CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 50

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 50

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à M. Hennin.

 

Dimanche au soir, 30 Novembre 1766.

 

 

          Point du tout, monsieur, la lettre est de M. le duc de Choiseul, et il n’est point du tout question de M. le duc de Praslin , qui n’a point encore reçu mon paquet. Je soupçonne sur cela la chose la plus singulière et la plus plaisante, laquelle est en même temps très bonne à savoir.

 

          Ut ut est. J’ai relu le projet de la médiation, et je tiens qu’il faut être ou plus fou, ou plus malin que Jean-Jacques, pour ne le pas accepter avec des acclamations de reconnaissance. Voilà mon avis, dont je ne démordrai point. Je serais très fâché que mes quatre poteaux (1) tombassent sur mon ami Vernet : je les relèverai en sa faveur, dût-on l’y faire attacher (2).

 

 

1 – Indicateurs de sa justice seigneuriale. Hennin lui avait écrit que ces poteaux ne tenaient plus. (G.A.)

2 – Quelques éditeurs donnent ici, 1er décembre, comme lettre entière la fin d’une lettre à Villette du 8 juillet 1765. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

1er Décembre (1).

 

 

          Je connais mes anges ; ils ne me sauront point mauvais gré de mes corrections ; au contraire, ils seront fort aises de voir leur créature lécher continuellement son oursin. Ils sont donc suppliés de faire mettre sur la pièce toutes ces corrections par un brave secrétaire, qui ne haïsse pas les vers.

 

          Peut-être le lundi 1er décembre, jour auquel j’écris à mes anges le matin, recevrai-je un mot de leur main bienfaisante ou foudroyante.

 

          Je leur ai déjà mandé que l’exemplaire était parti le 19, adressé à M. le duc de Praslin ; que force corrections avaient suivi de poste en poste ; que j’avais envoyé à M. Janel un nouvel exemplaire du Commentaire sur les délits pour M. le duc de Praslin. Enfin j’ai fait mon devoir à chaque courrier. Hier, je fis lire la pièce au coin de mon feu à Cramer, non pas à Philibert Cramer, le prince, mais à Gabriel Cramer, le marquis, lequel est très bon acteur et sent ce qui doit faire effet. Il a pleuré et frémi.

 

          Mais ce qui me fait frémir, moi, c’est que les comédiens de Paris vont jouer les Suisses (2), et que mes Scythes, venant après, ne paraîtront qu’une copie. Je perds à la fois le piquant de la nouveauté et l’agrément de mon alibi. Voilà probablement bien de la peine inutile.

 

          Au reste, mes anges, vous serez farcis de pièces nouvelles cette année. Vos plaisirs sont assurés ; mais moi misérable, je n’ai d’autre consolation que celle de chercher à mériter votre suffrage.

 

          Enfin donc, nous allons avoir le mémoire pour les Sirven. Je recommande cette véritable tragédie à vos bontés. Respect et tendresse.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le Guillaume Tell de Lemierre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

1er Décembre 1766.

 

 

          Mon cher ami, j’ai prié M. d’Argental de vous mettre dans la confidence d’un drame d’une espèce assez nouvelle. Je ne veux rien avoir de caché pour vous. Je crois que cet ouvrage était absolument nécessaire pour confondre la calomnie, cette calomnie dont je vous parlais si souvent en vous disant : Ecr. l’inf…

 

          Vous savez avec quel acharnement elle m’impute presque tous les mois, quelque mauvais livre bien scandaleux que je n’ai jamais lu et que je ne lirai jamais. Les mauvais poètes ne sachant plus comment s’y prendre pour me perdre, après m’avoir immolé à Crébillon, m’ont voulu immoler aux jansénistes ; ils se sont avisés de faire de moi un théologien ; et ils prétendent, avec l’abbé Guyon et l’abbé Dinoyart (1), que je traite continuellement la controverse. Or certainement un homme qui fait une tragédie n’a guère le temps de controverser. Une tragédie demande un homme tout entier, et le demande pour longtemps. Non seulement je me suis remis à faire des pièces de théâtre, mais j’en fais faire. Je m’occupe beaucoup de celle à laquelle La Harpe travaille actuellement sous mes yeux et j’en ai de grandes espérances. J’ai dans ma vieillesse la consolation de former des élèves : je rends par là tout le service que je puis rendre aux belles-lettres. Il me semble que je ne mérite pas les cruelles persécutions que j’essuie depuis si longtemps.

 

          Mandez-moi donc à qui on attribue le petit livre savant et éloquent que vous m’avez envoyé avec une note de M. Thieriot. L’auteur de ce livre ne me traite pas comme les Guyon et les Fréron ; je voudrais bien connaître cet honnête homme.

 

          Savez-vous quel est le polisson qui a fait le plat ouvrage intitulé la Justification de Jean-Jacques, et qui prétend que Jean-Jacques est le seul philosophe dont la conduite soit conforme à ses principes ?

 

          Les affaires de Genève doivent finir bientôt. Ce petit Etat devra au roi toute sa félicité, outre quatre millions cinq cent mille livres de rente dont les Génevois jouissent en France. M. le chevalier de Beauteville leur a donné un projet qui est la sagesse même. S’ils ne l’acceptaient pas, il faudrait qu’ils fussent plus fous et plus méchants que Jean-Jacques.

 

          Je vous embrasse tendrement, mon très cher ami. Remerciez bien pour moi M. Thieriot de son attention, et faites quelquefois mention de moi avec Tonpla.

 

          M. Boursier est toujours dans les mêmes sentiments ; il dit qu’il se tiendra toujours prêt.

 

 

N.B. – L’avocat de Besançon, auteur du Commentaire sur les lois, concernant les Délits, a beaucoup augmenté son ouvrage. L’édition est entièrement épuisée. Pourriez-vous demander à M. Marin si on permettra dans Paris l’entrée d’une nouvelle édition conforme à ce qui a déjà été imprimé, et très circonspecte dans ce qui sera ajouté ?

 

 

1 – L’un, auteur de l’Oracle des philosophes, l’autre, rédacteur du Journal chrétien. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

3 Décembre 1766.

 

 

          Quel est donc, mon cher ami, le conseiller usurier, banqueroutier, et enfui ? Qu’a fait M. de Mazarin ? Avez-vous vu M. d’Argental ?

 

          Voulez-vous bien envoyer ce petit mot à M. d’Alembert ? Quand M. Thomas sera-t-il reçu ? Le factum pour les Sirven est-il à l’impression ? Je suis un grand questionneur, et je ne suis que cela aujourd’hui. La poésie m’avait transporté dans les espaces imaginaires ; la métaphysique me replonge dans les abîmes. La faiblesse de mon corps succombe. Je vous embrasse.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

3 Décembre 1766.

 

 

          Ce drame deviendra bientôt l’habit d’Arlequin. J’envoie à mes anges, tous les ordinaires, de nouveaux morceaux à coudre. Je change toujours quelque chose, dès que j’ai dit que je ne changerais plus rien ; mais après tout, c’est pour plaire à mes anges.

 

          Cependant je crois que je suis au bout de mon rôlet, et que j’ai épuisé toutes mes ressources. Chaque animal n’a qu’un certain degré de force, et tous les efforts qu’il fait par delà sont inutiles. Je suis épuisé, je suis à sec.

 

          M. de Thibouville a mandé d’étranges choses à maman Denis ; il dit que, si par hasard, il y avait une pièce nouvelle de la façon de votre créature, la superbe Clairon pourrait s’abaisser jusqu’à rentrer au théâtre, et à se charger du rôle principal de la pièce ; mais ce sont des chimères dont on berce les pauvres provinciaux, les pauvres habitants des déserts de la Scythie.

 

          Quoi qu’il en soit, je cherche toujours à prouver mon alibi : c’est le point principal, et j’ai pour cela les plus fortes raisons.

 

          Je n’ai point entendu d’Alainville (1) ; mais tous ceux qui l’ont entendu, et qui s’y connaissent parfaitement, disent qu’il est nécessaire à la Comédie-Française. Au reste, comme il n’y a, dans les Scythes, aucun personnage qui crie, excepté Obeide (dans ses imprécations), Molé, s’il est rétabli, pourra jouer un des deux principaux rôles.

 

          Nous venons de la relire pour la quatrième fois, et elle nous a fait la même impression que la première.

 

          Remarquez bien, ô anges ! que voici le cinquième paquet de corrections. Vous devez avoir tout reçu, soit par M. le duc de Praslin, soit par M. de Courteilles, soit par M. Marin.

 

          Voilà qui est fait, je ne me mêle plus de rien ; c’est à vous à prendre soin de mon salut.

 

          Point du tout ; il y a encore quelques petits coups de pinceau à donner, quelques mots répétés à varier, et puis maman Denis dit que c’est tout ; mais qu’en disent mes anges ?

 

 

1 – Frère de Molé. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lacombe.

 

5 Décembre 1766 (1).

 

 

          Il y a une terrible faute, monsieur, ou je suis bien trompé, à la page 178. La voici : Il n’y a eu aucun exemple de proscriptions, excepté chez les Juifs. Il manque certainement là quelque chose ; il y a apparemment : dans la première antiquité connue. Je vous en avertis aussitôt que je reçois votre paquet, afin que vous ayez la bonté d’y apporter un prompte remède.

 

          Je n’ai pu avoir encore un petit écrit sur Jean-Jacques qu’on m’avait promis. Je vous prie, monsieur, de m’envoyer le poème de M. Dorat, sur la Déclamation, dès qu’il paraîtra, et de me dire quel est l’auteur de l’Avis au prétendu sage (2).

 

          Mon ami m’écrit que vous pourrez faire paraître, quand il vous plaira, votre pâté froid. Il dit que ses petits pâtés chauds, quoiqu’ils soient sortis du four il y a quinze jours, ne seront pas servis sitôt sur table (3).

 

          S’il y a quelque chose de nouveau, vous me ferez plaisir de m’en faire part.

 

          M. de La Harpe travaille chez moi à une tragédie qui pourra être prête à Pâques. J’espère qu’elle réussira et que vous l’imprimerez.

 

          Dites-moi, je vous prie, si vous avez entendu parler d’un livre en deux volumes, intitulé les Erreurs historiques et dogmatiques de Voltaire, par un faquin d’ex-jésuite nommé Nonnotte. Est-il connu à Paris ? Il est détestable. Serait-on assez sot pour qu’il eût quelque vogue ?

 

          Je vous embrasse de tout mon cœur et je compte toujours sur votre amitié.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Avis aux sages du siècle, MM. Voltaire et Rousseau, pièce de vers par Dorat. (G.A.)

3 – C’est-à-dire que les Scythes ne seront pas sitôt représentés. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

6 Décembre 1766 (1).

 

 

          Anges excédés et ennuyés, si votre copiste a porté sur la pièce cinq paquets de corrections, il peut fort bien copier encore la sixième ; mais je jure, par tous les sifflets possibles, que ce sera la dernière.

 

          J’apprends d’ailleurs que ce n’est pas pour moi que le four chauffe actuellement ; on est occupé de la pomme de Guillaume Tell et de la capilotade d’un cœur qu’on fait manger à la dame de Vergy (2). Je sais que ces barbaries passeront devant ma pastorale. Je ferai donc ce qu’on prétend que disait le cardinal de Bernis au cardinal de Fleury : J’attendrai. J’en suis fâché à cause de l’alibi ; car la rage des calomniateurs est montée à son comble.

 

          Les affaires de Genève ne vont pas trop bien. J’ai peur que les médiateurs n’aient le désagrément de voir leurs propositions rejetées ; mais je m’intéresse encore plus aux Scythes qu’aux Génevois.

 

          Vous avez lu sans doute le mémoire contre les commissions (3) : il y a des fautes ; mais il me paraît écrit avec une éloquence forte et attachante. Savez-vous que le dernier projet de Jean-Jacques était de revenir à Genève ? C’était apparemment pour s’y faire pendre ; il ne sera pas fâché de l’être, pourvu que son nom soit dans la gazette.

 

          Le cœur me dit que je recevrai aujourd’hui une lettre de mes anges. Mais je me donne toujours la petite satisfaction de leur écrire, avant d’avoir le grand plaisir de recevoir de leurs nouvelles. Il faut savoir que le courrier de Ferney part à sept heures du matin, et que les lettres de France n’arrivent qu’à deux ou trois heures après-midi. Respect et tendresse.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le Guillaume Tell, joué le 17 Décembre ; et la Gabrielle de Vergy, par du Belloy. (G.A.)

3 – Par l’avocat Chaillou. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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