CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 39

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1766 - Partie 39

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à M. Lacombe.

 

A Ferney, 26 Septembre 1766.

 

 

          Je suis obligé, monsieur, de recourir à votre témoignage pour confondre une singulière imposture. Un éditeur s’est avisé de recueillir quelques-unes de mes lettres qui ont couru dans Paris. Elles sont toutes falsifiées, et presque toutes les falsifications sont des outrages odieux faits aux personnes les plus considérables du royaume. Ce recueil est imprimé à Amsterdam, sous le nom de Genève. Il est connu dans toute l’Europe, hors à Paris, où il est justement prohibé.

 

          Il y a dans ce recueil une lettre que je vous écrivis en 1763, au sujet de la reine Christine. Je vous prie de me dire si les paroles suivantes sont effectivement dans l’original que vous pouvez avoir :

 

« La réputation de son père était si grande, qu’on aurait tenu compte à cette princesse de toutes les sottises attachées à son sexe, et même du mal qu’elle n’aurait pas osé faire à ses sujets. Il faut être né bien dépravé et bien stupide, pour ne pas briller sur le trône, et pour ne point s’immortaliser par de bonnes actions, plus faciles à faire que les grandes et belles actions. Quoi qu’il en soit, ce livre est toujours un monument précieux qui pourrait servir d’exemple à d’autres princes qui auraient la folle gloriole d’abdiquer. »

 

          Je ne crois pas m’être servi d’expressions si plates et si ridicules (1). Presque tout le reste de la lettre imprimée est très indignement défiguré. Je vous prie de m’envoyer un certificat dans lequel vous fassiez éclater votre juste indignation contre le faussaire. On ne peut réprimer le brigandage de la librairie qu’en le dévoilant. Je vous serai obligé de m’envoyer les feuilles de la pièce que vous imprimez. Je souhaite que cet ouvrage soit accueilli avec quelque indulgence, afin que l’auteur puisse joindre à la seconde édition quelques morceaux de littérature qu’il m’a confiés (2), et qui me paraissent très curieux. Je vous prie de compter pour jamais sur l’estime et l’amitié qui m’attachent à vous.

 

 

1 – Elles ne se trouvent pas en effet dans la lettre. (G.A.)

2 – Du gouvernement et de la divinité d’Auguste ; des conspirations contre les peuples. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

26 Septembre 1766.

 

 

          Vous semblez craindre, mon cher ami, par votre lettre du 23, que l’on ne fasse quelque difficulté sur le bel exorde que vous avez mis à votre certificat ; je ne vous en ai pas moins d’obligation, et je la sens dans le fond de mon cœur. Je compte faire imprimer ce certificat avec les autres, que j’enverrai à tous les journaux ; je n’aurai pas de peine à confondre la calomnie. Il me semble que nous sommes dans le siècle des faussaires ; mais mon étonnement est que les faussaires soient si maladroits. Comment peut-on insérer, dans des lettres déjà publiques, des impostures si atroces et si aisées à découvrir ? Ce qui me fâche beaucoup, c’est que ces lettres se vendent à Genève. Madame la comtesse de Brionne, qui daigne venir à Ferney, ne sera-t-elle pas bien régalée de ce beau libelle ? elle y trouvera sa maison outragée.

 

          Je ne sais où prendre ce M. Deodati, qui me doit un témoignage authentique de la vérité : c’est à lui qu’est écrite la lettre si indignement falsifiée. Je n’ai point reçu de réponse à la lettre que je lui ai écrite : il faut ou qu’il ne soit point à Paris, ou qu’il soit malade, ou qu’il ne sache pas remplir les premiers devoirs de la société. Ma famille juge que la chose est importante. Je serai peut-être obligé de m’adresser à M. le lieutenant de police. Je connais votre cœur, mon cher ami ; vous mettrez de l’empressement à trouver ce Deodati, et à lui faire remplir son devoir Voilà une fort sotte affaire ; mais la plupart des affaires de ce monde sont fort sottes ; on est bien heureux quand l’atrocité ne se joint pas à la sottise.

 

          Je vous ai déjà mandé que M. le duc de Choiseul et M. le duc de Praslin souhaitaient M. Chardon pour rapporteur. J’ignore les sentiments présents de M. de Beaumont sur ce choix ; mais le point principal est l’impression de son mémoire. Je me flatte que M. d’Argental en aura le premier exemplaire.

 

          Il me semble que le temps est favorable pour faire imprimer cet ouvrage, et pour disposer les esprits. L’automne est un temps d’indolence et de désœuvrement, pendant lequel on est avide de nouveautés.

 

          Vous savez sans doute que le sieur Saucourt juge d’Abbeville, n’a pas voulu juger les autres accusés, et l’on croit qu’il se démettra de sa place : c’est ainsi qu’on se repent après que le mal est fait.

 

          J’attends votre paquet, dans lequel j’espère trouver des consolations. Si M. Boulanger, auteur du bel article VINGTIÈME (1), vivait encore, il serait bien étonné que le blé coûte quarante francs le setier, et qu’on n’y met point ordre Tout va comme il plaît à Dieu.

 

          Adieu, mon cher ami ; je suis bien malade. Je vous répète que je serai très fâché de mourir sans avoir vu Platon, et surtout sans vous avoir revu avec lui. Je vous embrasse de toutes les forces qui me restent. Ecr. l’inf…

 

          Voulez-vous bien envoyer cette lettre au libraire Lacombe ? Il y a aussi une lettre à lui adressée dans ce maudit recueil, et Lacombe sera sans doute plus honnête que Deodati. Bonsoir, mon très cher ami.

 

 

1 – L’article est de Damilaville (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame d’Epinay.

 

26 Septembre 1766.

 

 

          Si vous êtes chèvre, madame, il n’y a personne qui ne veuille devenir bouc ; mais vous m’avouerez que de vieux singes, devenus tigres, sont une horrible espèce. Comment se peut-il faire que les êtres pensants et sensibles ne cherchent pas à vivre ensemble dans un coin du monde, à l’abri des coquins absurdes qui le défigurent ? Je jouis de cette consolation depuis quelques années ; mais il y a des êtres qui me manquent : j’aurais voulu vivre surtout avec vous et vos amis. Il est vrai que le petit nombre de sages répandus dans Paris peut faire beaucoup de bien en s’élevant contre certaines atrocités, et en ramenant les hommes à la douceur et à la vertu. La raison est victorieuse à la longue ; elle se communique de proche en proche. Une douzaine d’honnêtes gens qui se font écouter produit plus de bien que cent volumes : peu de gens lisent, mais tout le monde converse, et le vrai fait impression.

 

          Votre petit Mazar (1), madame, a pris, je crois, assez mal son temps pour apporter l’harmonie dans le temple de la Discorde. Vous savez que je demeure à deux lieues de Genève m : je ne sors jamais ; j’étais très malade quand ce phénomène a brillé sur le noir horizon de Genève. Enfin il est parti, à mon très grand regret, sans que je l’aie vu. Je me suis dépiqué en faisant jouer sur mon petit théâtre de Ferney des opéras-comiques pour ma convalescence ; toute la troupe de Genève, au nombre de cinquante, a bien voulu me faire ce plaisir. Vous croyez bien que l’auteur de la Henriade fait jouer Henri IV. Nous avons tous pleuré d’attendrissement et de joie quand nous avons vu la petite famille se mettre à genoux devant ce bon roi. Tout cela est consolant, je l’avoue mais il y a trop de méridiens entre vous et moi : mon malheur est que mon château n’est pas une aile du vôtre ; c’est alors que je serais heureux. Madame Denis pense comme moi ; permettez-nous d’embrasser M. Grimm. Adieu, madame ; vivez heureuse. Agréez mon très tendre respect.

 

 

1 – Joueur de clavecin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Vernes.

 

Septembre 1766.

 

 

          Voici, monsieur, où en est l’affaire de cette malheureuse et innocente famille des Sirven. Il a fallu deux années de soins et de peines réitérées pour rassembler en Languedoc les pièces justificatives. Nous les avons enfin arrachées Le mémoire de M. de Beaumont est déjà signé par plusieurs avocats ; nous avons déjà demandé un rapporteur ; M. le duc de Choiseul nous protège ; il m’écrit ces propres mots de sa main dans la dernière lettre dont il m’honore : « Le jugement des Calas est un effet de la faiblesse humaine, et n’a fait souffrir qu’une famille ; mais la dragonnade de M. de Louvois a fait le malheur du siècle. »

 

          Avouez, monsieur le curé huguenot, que M. le duc de Choiseul est une belle âme, et que ces paroles doivent être gravées en lettres d’or. Pour celles de Vernet (1), si on peut les écrire, ce n’est qu’avec la matière dont Ezéchiel faisait son déjeuner. Quant à Jean-Jacques, il suffit de vous dire qu’il y avait autrefois à Paris un pauvre homme nommé Chianpot-la-Perruque, qui se plaignait que la cour et la ville étaient liguées contre lui.

 

          Vous devriez bien abandonner vos ouailles quelques moments, pour venir converser dans un château où il n’y a pas une ouaille.

 

 

1 – Lettres critiques d’un voyageur anglais. (G.A.)

 

 

 

 

 

Au duc de Nivernais.

 

Au château de Ferney, par Genève, 29 septembre 1766 (1).

 

 

          Oserai-je, monseigneur le duc, prendre la liberté de vous importuner ? Vous me le pardonnerez, car il s’agit de faire du bien et de mettre le comble à vos bienfaits envers une famille que vous avez daigné tirer de l’état le plus horrible.

 

          Vous avez, monseigneur, fait sortir des galères (2) par votre protection le sieur d’Espinasse, d’une très bonne famille de Languedoc. Il avait subi ce supplice pendant vingt-trois années, et il était condamné aux galères perpétuelles, pour avoir donné à souper et à coucher à un prédicant. Son bien fut confisqué selon l’usage, et le tiers du revenu fut retenu pour la nourriture de ses enfants, qui n’en ont jamais rien touché. Sa femme, qui est respectable par sa vertu et par ses malheurs, est retirée à Lausanne, où elle est au pain des pauvres. Je sais que votre bonté, qui ne s’est point lassée, s’est employée encore en faveur de cette famille infortunée. Vous avez fait ce que vous avez pu pour lui obtenir grâce entière et pour lui faire rendre son bien. Vous en avez parlé à M. de Saint-Florentin, et je suis bien surpris que son humanité ait résisté à vos sollicitations généreuses. Je le crois actuellement adouci, et l’on me fait espérer qu’un mot de votre bouche achèvera de le rendre favorable à une si juste demande.

 

          Permettez donc que je vous supplie de vouloir bien encore lui parler de cette affaire, avec ce don de la persuasion que la nature vous a donné parmi tant d’autres.

 

          Vous verrez incessamment le mémoire de M. de Beaumont en faveur d’une famille encore plus malheureuse ; vous en jugerez. Votre suffrage servira beaucoup à déterminer celui du public, et par conséquent celui du conseil. Le style et le fond des choses sont également soumis à votre pénétration. Je ne suis que votre confrère à l’Académie, mais je vous reconnais pour mon supérieur en tout le reste. J’achève ma vie sans avoir le bonheur de vous faire ma cour ; mais ce n’est pas sans vous être sincèrement attaché.

 

          Je suis avec un profond respect, monseigneur, etc.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

2 – En janvier 1763. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

1er Octobre 1766.

 

 

          Je vous envoie, mon cher ami, cette lettre ouverte pour M. de Beaumont, que je vous supplie de lire.

 

          Il s’est chargé de trois affaires fort équivoques, qui feront grand tort à la cause des Sirven. Il y a un parti violent contre lui : on a surtout prévenu les deux Tronchin. On s’irrite de le voir invoquer une loi cruelle (1) contre les protestants mêmes qu’il a défendus ; on dit que sa femme, étant née protestante, devait réclamer cette loi moins qu’une autre. On prétend que l’acquéreur de la terre de Canon (2) est de bonne foi, et que les terres en Normandie ne se vendent jamais plus que le denier vingt. On assure que le brevet obtenu par l’acquéreur le met à l’abri de toutes recherches, et que la même faveur qui lui a fait obtenir son brevet lui fera gagner sa cause.

 

          Je vous confie mes alarmes. L’odieux qu’on jette sur cette affaire nuira beaucoup à celle des Sirven, je le vois évidemment : mais plus nous attendrons, plus nous trouverons le public refroidi ; et d’ailleurs les démarches que j’ai faites exigent absolument que le mémoire soit imprimé sans délai. Si M. de Beaumont est à la campagne, il n’a d’autre parti à prendre que de vous confier le mémoire, que vous ferez imprimer par Merlin.

 

          J’ai enfin reçu le Certificat de M. Deodati ; j’aurai celui (3) de Lacombe par le premier ordinaire. Il est essentiel de confondre la calomnie : en brisant une de ses flèches, on brise toutes les autres Il paraît tous les jours des livres qu’on ne manque pas de m’imputer. Il faudrait que je ressemblasse à Esdras, et que je dictasse jour et nuit, pour faire la dixième partie des écrits dont l’imposture me charge. On poursuit avec acharnement ma vieillesse ; on empoisonne mes derniers jours. Je n’ai d’autre ressource que dans la vérité ; il faut qu’elle paraisse du moins aux yeux des ministres ; ils jugeront de toutes ces calomnies par celles de l’éditeur de mes prétendues Lettres. C’est un service qu’il m’aura rendu, et qui pourra servir de bouclier contre les traits dont on accable les pauvres philosophes.

 

          On a annoncé le livre de Fréret (4) dans la Gazette d’Avignon. On y dit, à la vérité, que le livre est dangereux, mais qu’il y a beaucoup de modération et de profondeur.

 

          Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse aussi tendrement que je vous regrette.

 

          Je vous demande en grâce de m’envoyer, par la première poste, le factum de M. de La Roque contre M. de Beaumont (5) ; car je veux absolument juger ce procès au tribunal de ma conscience.

 

 

1 – Voyez la lettre à Damilaville du 4 juin 1767. (G.A.)

2 – Dans le Calvados. (G.A.)

3 – Il n’est pas dans l’Appel au public. (G.A.)

4 – L’Examen pratique. (G.A.)

5 – A propos du procès de sa femme. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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