CORRESPONDANCE -Année 1766 - Partie 49
Photo de PAPAPOUSS
à M. le chevalier de Taulès.
Mardi, au matin.
Si vous avez eu, monsieur, le temps de lire le petit écrit sur les commissions royales, qu’on prétend de M. Lambert (1), conseiller au parlement, je vous supplie de me le renvoyer ; et si vous pouvez vous échapper un moment, ce dont je doute fort, je vous demande de mettre parmi vos œuvres de bienfaisance celle de venir voir un pauvre malade qui vous est tendrement attaché.
Recevez mes respects, et présentez-les, je vous prie, à son excellence.
1 – L’auteur était l’avocat Chaillou. (G.A.)
à M. l’abbé Morellet.
26 Novembre 1766.
Je vais chercher, monsieur, les deux petites curiosités (1) que vous désirez avoir, et elles vous parviendront par votre ami (2), à qui j’envoie cette lettre, et à qui je demande comment il faut s’y prendre. Je ne crois point que ces bagatelles doivent de droits aux fermiers-généraux ; mais il est toujours bon de prendre toutes ses précautions, et de ne pas s’exposer à des avanies.
Il est vrai, monsieur, que ce serait une grande consolation pour moi de former des élèves qui soutinssent le seul véritable théâtre qu’on ait en Europe. En vérité, j’ai besoin de consolation. Les choses que vous me mandez, celles que je sais d’ailleurs, et certains événements publics, font frémir le bon sens, et déchirent le cœur. Si j’étais plus jeune, si je pouvais me transplanter, si ceux qui sont capables de rendre les plus grands services à la raison humaine avaient du courage, je sais bien quel parti il y aurait à prendre. Mais il faudrait se voir ; et puis-je encore me flatter que vous ferez un voyage à Lyon pendant ma vie, et que je pourrai vous parler à cœur ouvert ?
Il n’était pas possible que vous prissiez le parti de Rousseau dès que vous l’avez connu. Non seulement c’est un fou, mais c’est un monstre. M. Tronchin a la preuve en main qu’il ne m’avait écrit une lettre insolente que pour m’engager dans une querelle sur la comédie, et pour soulever contre moi les prédicants et le peuple de Genève. Je n’ai pas été sa dupe. Ce pauvre fou a trop d’orgueil pour être adroit. Il est méchant, mais il n’est pas dangereux : c’est un grand malheur, je l’avoue, qu’un homme qui pouvait servir en ait été si indigne ; mais il n’aurait pu être utile qu’avec un meilleur cœur et un meilleur esprit. Aimons toujours, monsieur, les lettres, qu’il déshonore, et qu’on persécute. Vous ferez plus de bien que Jean-Jacques n’a fait de mal. Continuez-moi vos bontés. Combattons sous le même étendard, sans tambour et sans trompette. Encouragez vos alliés, et que les traités soient secrets ; comptez sur ma tendre et respectueuse amitié. Votre très humble et très obéissant serviteur. MISO-PRIEST (3).
La Lettre au docteur Pansophe n’est point de moi ; elle est de l’abbé Coyer ; je voudrais l’avoir faite.
1 – La Lettre à Hume et les Notes. (G.A.)
2 – Helvétius. (G.A.)
3 – Ennemi des prêtres. (G.A.)
à M. Hennin.
27 Novembre 1766.
Il faudrait, mon cher résident, que les Génevois eussent le diable au corps pour ne pas accepter le règlement qu’on leur propose (1). Il me semble que tous les ordres de leur petit Etat sont pesés dans des balances qui sont plus justes que celles que Jupiter tient dans Homère. Tous les citoyens devraient venir baiser les mains des plénipotentiaires, et s’aller enivrer ensuite, comme le prescrit Rousseau dans je ne sais quel mauvais livre (2) de sa façon. Bonsoir, très aimable homme ; mettez-moi aux pieds de son excellence et ne m’oubliez pas auprès de M. de Taulès.
1 – La bourgeoisie le rejeta. (G.A.)
2 – La Lettre à d’Alembert. (G.A.)
à M. le comte d’Argental.
28 Novembre 1766 (1).
Je reçois la lettre de mes anges datée du 22. J’envoie à M. le duc de Praslin un second exemplaire du livre de jurisprudence (2) qu’il m’a ordonné de lui faire parvenir. Je le mets dans un paquet à son adresse. J’envoie ce paquet à M. Jannel avec un autre exemplaire du même livre en feuilles, que j’ai reçu de Franche-Comté, et dont je lui fais présent.
La perte du paquet de M. le duc de Praslin me fait craindre pour la tragédie que j’avais eu l’honneur de lui envoyer. Le manuscrit lui fut dépêché dans le paquet de M. le chevalier de Beauteville. Je vous ai envoyé des corrections depuis, les unes adressées à M. le duc de Praslin, les autres à M. Marin, sous le couvert de M. de Sartines. J’envoie aujourd’hui au même M. Marin l’avis sur le procès des Sirven (3), dont les exemplaires sont devenus très rares.
Vous voyez, mes chers anges, que je suis un homme exact, quoique les faiseurs de tragédies n’aient pas cette réputation. M. du Clairon, qui n’a fait que la moitié d’une tragédie (4), n’est point exact. Il ne serait pas mal que M. le duc de Praslin eût la bonté de l’engager à faire les recherches nécessaires. Je suis convaincu que c’est un nommé La Beaumelle qui a envoyé à Amsterdam, au libraire nommé Schneider, mes prétendues lettres, avec les additions et les notes les plus criminelles contre le roi et contre les ministres. Cela est si vrai que dans une édition d’Avignon (5), sous le nom de Lausanne, l’éditeur dit : Nous n’imprimons pas les autres lettres, parce que M. La Beaumelle les a déjà données au public.
Ce La Beaumelle est un petit huguenot, autrefois réfugié, confiné actuellement en Languedoc, sa patrie. Il travaille toujours de son premier métier ; il avait falsifié ainsi le Siècle de Louis XIV ; il l’avait chargé de notes horribles contre la famille royale. Il fut enfermé à Bicêtre, où il devrait être encore. Le fou de Verberie (6) n’était pas assurément si coupable que lui.
Mais mon alibi me tient bien plus au cœur. Je suis en peine de savoir si mes anges ont reçu tous mes paquets gros et petits.
Si d’ailleurs ils trouvent le nom de Smerdis trop désagréable pour des Français, il n’y a qu’à prononcer Serdis aux deux représentations ; après quoi on restituera au prince d’Ecbatane, fils de Cyrus, son nom propre.
J’écris en droiture à mes anges toutes ces petites lettres, afin qu’il n’y ait point de temps perdu. Je me recommande à mon ordinaire à leurs extrêmes bontés qui font la consolation de ma vie.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
2 – Le Commentaire sur Beccaria. (G.A.)
3 – Voyez tome V. (G.A.)
4 – Cromwell, que Morand, disait-on, avait commencé. (G.A.)
5 – Voltaire peint par lui-même. (G.A.)
6 – J. Rinquet, condamné à mort en 1762. (G.A.)
à M. Damilaville.
28 Novembre 1766.
Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 20 Novembre. Le roi ne pouvait s’y prendre plus paternellement pour apaiser les troubles de Genève. Il fera dans cette taupinière ce qu’il a fait dans son royaume. Il a éteint les querelles indécentes et dangereuses des parlements et des évêques. Il a tout remis dans l’ordre, et je joins, dans les titres que je lui donne, le nom de Sage à celui de Bien-Aimé.
M. Boursier écrit à M. d’Alembert. Vous voyez bien qu’il ne vous trompait pas, quand il disait qu’on pouvait absolument compter sur les offres de son correspondant (1). Ces offres ne sont point du tout à rejeter. Il n’y a point, à la vérité, de fortune à faire ; mais on aura sûreté et protection.
M. du Cré dit que vous l’avez reçu. Je crois que ce paquet doit être parti de Lyon.
N’avez-vous point vu M. l’abbé Mignot depuis qu’il est de retour à Paris ?
Je crois que l’affaire de M. de Lembrta réussira (2).
Adieu, mon cher ami ; je vous écris à bâtons rompus et fort à la hâte, étant entouré de monde et accablé de maladies. Mille compliments, je vous prie, à M. Tonpla.
N.B. – On m’a envoyé la Justification de Rousseau (3). Quel est le sot qui a écrit cette sottise ? est-il vrai que c’est le libraire Panckoucke ? en ce cas il est digne de seconder le docteur Pansophe.
Encore un petit mot : M. de Beaumont a-t-il vu l’Avis au public ?
1 – Frédéric II, pour établir les philosophes à Clèves. (G.A.)
2 – La Lettre à M. ***, conseiller au parlement, que d’Alembert avait envoyée à Voltaire pour être imprimée à Genève. (G.A.)
3 – Justification de J.-J. Rousseau dans la contestation qui lui est survenue avec M. Hume. L’auteur est inconnu. (G.A.)
à M. Bordes.
A Ferney, 29 Novembre 1766.
Il y a longtemps, monsieur, que vous êtes mon Mercure, et que je suis votre Sosie, à cela près que je vous aime de tout mon cœur, et que vous ne me battez pas. Vous connaissez une ode sur la guerre (1), dans laquelle il y a tant de strophes admirables. On l’a imprimée sous mon nom : je serais trop glorieux si je l’avais faite. Il y a une certaine Profession de foi philosophique (2) digne des Lettres provinciales. Je voudrais bien l’avoir faite encore. Je n’aurais pas cependant attribué à Jean-Jacques du génie et de l’éloquence comme vous faites dans la note qu’on trouve à la dernière page de votre Profession de foi. Je ne lui trouve aucun génie. Son détestable roman d’Héloïse en est absolument dépourvu ; Emile de même ; et tous ses autres ouvrages sont d’un vain déclamateur qui a délayé dans une prose souvent inintelligible deux ou trois strophes de l’autre Rousseau, surtout celle-ci :
Couché dans un antre rustique,
Du nord il brave la rigueur,
Et notre luxe asiatique
N’a point énervé sa vigueur.
Il ne regrette point la perte
De ces arts dont la découverte
A l’homme a coûté tant de soins,
Et qui, devenus nécessaires,
N’ont fait qu’augmenter nos misères
En multipliant nos besoins.
Liv. II, od. IX.
Jean-Jacques n’est qu’un malheureux charlatan qui, ayant volé une petite bouteille d’élixir, l’a répandue dans un tonneau de vinaigre, et l’a distribuée au public comme un remède de son invention.
Je voudrais bien avoir fait encore la Lettre au docteur Pansophe. On m’avait mandé qu’elle était de l’abbé Coyer ; mais on dit actuellement qu’elle est de vous, et je le crois, parce qu’elle est charmante ; mais elle ne s’accorde point avec ce que j’ai mandé à M. Hume, qu’il y a sept ans que je n’ai eu l’honneur d’écrire à M. Jean-Jacques.
Je vous prie de vous confier à moi : je vous demande encore en grâce de vous informer qu’un nommé Nonnotte, ex-jésuite, qui m’a fait l’honneur d’imprimer à Lyon deux volumes (3) contre moi pour avoir du pain (je ne crois pas que ce soit du pain blanc). Il y a longtemps que je cherche deux autres, libelles de jésuites contre les parlements ; l’un, intitulé Il est temps de parler (4), et l’autre, Tout se dira (5). Ils sont rares : pourriez-vous me les faire venir, à quelque prix que ce soit ?
Je vous demande pardon de la liberté que je prends. Je vous embrasse tendrement, mon cher confrère à l’Académie de Lyon, qui devriez l’être à l’Académie française.
1 – Par Bordes. (G.A.)
2 – Par le même. (G.A.)
3 – Erreurs de M. de Voltaire. (G.A.)
4 – Par l’abbé Dazès. (G.A.)
5 – Auteur inconnu. (G.A.)