TRAITÉ DE MÉTAPHYSIQUE - Partie 8

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TRAITÉ DE MÉTAPHYSIQUE - Partie 8

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TRAITÉ DE MÉTAPHYSIQUE

 

 

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CHAPITRE VI.

 

Si ce qu’on appelle âme est immortel.

 

 

 

 

 

          Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si en effet Dieu a révélé l’immortalité de l’âme. Je me suppose toujours un philosophe d’un autre monde que celui-ci, et qui ne juge que par ma raison. Cette raison m’a appris que toutes les idées des hommes et des animaux leur viennent par les sens, et j’avoue que je ne peux m’empêcher de rire lorsqu’on me dit que les hommes auront encore des idées quand ils n’auront plus de sens. Lorsqu’un homme a perdu son nez, ce nez perdu n’est non plus une partie de lui-même que l’étoile polaire. Qu’il perde toutes ses parties et qu’il ne soit plus un homme n’est-il pas un peu étrange alors de dire qu’il lui reste le résultat de tout ce qui a péri ? j’aimerais autant dire qu’il boit et mange après sa mort, que de dire qu’il lui reste des idées après sa mort ; l’un n’est pas plus inconséquent que l’autre, et certainement il a fallu bien des siècles avant qu’on ait osé faire une si étonnante supposition. Je sais bien, encore une fois, que Dieu ayant attaché à une partie du cerveau la faculté d’avoir des idées, il peut conserver cette petite partie du cerveau avec sa faculté ; car de conserver cette faculté sans la partie, cela est aussi impossible que de conserver le rire d’un homme ou le chant d’un oiseau après la mort de l’oiseau et de l’homme. Dieu peut aussi avoir donné aux hommes et aux animaux une âme simple, immatérielle, et la conserver indépendamment de leur corps. Cela lui est aussi possible que de créer un million de mondes de plus qu’il n’en a créé, et de donner aux hommes deux nez et quatre mains, des ailes et des griffes ; mais pour croire qu’il a fait en effet toutes ces choses possibles, il me semble qu’il faut les voir.

 

          Ne voyant donc point que l’entendement, la sensation de l’homme, soit une chose immortelle, qui me prouvera qu’elle l’est ? Quoi ! moi qui ne sais point quelle est la nature de cette chose, j’affirmerai qu’elle est éternelle ! moi qui sais que l’homme n’était pas hier, j’affirmerai qu’il y a dans cet homme une partie éternelle par sa nature ! et tandis que je refuserai l’immortalité à ce qui anime ce chien, ce perroquet, cette grive, je l’accorderai à l’homme par la raison que l’homme le désire !

 

          Il serait bien doux en effet de survivre à soi-même, de conserver éternellement la plus excellente partie de son être dans la destruction de l’autre, de vivre à jamais avec ses amis, etc. ! Cettte chimère (à l’envisager en ce seul sens) serait consolante dans des misères réelles. Voilà peut-être pourquoi on inventa autrefois le système de la métempsycose  mais ce système a-t-il plus de vraisemblance que les Mille et une nuits ? et n’est-il pas un fruit de l’imagination vive et absurde de la plupart des philosophes orientaux ? Mais je suppose, malgré toutes les vraisemblances, que Dieu conserve après la mort de l’homme ce qu’on appelle son âme, et qu’il abandonne l’âme de la brute au train de la destruction ordinaire de toutes choses : je demande ce que l’homme y gagnera, je demande ce que l’esprit de Jacques a de commun avec Jacques quand il est mort.

 

          Ce qui constitue la personne de Jacques, ce qui fait que Jacques est soi-même, et le même qu’il était hier à ses propres yeux, c’est qu’il se ressouvient des idées qu’il avait hier, et que dans son entendement il unit son existence d’hier à celle d’aujourd’hui  car s’il avait entièrement perdu la mémoire, son existence passée lui serait aussi étrangère que celle d’un autre hommes ; il ne serait pas plus le Jacques d’hier, la même personne, qu’il ne serait Socrate ou César. Or, je suppose que Jacques, dans sa dernière maladie, a perdu absolument la mémoire, et meurt par conséquent sans être ce même Jacques qui a vécu : Dieu rendra-t-il à son âme cette mémoire qu’il a perdue ? créera-t-il de nouveau ces idées qui n’existent plus ? en ce cas, ne sera-ce pas un homme tout nouveau, aussi différent du premier, qu’un Indien l’est d’un Européan ?

 

          Mais on peut dire aussi que Jacques ayant entièrement perdu la mémoire avant de mourir, son âme pourra la recouvrer de même qu’on la recouvre après l’évanouissement ou après un transport au cerveau ; car un homme qui a entièrement perdu la mémoire dans une grande maladie, ne cesse pas d’être le même homme lorsqu’il a recouvré la mémoire : donc l’âme de Jacques, s’il en a une, et qu’elle soit immortelle par la volonté du Créateur, comme on le suppose, pourra recouvrer la mémoire après sa mort tout comme elle la recouvre après l’évanouissement pendant la vie ; donc Jacques sera le même homme.

 

          Ces difficultés valent bien la peine d’être proposées, et celui qui trouvera une manière sûre de résoudre l’équation de cette inconnue sera, je pense, un habile homme.

 

          Je n’avance pas davantage dans ces ténèbres ; je m’arrête où la lumière de mon flambeau me manque : c’est assez pour moi que je voie jusqu’où je peux aller. Je n’assure point que j’aie des démonstrations contre la spiritualité et l’immortalité de l’âme ; mais toutes les vraisemblances sont contre elles ; et il est également injuste et déraisonnable de vouloir une démonstration dans une recherche qui n’est susceptible que de conjectures.

 

          Seulement il faut prévenir l’esprit de ceux qui croiraient la mortalité de l’âme contraire au bien de la société, et les faire souvenir que les anciens Juifs, dont ils admirent les lois, croyaient l’âme matérielle et mortelle, sans compter de grandes sectes de philosophes qui valaient bien les Juifs et qui étaient de fort honnêtes gens (1).

 

 

 

 

1 – Voltaire a toujours admis la mortalité de l’âme qui pour lui, du reste, n’est qu’une faculté. On voit combien il diffère des spiritualistes de nos jours qui tiennent pour une vérité mathématique que ce qu’on appelle âme est immortel. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

Si l’homme est libre.

 

 

 

 

 

 

          Peut-être n’y a-t-il pas de question plus simple que celle de la liberté ; mais il n’y en a point que les hommes aient plus embrouillée. Les difficultés dont les philosophes ont hérissé cette matière, et la témérité qu’on a toujours eue de vouloir arracher de Dieu son secret et de concilier sa prescience avec le libre arbitre, sont cause que l’idée de la liberté s’est obscurcie à force de prétendre l’éclaircir. On s’est si bien accoutumé à ne plus prononcer ce mot liberté, sans se ressouvenir de toutes les difficultés qui marchent à sa suite, qu’on ne s’entend presque plus à présent quand on demande si l’homme est libre.

 

          Ce n’est plus ici le lieu de feindre un être doué de raison, lequel n’est point homme, et qui examine avec indifférence ce que c’est que l’homme ; c’est ici au contraire qu’il faut que chaque homme rentre dans soi-même, et qu’il se rende témoignage de son propre sentiment.

 

          Dépouillons d’abord la question de toutes les chimères dont on a coutume de l’embarrasser, et définissons ce que nous entendons par ce mot liberté. La liberté est uniquement le pouvoir d’agir (1). Si une pierre se mouvait par son choix, elle serait libre ; les animaux et les hommes ont ce pouvoir ; donc ils sont libres. Je puis à toute force contester cette faculté aux animaux ; je puis me figurer, si je veux abuser de ma raison, que les bêtes qui me ressemblent en tout le reste différent de moi en ce seul point. Je puis les concevoir comme des machines qui n’ont ni sensations, ni désirs, ni volonté, quoiqu’elles en aient toutes les apparences. Je forgerai des systèmes, c’est-à-dire des erreurs, pour expliquer leur nature ; mais enfin, quand il s’agira de m’interroger moi-même, il faudra bien que j’avoue que j’ai une volonté, et que j’ai en moi le pouvoir d’agir, de remuer mon corps, d’appliquer ma pensée à telle ou telle considération, etc. Si quelqu’un vient me dire : Vous croyez avoir cette volonté, mais vous ne l’avez pas ; vous avez un sentiment qui vous trompe, comme vous croyez voir le soleil large de deux pieds, quoiqu’il soit en grosseur, par rapport à la terre, à peu près comme un million à l’unité.

 

          Je répondrai à ce quelqu’un : Le cas est différent : Dieu ne m’a point trompé en me faisant voir ce qui est éloigné de moi d’une grosseur proportionnée à sa distance ; telles sont les lois mathématiques de l’optique, que je ne puis et ne dois apercevoir les objets qu’en raison directe de leur grosseur et de leur éloignement : et telle est la nature de mes organes, que si ma vue pouvait apercevoir la grandeur réelle d’une étoile, je ne pourrais voir aucun objet sur la terre. Il en est de même du sens de l’ouïe et de celui de l’odorat. Je n’ai les sensations plus ou moins fortes, toutes choses égales, que selon que les corps sonores et odoriférants sont plus ou moins loin de moi. Il n’y a en cela aucune erreur ; mais si je n’avais point de volonté, croyant en avoir une, Dieu m’aurait créé exprès pour me tromper de même que s’il me faisait croire qu’il y a des corps hors de moi, quoiqu’il n’y en eût pas  et il ne résulterait rien de cette  tromperie, sinon une absurdité dans la manière d’agir d’un Etre suprême infiniment sage.

 

          Et qu’on ne dise pas qu’il est indigne d’un philosophe de recourir ici à Dieu. Car, premièrement, ce Dieu étant prouvé, il est démontré que c’est lui qui est la cause de la liberté en cas que je sois libre ; et qu’il est l’auteur absurde de mon erreur, si, m’ayant fait un être purement patient sans volonté, il me fait accroire que je suis agent et que je suis libre.

 

          Secondement, s’il n’y avait point de Dieu, qui est-ce qui m’aurait jeté dans l’erreur ? qui m’aurait donné ce sentiment de liberté en me mettant dans l’esclavage ? serait-ce une matière qui d’elle-même ne peut avoir d’intelligence ? Je ne puis être instruit ni trompé par la matière, ni recevoir d’elle la faculté de vouloir ; je ne puis avoir reçu de Dieu le sentiment de ma volonté sans en avoir une ; donc j’ai réellement une volonté ; donc je suis un agent.

 

          Vouloir et agir, c’est précisément la même chose qu’être libre. Dieu lui-même ne peut être libre que dans ce sens. Il a voulu et il a agi selon sa volonté. Si on supposait sa volonté déterminée nécessairement ; si on disait : Il a été nécessité à vouloir ce qu’il a fait, on tomberait dans une aussi grande absurdité que si on disait : Il y a un Dieu, et il n’y a point de Dieu ; car si Dieu était nécessité absolue, donc il est infini, donc tous les autres êtres viennent de lui sans qu’on sache comment, donc il a pu leur communiquer la liberté comme il leur a communiqué le mouvement et la vie, donc il nous a donné cette liberté que nous sentons en nous, comme il nous a donné la vie que nous sentons en nous.

 

          La liberté dans Dieu est le pouvoir de penser toujours tout ce qu’il veut, et d’opérer toujours tout ce qu’il veut.

 

          La liberté donnée de Dieu à l’homme est le pouvoir faible, limité et passager de s’appliquer à quelques pensées, et d’opérer certains mouvements. La liberté des enfants qui ne réfléchissent point encore, et des espèces d’animaux qui ne réfléchissent jamais, consiste à vouloir et à opérer des mouvements seulement. Sur quel fondement a-t-on pu imaginer qu’il n’y a point de liberté ? Voici les causes de cette erreur : on a d’abord remarqué que nous avons souvent des passions violentes qui nous entraînent malgré nous. Un homme voudrait ne pas aimer une maîtresse infidèle, et ses désirs plus forts que sa raison, le ramènent vers elle ; on s’emporte à des actions violentes dans des mouvements de colère qu’on ne peut maîtriser ; on souhaite de mener une vie tranquille, et l’ambition nous rejette dans le tumulte des affaires.

 

          Tant de chaînes visibles dont nous sommes accablés presque toute notre vie, ont fait croire que nous sommes liés de même dans tout le reste ; et on a dit : L’homme est tantôt emporté avec une rapidité et des secousses violentes dont il sent l’agitation  tantôt il est mené par un mouvement paisible dont il n’est plus le maître : c’est un esclave qui ne sent pas toujours le poids et la flétrissure de ses fers, mais il est toujours esclave.

 

          Ce raisonnement, qui n’est que la logique de la faiblesse humaine, est tout semblable à celui-ci : Les hommes sont malades quelquefois, donc ils n’ont jamais de santé.

 

          Or, qui ne voit l’impertinence de cette conclusion ? qui ne voit au contraire que sentir sa maladie est une preuve indubitable qu’on a eu de la santé, et que sentir son esclavage et son impuissance prouve invinciblement qu’on a eu de la puissance et de la liberté.

 

          Lorsque vous aviez cette passion furieuse, votre volonté n’était plus obéie par vos sens : alors vous n’étiez pas plus libre que lorsqu’une paralysie vous empêche de mouvoir ce bras que vous voulez remuer. Si un homme était toute sa vie dominé par des passions violentes, ou par des images qui occupassent sans cesse son cerveau, il lui manquerait cette partie de l’humanité qui consiste à pouvoir penser quelquefois ce qu’on veut, et c’est le cas où sont plusieurs fous qu’on renferme, et même bien d’autres qu’on n’enferme pas.

 

          Il est bien certain qu’il y a des hommes plus libres les uns que les autres, par la même raison que nous ne sommes pas tous également éclairés, également robustes, etc. La liberté est la santé de l’âme  peu de gens ont cette santé entière et inaltérable. Notre liberté est faible et bornée, comme toutes nos autres facultés. Nous la fortifions en nous accoutumant à faire des réflexions, et cet exercice de l’âme la rend un peu plus vigoureuse. Mais quelques efforts que nous fassions, nous ne pourrons jamais parvenir à rendre notre raison souveraine de tous nos désirs ; il y aura toujours dans notre âme comme dans notre corps des mouvements involontaires. Nous ne sommes ni libres, ni sages, ni forts, ni sains, ni spirituels, que dans un très petit degré. Si nous étions toujours libres, nous serions ce que Dieu est (2). Contentons-nous d’un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature. Mais ne nous figurons pas que nous manquons des choses mêmes dont nous sentons la jouissance, et, parce que nous n’avons pas les attributs d’un Dieu, ne renonçons pas aux facultés d’un homme.

 

          Au milieu d’un bal ou d’une conversation vive, ou dans les douleurs d’une maladie qui appesantira ma tête, j’aurai beau vouloir chercher combien fait la trente-cinquième partie de quatre-vingt-quinze tiers et demi multipliés par vingt-cinq dix-neuvièmes et trois quarts, je n’aurai pas la liberté de faire une combinaison pareille. Mais un peu de recueillement me rendra cette puissance que j’avais perdue dans le tumulte. Les ennemis les plus déterminés de la liberté sont donc forcés d’avouer que nous avons une volonté qui est obéie quelquefois par nos sens. « Mais cette volonté, disent-ils, est nécessairement déterminée comme une balance toujours emportée par le plus grand poids ; l’homme ne veut que ce qu’il juge le meilleur ; son entendement n’est pas le maître de ne pas juger bon ce qui lui paraît bon. L’entendement agit nécessairement : la volonté est déterminée par l’entendement ; donc la volonté est déterminée par une volonté absolue : donc l’homme n’est pas libre. »

 

          Cet argument, qui est très éblouissant, mais qui dans le fond n’est qu’un sophisme, a séduit beaucoup de monde, parce que les hommes ne font presque jamais qu’entrevoir ce qu’ils examinent.

 

          Voici en quoi consiste le défaut de ce raisonnement. L’homme ne peut certainement vouloir que les choses dont l’idée lui est présente. Il ne pourrait avoir envie d’aller à l’Opéra, s’il n’avait l’idée de l’Opéra ; et il ne souhaiterait point d’y aller et ne se déterminerait point à y aller, si son entendement ne lui représentait point ce spectacle comme une chose agréable. Or, c’est en cela même que consiste sa liberté ; c’est dans le pouvoir de se déterminer soi-même à faire ce qui lui paraît bon : vouloir ce qui ne lui ferait pas plaisir, est une contradiction formelle et une impossibilité. L’homme se détermine à ce qui lui semble le meilleur, et cela est incontestable ; mais le point de la question est de savoir s’il a en soi cette force mouvante, ce pouvoir primitif de se déterminer ou non. Ceux qui disent : « L’assentiment de l’esprit est nécessaire et détermine nécessairement la volonté, » supposent que l’esprit agit physiquement sur la volonté. Ils disent une absurdité visible ; car ils supposent qu’une pensée est un petit être réel qui agit réellement sur un autre être nommé la volonté ; et ils ne font pas réflexion que ces mots la volonté, l’entendement, etc., ne sont que des idées abstraites, inventées pour mettre de la clarté et de l’ordre dans nos discours, et qui ne signifient autre chose sinon l’homme pensant et l’homme voulant. L’entendement et la volonté n’existent donc pas réellement comme des êtres différents, et il est impertinent de dire que l’un agit sur l’autre.

 

          S’ils ne supposent pas que l’esprit agisse physiquement sur la volonté, il faut qu’ils disent, ou que l’homme est libre, ou que Dieu agit pour l’homme, détermine l’homme, et est éternellement occupé à tromper l’homme ; auquel cas ils avouent au moins que Dieu est libre. Si Dieu est libre, la liberté est donc possible, l’homme peut donc l’avoir. Ils n’ont donc aucune raison pour dire que l’homme ne l’est pas.

 

          Ils ont beau dire, l’homme est déterminé par le plaisir ; c’est confesser, sans qu’ils y pensent, la liberté, puisque faire ce qui fait plaisir c’est être libre.

 

          Dieu, encore une fois, ne peut être libre que de cette façon. Il ne peut opérer que selon son plaisir. Tous les sophismes contre la liberté de l’homme attaquent également la liberté de Dieu.

 

          Le dernier refuse des ennemis de la liberté est cet argument-ci :

 

          « Dieu sait certainement qu’une chose arrivera ; il n’est donc pas au pouvoir de l’homme de ne la pas faire. »

 

          Premièrement, remarquez que cet argument attaquerait encore cette liberté qu’on est obligé de reconnaître dans Dieu. On peut dire : Dieu sait ce qui arrivera ; il n’est pas en son pouvoir de ne pas faire ce qui arrivera. Que prouve donc ce raisonnement tant rebattu ? rien autre chose, sinon que nous ne savons et ne pouvons savoir ce que c’est que la prescience de Dieu, et que tous ses attributs sont pour nous des abîmes impénétrables.

 

          Nous savons démonstrativement que si Dieu existe, Dieu est libre ; nous savons en même temps qu’il sait tout : mais cette prescience et cette omniscience sont aussi incompréhensibles pour nous que son immensité, sa durée infinie déjà passée, sa durée infinie à venir, la création, la conservation de l’univers, et tant d’autres choses que nous ne pouvons ni nier ni connaître.

 

          Cette dispute sur la prescience de Dieu n’a causé tant de querelles que parce qu’on est ignorant et présomptueux. Que coûtait-il de dire : Je ne sais point ce que sont les attributs de Dieu, et je ne suis point fait pour embrasser son essence ? Mais c’est ce qu’un bachelier ou licencié se gardera bien d’avouer : c’est ce qui les a rendus les plus absurdes des hommes, et fait d’une science sacrée un misérable charlatanisme (3).

 

 

 

 

 

 

1 – C’est la définition de Locke. Les spiritualistes de nos jours déclarent que Locke et Voltaire se trompent ; que la liberté n’est pas dans l’acte. (G.A.)

2 – Il écrivait cela en 1734. Comparez la section III du Philosophe ignorant. (G.A.)

3 – On verra dans les ouvrages suivants que Voltaire n’a pas toujours eu la même opinion sur la liberté métaphysique de l’homme : ses sentiments à cet égard changèrent dans un âge plus avancé, et il a mis dans la discussion de ces matières abstraites une force et une clarté qu’on trouve bien rarement chez d’autres écrivains (K.).

 

 

 

 

 

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