CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 61

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 61

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à M. Maigrot.

 

A Ferney, 28 Décembre 1767.

 

 

          Monsieur, vous m’imposez le devoir de la reconnaissance pour le reste de ma vie, puisque c’est vous qui m’avez assuré une rente viagère, et qui me faites connaître la vérité, que j’aime encore mieux qu’une rente.

 

          A propos de vérité, je dois vous dire que monseigneur l’électeur palatin ne croit ni au prétendu cartel proposé par l’électeur Charles-Louis au vicomte de Turenne, ni à la lettre que M. de Ramsay a imprimée dans son histoire, ni à la réponse. Effectivement la lettre de l’électeur est du style de Ramsay, et ce Ramsay était un peu enthousiaste. Cependant feu M. le cardinal d’Auvergne m’a fait l’honneur de me dire plusieurs fois que le cartel était vrai, et M. le grand-prieur de Vendôme disait qu’il en était sûr. Les historiens et le public aiment ces petites anecdotes.

 

          Je me flatte que vous mettrez le comble à votre générosité en me faisant part de la lettre de Louis XIV au cardinal de Bouillon (1), laquelle doit être des premiers jours d’avril ou des derniers de mars 1699. Cette lettre est nécessaire ; elle est le fondement de tout.

 

          Si vous aviez aussi quelques anecdotes intéressantes sur le prince de Turenne, qui donnait de si grandes espérances, et qui fut tué à la bataille de Steinkerque, vous me mettriez en état de déployer encore plus le zèle qui m’attache à cette illustre maison. J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

 

 

1 – Relativement à l’affaire du quiétisme. (K.) – Voyez le Siècle de Louis XIV, ch. XXXVIII. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame Necker.

 

28 Décembre 1767.

 

 

          Madame, il faut que j’implore votre esprit conciliant contre l’esprit de tracasserie : ce n’est pas des tracasseries de Genève que je parle, on a beau vouloir m’y fourrer, je n’y ai jamais pris part que pour en rire avec la belle Catherine Ferbot, digne objet des amours inconstants de Robert Covelle (1). Il s’agit d’une autre tracasserie que le tendre amour me fait de Paris au mont Jura, à l’âge de soixante-quatorze ans, temps auquel on a peu de choses à démêler avec ce monsieur.

 

          On m’a envoyé de Paris des vers bien faits sur M. Dorat et sa maîtresse ; on m’a envoyé aussi une réponse de M. Dorat très bien faite ; mais ce qui est assurément très mal fait, c’est de m’imputer les vers contre les amours et la poésie de M. Dorat. Je jure, par votre sagesse et par votre bonté, madame, que je n’ai jamais su que M. Dorat eût une nouvelle maîtresse. Je leur souhaite à tous deux beaucoup de plaisir et de constance. Mais il me paraît qu’il y a de l’absurdité à me faire auteur d’un petit madrigal qui tend visiblement à brouiller l’amant et la maîtresse, chose que j’ai regardée toute ma vie comme une méchante action.

 

          Je sais que M. Dorat vient chez vous quelquefois ; je vous prie de lui dire, pour la décharge de ma conscience, que je suis innocent, et qu’il faudrait être un innocent pour me soupçonner ; c’est apparemment le sieur Coger, ou quelque licencié de Sorbonne, qui a débité cette abominable calomnie dans le prisma mensis (2). En un mot, je m’en lave les mains. Je ne veux point qu’on me calomnie, et je vous prends pour ma caution. Que celui qui a fait l’épigramme la garde ; je ne prends jamais le bien d’autrui.

 

          J’apprends, dans le moment que la demoiselle qui est l’objet de l’épigramme est une demoiselle de l’Opéra. Je ne sais si elle est danseuse ou chanteuse ; j’ai beaucoup de respect pour ces deux talents, et il ne me viendra jamais en pensée de troubler son ménage. On dit qu’elle a beaucoup d’esprit ; je la révère encore plus. Mais, madame, si l’esprit, si les grandes connaissances, et la bonté du cœur, méritent les plus grands hommages, vous ne pouvez douter de ceux que je vous rends, et des sentiments respectueux avec lesquels je serai toute ma vie votre, etc.

 

 

1 – Voyez la Guerre civile de Genève. (G.A.)

2 – Assemblée mensuelle des docteurs de Sorbonne. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. P*** de V***.

 

Au château de Ferney.

 

 

          Je suis si vieux et si malade, monsieur, que je n’ai pu vous répondre plutôt. Vous êtes, ce me semble, du pays de Maynard (1) ; vos vers en ont la grâce. Je suis bien loin de mériter tout ce que vous me dites de séduisant ; je n’y reconnais qu’une chose de vraie, c’est le vif intérêt que je prends aux progrès des jeunes gens dans les lettres.

 

          Vous voulez, monsieur, faire une pièce de théâtre (2) ; et Henri IV est votre héros. Je suis très peu propre à décider, dans ma retraite, du succès que doit avoir une pièce de théâtre à Paris. On dit que le goût du public est entièrement changé. Le mien, qui ne l’est pas, est trop suranné et trop hors de mode.

 

          Je suis, etc.

 

 

1 – De Toulouse. (G.A.)

2 – Ce monsieur P. de V. fit imprimer en effet une pièce en trois actes sur Henri IV. (G.A.)

 

 

 

 

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