ARTICLES DE JOURNAUX - 10 octobre 1764

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ARTICLES DE JOURNAUX - 10 octobre 1764

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ARTICLES DE JOURNAUX.

 

 

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C. CORNELIUS TACITUS A FALSO IMPIETATIS CRIMINE VINDICATUS, etc.

 

C. TACITE JUSTIFIÉ CONTRE LA FAUSSE IMPUTATION D’IMPIETÉ ; DISCOURS PRONONCÉ DANS UN DES COLLÈGES DE L’UNIVERSITÉ D’OXFORD,

 

Par J. Kynaston. A Londres, chez Flexney, 1764

 

 

 

Gazette littéraire, 10 Octobre 1764.

 

 

 

 

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          Famien Strada, historien jésuite très connu (1), avait accusé Tacite d’impiété, et s’était fondé particulièrement sur ce passage : « Nec unquam atrocioribus populi romani cladibus magisque justic judiciis (2) approbatum est non esse curæ diis securitatem nostram, esse ultionem. » (Histor. Lib. I.) « Jamais les dieux n’ont fait voir par des fléaux plus terribles et des jugements plus sévères qu’ils avaient moins à cœur le salut du peuple romain que leur propre vengeance. » Un autre jésuite, que nous ne comparerons pas à Strada parce qu’il ne mérite d’être comparé à personne, le fameux Garasse, a cité le même passage pour prouver que Tacite était un athéiste, et il lui associe Lucain, qui, dit-il, a sûrement emprunté de lui cette pensée dans les vers suivants (I. IV, 807-9) :

 

Felix Roma quidem, civesque habitura beatos,

Si libertatis superis tam cura placeret

Quam vindicta placet !

 

          C’est dommage pour la remarque du P. Garasse que la Pharsale ait été antérieure à l’Histoire de Tacite ; mais nous ne nous arrêterons pas à relever ce fanatique bouffon trop au-dessous de toute critique ; nous remarquerons seulement qu’il est étrange qu’on cite pour preuve de l’irréligion de Tacite la pensée la plus religieuse peut-être qu’on trouve dans cet auteur. Il n’y a rien assurément de moins impie que de dire que les dieux envoient des calamités à un peuple pour le punir de ses crimes. Tacite, dans cette même phrase, parle des prodiges, des présages heureux et funestes, et des autres avertissements du ciel ; ce langage ressemble plus à celui d’un superstitieux que d’un athée. Nous n’entrerons pas d’ailleurs dans cette frivole discussion ; il importe fort peu à la gloire de Tacite qu’on pense qu’il admettait ou qu’il rejetait l’existence et la providence de Jupiter Capitolin ; dans les principes de la vraie religion, croire aux dieux du paganisme ou être athée, c’est la même chose. Il y a beaucoup d’apparence que Tacite, ainsi que César, Cicéron, Sénèque, Lucrèce, et tous les autres grands hommes de ces temps-là se moquaient beaucoup des auspices, des présages du Tartare, et de tous les Jupiters de la fable ; mais ce n’est pas sur un ou deux passages d’un auteur ancien qu’il faut juger de ses sentiments en matière de religion ; il n’est aucun d’eux qui n’ait écrit sur cet objet des choses contradictoires. Il y a une règle simple et générale pour juger des opinions de ces écrivains : lorsqu’ils semblent respecter la religion nationale, ils ont pu le faire par bienséance, par politique, ou pour intéresser plus sûrement en adoptant les préjugés populaires ; mais, lorsqu’ils attaquent ou tournent en ridicule ces mêmes préjugés, ils ne peuvent avoir pour motif que leur propre persuasion (3).

 

 

 

 

1 – Villaret répondit à cet article dans le même journal. (G.A.)

2 – Né en 1572, mort en 1649, auteur d’une Histoire des troubles des Pays-Bas, en latin, de 1555 à 1590. (G.A.)

3 – C’est le cas de Voltaire. (G.A.)

 

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