 

 

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COMMENTAIRE

 

SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES

DE L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

IV.

 

 

 

 

 

 

      "Autant que le pouvoir du clergé est dangereux dans une république, autant est-il convenable dans une monarchie, surtout dans celles qui vont au despotisme. Où en seraient l'Espagne et le Portugal depuis la perte de leurs lois, sans ce pouvoir qui arrête seul la puissance arbitraire ? Barrière toujours bonne lorsqu'il n'y en a point d'autre ; car, comme le despotisme cause à la nature humaine des maux effroyables, le mal même qui le limite est un bien." (Livre II, chapitre IV.)

 

      On voit que dès l'abord l'auteur ne met pas une grande différence entre la monarchie et le despotisme ; ce sont deux frères qui ont tant de ressemblance, qu'on les prend souvent l'un pour l'autre. Avouons que ce furent de tout temps deux gros chats à qui les rats essayèrent de pendre une sonnette au cou. Je ne sais si les prêtres ont posé cette sonnette, ou s'il aurait plutôt fallu en attacher une aux prêtres ; tout ce que je sais, c'est qu'avant Ferdinand et Isabelle il n'y avait point d'inquisition en Espagne. Cette habile Isabelle, ce plus qu'habile Ferdinand, firent leurs marchés avec l'inquisition : autant en firent leurs successeurs pour être plus puissants. Philippe II et les prêtres inquisiteurs partagèrent toujours les dépouilles. Cette inquisition si abhorrée dans l'Europe devait-elle être chère à l'auteur des Lettres persanes ?

 

      Il se fait ici une règle générale que les prêtre sont en tous temps et en tous lieux les correcteurs des princes. Je ne conseillerais pas à un homme qui se mêlerait d'instruire de poser ainsi des règles générales. A peine a-t-il établi un principe, l'histoire s'ouvre devant lui et lui montre cent exemples contraires. Dit-il que les évêques sont le soutien des rois, vient un cardinal de Retz, viennent des primats de Pologne et des évêques de Rome, et une foule d'autres prélats, à remonter jusqu'à Samuel, qui forment de terribles arguments contre sa thèse.

 

      Dit-il que les évêques sont les sages précepteurs des princes, on lui montre aussitôt un cardinal Dubois qui n'en a été que le Mercure.

 

      Avance-il que les femmes ne sont pas propres au gouvernement, il est démenti depuis Tomyris jusqu'à nos jours (1).

 

      Mais continuons à nous éclairer avec l'Esprit des lois (2).

 

 

 

 

 

1 - C'est-à-dire jusqu'à Catherine II et Marie-Thérèse. (G.A.)

 

2 - Le clergé a du crédit à Constantinople au moins autant qu'en Espagne. A quoi ce crédit a-t-il été utile ? A quoi a servi celui du clergé de France ? à laisser deux millions de citoyens sans existence légale, sans propriété assurée ; à soustraire aux impôts un cinquième au moins des biens du royaume. N'est-il pas évident qu'ami ou ennemi du monarque,un clergé puissant ne peut servir qu'à imposer un double joug au peuple ? Un homme en est-il plus libre parce qu'il a deux maîtres ? (K.)

 

 

 

 

 

 

 

 

V.

 

 

 

 

 

 

      Au lieu de continuer, je rencontre par hasard le chapitre II du livre X, par lequel j'aurais dû commencer. C'est un singulier cours de droit public. Voyons (page 155).

 

      "Entre les sociétés, le droit de la défense naturelle entraîne quelquefois la nécessité d'attaquer, lorsqu'un peuple (1) voit qu'un peuple voisin prospère, et qu'une plus longue paix mettrait ce peuple voisin en état de le détruire, etc." (Liv. X, chapitre II.)

 

      Si c'était Machiavel qui adressât ces paroles au bâtard abominable de l'abominable pape Alexandre VI, je ne serais point étonné. C'est l'esprit des lois de Cartouche et de Desrues. Mais que cette maxime soit d'un homme comme Montesquieu ! on n'en croit pas ces yeux.

 

      Je vois ensuite que, pour en adoucir la cruauté, il ajoute "que l'attaque (2), doit être faite par ce peuple jaloux dans le moment où c'est le seul moyen d'empêcher sa destruction." (Liv. X, chapitre II.)

 

      Mais il me semble que c'est mal s'excuser, et bien évidemment se contredire. Car si vous ne tombez sur votre voisin que dans le seul moment où il va vous détruire, c'est donc lui qui vous attaquait en effet. Vous vous êtes donc borné à vous défendre contre votre ennemi.

 

      Je vois que vous vous êtes laissé entraîner aux grands principes du machiavélisme : "Ruinez qui pourrait un jour vous ruiner ; assassinez votre voisin qui pourrait devenir assez fort pour vous tuer ; empoisonnez-le au plus vite, si vous craignez qu'il n'emploie contre vous son cuisinier."

 

      Quelque grand politique pourra penser que cela est très bon à faire ; mais en vérité cela est très mauvais à dire. Vous vous corrigez sur-le-champ en disant qu'il n'est permis d'égorger son voisin que quand ce voisin vous égorge. Ce n'est plus l'état de la question. Vous vous supposez ici dans le cas d'une simple et honnête défensive. Vous avez voulu d'abord n'écrire qu'en homme d'État, vous en avez rougi ; vous avez voulu réparer la chose en vous remettant à écrire en honnête homme, et vous vous êtes trompé dans votre calcul. Revenons à l'ordre que j'ai interrompu.

 

 

 

 

 

1 - Texte exact : "... Lorsqu'un peuple voit qu'une longue paix en mettrait un autre en état de le détruire." (G.A.)

 

2 - Texte exact : "... Que l'attaque est, dans ce moment, le seul moyen d'empêcher cette destruction." (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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