CORRESPONDANCE - Année 1778 - Partie 8

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1778 - Partie 8

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à M. Dumoustier de la Fond.

 

Paris, 7 Avril 1778.

 

 

          Monsieur, l’île de Délos eut son Apollon, la Sicile ses Muses, et Athènes sa Minerve. Les villes de Loudun et de Saint-Loup, à l’exemple des sept villes qui combattirent autrefois pour la naissance d’Homère, voudraient-elles aujourd’hui combattre pour être le lieu de la naissance de mes ancêtres ? Je n’ai aucune voie de conciliation à leur proposer. Si cette découverte les intéresse, elles ne manqueront pas de moyens pour la faire. Les vers que fit Antoine Dumoustier, un de vos ancêtres, sur la mort de René Arouet, qui peut aussi être un des miens, sont animés d’un caractère d’amitié qui fait honneur au cœur de celui qui les a écrits. Puisque vous travaillez à l’histoire de votre province (1), évitez avec soin le trop grand flegme de style assez ordinaire aux personnes qui, comme vous, par état ou par goût, s’appliquent aux mathématiques. Je suis avec toute la considération que vous méritez, monsieur, etc. AROUET DE VOLTAIRE.

 

 

1 - Ce Dumoustier est auteur d’un Essai sur l’histoire de la ville de Loudun. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Vaines.

 

A Paris, samedi, à quatre heures, avril 1778.

 

 

          Oui, sans doute, monsieur, les premiers Pascal-Condorcet (1) qui viendront du pays étranger seront pour vous. Ce sont deux grands hommes ; mais le premier était un fanatique, et le second est un sage. Celui-ci est fait pour vous. Je me console dans mes douleurs, vous souhaitant un bon voyage.

 

 

1 – Le Pascal, de Condorcet, édité par Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

A Paris, dimanche au soir, 1778 (1).

 

 

          Notre protectrice, il est bien clair qu’entre les Israélites et les rois de Gerar, il n’y eut jamais de guerre pour un puits plus juste que celle que nous allons soutenir contre M. de Villarceaux (2) ; car s’il bouche le passage au-delà de son puits, avec quoi nos domestiques pourront-ils avoir de l’eau pour les choses les plus nécessaires ? Comment les gens de l’écurie pourront-ils seulement laver les pieds des chevaux ? Nous sommes confondus, madame Denis et moi. Nous vous supplions de parler à M. de Villarceaux, et d’obtenir du moins de son honnêteté ce que nous devrions exiger de sa justice. Arrangez tout avec M. Chalgrin (3). Sans vous, nous serions privés de la chose la plus nécessaire à la vie.

 

 

1 – Editeurs, E Bavoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Propriétaire de l’hôtel que Voltaire achetait. (G.A.)

 

3 – L’architecte. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien. (1)

 

 

 

          Je scai bien ce que je désire, mais je ne scaispas ce que je feray je suis malade je soufre de la tête aux pieds il n’y a que mon cœur de sain. Et cela n’est bon à rien.

 

 

1 – Ce billet est imprimé avec l’orthographe et la ponctuation du fac-simile. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Rochefort.

 

A Paris, 16 Avril 1778.

 

 

          Je demande bien pardon à madame Dix-neuf-ans de lui avoir écrit en cérémonie. Je pourrais avoir bien plus de tort avec vous, monsieur, en vous remerciant si tard de votre très agréable lettre ; mais j’ai eu ces derniers jours une fièvre assez violente, suite de deux maladies mortelles dont je suis réchappé.

 

          Je crois que M. l’abbé de Beauregard, prédicateur de Versailles, soi-disant ci-devant jésuite, m’aurait volontiers refusé la sépulture, ce qui est fort injuste, car on dit que je ne demanderais pas mieux que de l’enterrer ; et il me devait, ce me semble, la même politesse.

 

          Je ne crois point que le maître et la maîtresse de la maison (1) se soient moqués de cet abbé de Beauregard ; c’est bien assez qu’ils ne se livrent pas à la fureur de son zèle, et c’est à quoi tous les honnêtes gens se bornent (2).

 

          Il est permis à ces pauvres ex-jésuites de haïr tel homme qui les força, il n’y a pas longtemps, à restituer à sept enfants mineurs (3), tous au service du roi, leur bien de patrimoine, dont ces bons Pères s’étaient emparés. Ce sont de ces sacrilèges que les dévots ne pardonnent jamais. J’ai fait rentrer dans leur bien six jeunes officiers dépouillés par eux. Il est vrai que je n’ai point prêché de carême ; mais, en vérité, j’ai observé de carême plus rigoureusement que tous les moines de l’Europe : aussi je suis plus diaphane et plus maigre qu’aucun des anciens disciples de Loyola ; je ressemble au Lazare sortant de sa niche.

 

          Je me flatte, monsieur, que votre santé est bonne, et que vos affaires sont arrangées. Je m’intéresserai, jusqu’au dernier jour de ma vie, à tout ce qui peut vous toucher. Conservez-moi des bontés qui font la consolation de mes derniers jours.

 

 

1 – Le roi et la reine. (G.A.)

2 – C’était Beauregard qui s’écrit : « On nous accuse d’intolérance ! Eh ! ne sait-on pas que la charité a ses fureurs et que le zèle a ses vengeances ? » (G.A.)

3 – Les Crassy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

20 Avril 1778.

 

 

          Mon cher ange, vous m’avez ordonné de dépouiller le quatre pour habiller le cinq. Depuis cinq heures du matin, je déshabille fort aisément ce quatre, mais je crains d’être un mauvais tailleur pour le cinq.

 

          La généreuse secrétaire est priée de corriger au second acte un petit couplet d’Argide, qui me paraît un peu trop brutal pour un prince aussi noble et aussi vertueux que lui. Il faudrait, je crois, tourner ainsi cet endroit :

 

 

Ne t’enorgueillis point d’être né de son sang ;

Souviens-toi de la fange où le ciel te fit naître.

Il a su la couvrir par les vertus d’un maître ;

Et les excès affreux qui l’ont trop démenti

Te rendront au limon dont il était sorti.

 

 

          Je crois que Larive et Molé joueront bien les rôles des enfants d’Agathocle, qu’Idasan convient fort à Monvel, que les cheveux blancs et la voix de Brizard suffiront pour Agathocle, et que le rôle d’Idace est beaucoup plus dans le caractère de madame Vestris que celui d’Irène, pourvu qu’elle se défasse de l’énorme multitude de ses gestes.

 

          Enfin il me semble qu’Agathocle sera beaucoup mieux joué qu’Irène, de laquelle Irène je suis bien cruellement mécontent.

 

          Je me jette entre les bras de mon cher ange pour ma consolation. Je ne demande que deux représentations d’Irène à la rentrée, pour égaler la gloire de M. Barthe. Il faut que je parte dans quinze jours, sans quoi tout périt à Ferney. J’espère, au mois de septembre, ne plus sortir de dessous les ailes de mon ange.

 

 

 

 

 

à M. le docteur Tronchin.

 

Paris, 22 Avril, à dix heures (1).

 

 

          Pardon, pardon, mon cher maître, vous m’aviez demandé des glaires ; j’en ai au service de toute la faculté. Je n’ai pu en conserver qu’une très petite partie par des opérations très humiliantes pour la nature humaine. Mais il ne faut point rougir de la nature. Vous savez, monsieur, combien le dedans est dégoûtant, si quelquefois le dehors est agréable.

 

          Comment puis-je être continuellement empoisonné par tant de glaires dans les entrailles, lorsque je ne mange ni viande ni poisson ? N’ai-je pas un besoin évident de dessiccatifs ? Pouvez-vous me refuser un peu de quinquina ? Je combats depuis quatre-vingts ans la nature en l’admirant. J’ai besoin de forces dans cette lutte continuelle, et j’admire comment Dieu, en nous abandonnant à tant de maux, nous a accordé tant de secours.

 

          Enfin je vous demande la permission de prendre un peu de quinquina et un peu de vin sur les bords de la Seine, comme sur les bords du lac de Genève. Je crois n’avoir d’autre mal que ces glaires dont je vous parle. Elles rendent ma vie affreuse. Vos bontés la rendront tolérable.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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