CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 22

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 22

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

7 Juillet 1769.

 

          Eh bien ! mon cher ange, il faut vous dire le fait. Vous saviez déjà que j’ai affaire à un fanatique qui a été vicaire de paroisse à Paris, et qui a donné à plein collier dans les billets de confession. C’est un des méchants hommes qui respirent. Il a ôté les pouvoirs à mon aumônier (1), et il me ménageait une excommunication formelle qui aurait fait un bruit diabolique. Il faisait plus, il prenait des mesures pour me faire accuser au parlement de Dijon d’avoir fait des ouvrages très impies. Je sais bien que j’aurais confondu l’accusateur devant Dieu et devant les hommes ; mais il en est de ces procès comme de ceux des dames qui plaident en séparation ; elles sont toujours soupçonnées. Je n’ai fait aucune démarche dans toute cette affaire que par le conseil de deux avocats. J’ai toujours mis mon curé et ma paroisse dans mes intérêts. J’ai d’ailleurs agit en tout conformément aux lois du royaume.

 

          A l’égard du Massillon, j’ai pris juste le temps qu’un président du parlement de Dijon est venu dîner chez moi et c’était une bonne réponse aux discours licencieux et punissables que le scélérat m’accusait d’avoir tenus à table. En un mot, il m’a fallu combattre cet homme avec ses propres armes. Quand il a vu que j’entendais parfaitement cette sorte de guerre, et que j’étais inattaquable dans mon poste le croquant s’y est pris d’une autre façon ; il a eu la bêtise de faire imprimer les lettres qu’il m’avait écrites et mes réponses.

 

          Il a poussé même l’indiscrétion jusqu’à mettre dans ce recueil une lettre de M. de Saint-Florentin, sans lui en demander la permission. Il a eu encore la sottise d’intituler cette lettre de façon à choquer le ministre. Je me suis contenté d’envoyer le tout à M. le comte de Saint-Florentin, sans faire la moindre réponse. Le ministre m’en a su très bon gré, et a fort approuvé ma conduite.

 

          Vous n’êtes pas au bout. L’énergumène voyant que je ne répondais pas, et que j’étais bien loin de tomber dans le piège qu’il m’avait tendu si grossièrement, a pris un autre tour beaucoup plus hardi et presque incroyable. Il a fait imprimer une prétendue profession de foi qu’il suppose que j’ai faite par devant notaire, en présence de témoins ; et voici comme il raisonnait :

 

          « Je sais bien que cet acte peut être aisément convaincu de faux, et que, si on voulait procéder juridiquement, ceux qui l’ont forgé seraient condamnés ; mais mon diocésain n’osera jamais faire une telle démarche, et dire qu’il n’a pas fait une profession de foi catholique. »

 

          Il se trompe en cela comme en tout le reste, car je pourrais bien dire aux témoins qu’on a fait  signer : Je souscris à la profession de foi, je suis bon catholique comme vous ; mais je ne souscris pas aux sottises que vous me faites dire dans cette profession de foi, faite en style de Savoyard. Votre acte est un crime de faux, et j’en ai la preuve ; l’objet en est respectable, mais le faux est toujours punissable. Qui est coupable d’une fraude pieuse pourrait l’être également d’une fraude à faire pendre son homme.

 

          Mais je me garderai bien de relever cette turpitude ; le temps n’est pas propre ; il suffit, pour le présent, que mes amis en soient instruits ; un temps viendra où cette imposture sacerdotale sera mise dans tout son jour.

 

          Je vous épargne, mon cher ange, des détails qui demanderaient un petit volume, et qui vous feraient connaître l’esprit de la prêtraille, si vous ne le connaissiez pas déjà parfaitement. Je suis dans une position aussi embarrassante que celle de Rezzonico et de Ganganelli Tout ce que je puis vous dire, c’est que j’ai de bonnes protections à Rome. Tout cela m’amuse beaucoup, et je suis de ce côté dans la sécurité la plus grande.

 

          Je me tirerai de même de l’Histoire du Parlement, à laquelle je n’ai ni ne puis avoir la moindre part. C’est un ouvrage écrit, il est vrai, d’un style rapide et vigoureux en quelques endroits ; mais il y a vingt personnes qui affectent ce style, et les prétendus connaisseurs en écrits, en écriture, en peinture, se trompent, comme vous savez, tous les jours dans leurs jugements. Je crois vous avoir mandé que j’ai écrit sur cet objet une lettre à M. Marin, pour être mise dans le Mercure.

 

          Un point plus important à mon gré que tout cela, c’est que M. Marin ne perde pas un moment à faire imprimer les Guèbres ; c’est une manière sûre de prouver l’alibi. Il est physiquement impossible que j’aie fait à la fois l’Histoire du Siècle de Louis XV, les Guèbres, l’Histoire du Parlement, et une autre œuvre dramatique (2) que vous verrez incessamment. Je n’ai qu’un corps et une âme ; l’un et l’autre sont très chétifs : il faudrait que j’en eusse trois pour avoir pu faire tout ce qu’on m’attribue.

 

          Encore une fois, il ne faut pas que M. Marin perde un seul moment. Je passerai pour être l’auteur des Guèbres, je m’y attends bien, et voilà surtout pourquoi il faut se presser. On a déjà envoyé à Paris des exemplaires de l’édition de Genève. La pièce a beau m’être dédiée, on soupçonnera toujours que le jeune homme qui l’a composée est un vieillard. Je n’ai pu m’empêcher d’en envoyer un exemplaire à madame la duchesse de Choiseul, parce que je savais qu’un autre prenait les devants, et que je suis en possession de lui faire tenir tout ce qu’il y a de nouveau dans le pays étranger. On se prépare à faire une nouvelle édition des Guèbres à Lyon ; il faut donc se hâter prodigieusement à Paris.

 

          Voilà, mon cher ange, un détail bien exact de toutes mes bagatelles littéraires et dévotes. Je vous prie de faire part de cette lettre à madame Denis. Je ne puis lui écrire par cet ordinaire ; je suis malade, la tête me tourne, la poste part. – A l’ombre de vos ailes. V.

 

          Mais surtout comment se porte madame d’Argental ?

 

 

1 – Le père Adam. (G.A.)

2 – Sophonisbe. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lacombe.

 

A Ferney, 9 Juillet 1769.

 

 

          Toutes les réflexions, monsieur, toutes les critiques que j’ai lues sur les ouvrages nouveaux, dans votre Mercure, m’ont paru des leçons de sagesse et de goût. Ce mérite assez rare m’a fait regarder votre ouvrage périodique comme très utile à la littérature.

 

          Vous ne répondez pas des pièces qu’on vous envoie. Il y en a une sous mon nom, page 53 du Mercure de juillet (1769) ; c’est une lettre qu’on prétend que j’ai écrite à mon cher B… On me fait dire en vers un peu singuliers à mon cher B… « que le feu est l’âme du monde, que sa clarté l’inonde, que le feu maintient les ressorts de la machine ronde, et que sa plus belle production est la lumière éthérée, dont Newton, le premier, par sa main inspirée, sépara les couleurs par la réfraction. »

 

          Je vous avoue que je ne me souviens pas d’avoir jamais écrit ces vers à mon cher B…, que je n’ai pas l’honneur de connaître. Je vous ai déjà mandé qu’on m’attribuait trois ou quatre cents pièces de vers et de prose que je n’ai jamais lues. On a imprimé sous mon nom les Amours de Moustapha et d’Elmire, les Aventures du chevalier Ker, et j’espère que bientôt on m’attribuera le Parfait teinturier, et l’Histoire des Conciles en général.

 

          Je vous ai déjà parlé de l’Histoire du Parlement. Cet ouvrage m’est enfin tombé entre les mains. Il est, à la vérité, mieux écrit que les Amours de Moustapha ; mais le commencement m’en paraît un peu superficiel, et la fin indécente. Quelque peu instruit que je sois dans ces matières, je conseille à l’auteur de s’en instruire plus à fond, et de ne point laisser courir sous mon nom un ouvrage aussi informe, dont le sujet méritait d’être approfondi par une très longue étude et avec une grande sagesse. On est accoutumé d’ailleurs à cet acharnement avec lequel on m’impute tant d’ouvrages nouveaux. Je suis le contraire du geai de la fable, qui se parait des plumes du paon. Beaucoup d’oiseaux, qui n’ont peut-être du paon que la voix, prennent plaisir à me couvrir de leurs propres plumes ; je ne puis que les secouer, et faire mes protestations, que je consigne dans votre greffe de littérature. J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec toute l’estime que je vous dois, votre, etc.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Ferney, 10 Juillet 1769 (1).

 

 

          Le plus vieux et le plus attaché de vos serviteurs ne vous importune, monseigneur, que dans les occasions qui fournissent quelque excuse. Vous devez être excédé de lettres et de demandes. C’est toujours au doyen de notre Académie que j’écris, et non au gouverneur, au premier gentilhomme de la chambre.

 

          Vous souviendrez-vous des Mémoires de Maintenon faits par La Beaumelle, et de quelques autres brochures dans ce goût qui calomnient les plus grandes maisons du royaume, à commencer par la famille royale ? vous daignâtes me marquer ce que vous en pensiez. Il paraît dans le pays étranger un livre assez curieux écrit dans ce style, c’est l’Histoire du Parlement. Je n’ai rien à dire contre le premier volume ; il fait voir que le parlement tire toute sa dignité des pairs. J’ai toujours été de cet avis. Il y a d’ailleurs, dans ce premier tome, des anecdotes dont je ne puis juger ; il faudrait avoir consulté le greffe. Je doute que La Beaumelle ait été à portée de fouiller dans ces archives et c’est ce qui me fait suspendre toute idée sur le nom de l’auteur.

 

          Pour le second tome, j’en trouve la fin non seulement fausse, mais excessivement indécente, et je l’ai dit hautement. L’auteur, quel qu’il soit, s’efforce de faire passer son ouvrage sous mon nom : je suis accoutumé à ces impostures ; mais celle-ci m’afflige. Je suis d’un corps dont vous êtes le principal membre, et dont le roi est protecteur. A la bonne heure qu’on impute à ma vieillesse de plats vers et de la prose languissante ; mais certainement il y a, dans ce second tome, des expressions impertinentes qui devraient déplaire au roi, s’il n’était pas trop grand pour être seulement instruit de ces sottises. Dans l’indignation où je suis qu’on m’impute un pareil ouvrage, je ne puis que déclarer que l’auteur est très malavisé, qu’il est un impudent et que je réprouve son livre qui est plein d’erreurs.

 

          Qu’il me soit encore permis de dire à mon doyen (dont je suis le doyen par l’âge) qu’on achève actuellement deux nouvelles éditions du Siècle de Louis XIV et de Louis XV : ce sont des monuments de votre gloire. Ils vaudraient mieux si j’avais pu recevoir vos instructions ; mais tels qu’ils sont, puis-je les présenter au roi ? Daignerez-vous me dire si je dois prendre cette liberté ? M. de Saint-Florentin le croit ; mais je ne veux rien faire sans vous consulter. Donnez-moi cette marque de vos anciennes bontés.

 

          Je suis honteux de vous ennuyer d’une si longue lettre ; mais mon héros a toujours été indulgent pour moi. Je me flatte qu’il le sera encore, en daignant m’apprendre par un mot ce que je dois faire. J’attends cette grâce de lui, et je lui renouvelle mon très vieux et très tendre respect.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

Le 12 Juillet 1769.

 

 

          Mon petit magistrat m’a enfin envoyé son œuvre dramatique (1) ; je vous la dépêche, mon ancien ami. C’est actuellement la mode de faire imprimer les pièces de théâtre sans les donner au comédiens ; mais de tous ces drames, il n’y a que l’Ecossaise qu’on ait jouée.

 

          Pourriez-vous, mon cher ami, me faire avoir les Mélanges historiques relatifs à l’Histoire de France (2), ouvrage qui a brouillé le parlement avec la chambre des comptes ?

 

          La liste des livres nouveaux devient immense ; celle des livres qu’on m’attribue n’est pas petite. Il y a une Histoire du Parlement qui fait beaucoup de bruit ; je viens de la lire. Il y a quelques anecdotes assez curieuses qui ne peuvent être tirées que du greffe du parlement même : il n’y a certainement qu’un homme du métier qui puisse être auteur de cet ouvrage. Il faut être enragé pour le mettre sur mon compte. Il est bien sûr que, depuis vingt ans que je suis absent de Paris, je n’ai pas fouillé dans les registres de la cour.

 

          Scribendi non est finis. La multitude des livres effraie ; mais, après tout, on en use avec eux comme avec les hommes, on choisit dans la foule.

 

          J’ai reçu la Piété filiale (3) ; l’auteur me l’a envoyée, je vais la lire : c’est encore une de ces pièces qu’on ne jouera pas, si j’en crois la préface que j’ai parcourue. Il en pourra bien arriver autant à notre petit magistrat de province ; j’apprends d’ailleurs qu’on ne joue plus à Paris que des opéras-comiques.

 

          Je suis si malade qu’il ne me vient pas même dans la tête de regretter les plaisirs de votre ville. Quand on souffre, on ne regrette que la santé, et quelques amis qui pourraient apporter un peu de consolation. Je vous mets au premier rang, et je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Les Guèbres. (G.A.)

2 – Par Damiens de Gomicourt. Cet ouvrage, supprimé par la cour des comptes, fut encore supprimé par le parlement qui déniait à la cour des comptes le droit de suppression. (G.A.)

3 – Drame en cinq actes et en prose, par Courtial. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Derrey de Roqueville.

 

Ferney, 12 Juillet 1769.

 

 

          Je vous dois, monsieur, autant de remerciements que d’éloges. Vous êtes une preuve de ce que j’ai dit publiquement, que l’éloquence qui régnait à Paris, sous le grand siècle de Louis XIV, se réfugie aujourd’hui en province. Je serais bien étonné si Louis Dussol (1) ne vous doit pas sa fortune : il est pauvre ; il doit donc partager avec les pauvres ; il est de la famille ; il doit donc avoir la meilleure part. Voilà comment la nature jugerait ce procès, si on lui faisait l’honneur de la consulter. Toute loi qui contredit la nature est bien injuste !

 

          Pardonnez à un vieillard malade, qui répond tard, et quand il peut.

 

 

1 – Louis Dussol réclamait devant le parlement de Toulouse l’héritage d’un frère qui, revenant d’Amérique où il s’était enrichi, et se croyant sans famille, avait légué sa fortune aux hospices. (G.A.)

 

 

 

 

 

Commenter cet article