CORRESPONDANCE - Année 1764 - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1764 - Partie 17

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à M. le Clerc de Montmerci.

 

Aux Délices, 16 Mai 1764.

 

 

          Il y a des traits charmants, monsieur, dans tous les ouvrages que vous faites, des vers heureux et pleins de génie. Souffrez seulement que je vous dise qu’il ne faut pas prodiguer l’or et les diamants. Quand vous voudrez vous amuser à faire des vers, gardez-vous de trop d’abondance. Vous savez mieux que moi que quatre bons vers valent mieux que quatre cents médiocres. Quand vous en ferez peu, vous les ferez tous excellents. Vous sentez qu’il faut que je vous estime beaucoup pour oser vous parler ainsi.

 

          Si vous n’avez rien à faire, et que vous vouliez quelquefois m’écrire des nouvelles de littérature, ou même des nouvelles publiques, à vos heures de loisir, vous me ferez beaucoup de plaisir ; mais surtout ne vous gênez pas. On ne doit faire ni vers ni prose, ni même écrire un billet, que quand on se sent en verve. C’est l’attrait du plaisir qui doit nous conduire en tout ; malheur à celui qui écrit, parce qu’il croit devoir écrire ! Vous êtes philosophe, et par conséquent un être très libre. Ma philosophie est la très humble servante de la vôtre, et l’amitié que vous m’avez inspirée me fait espérer que vous en aurez un peu pour moi. Que cette amitié commence par bannir les cérémonies.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

Aux Délices, 19 Mai 174.

 

 

          Je vous remercie bien, mon cher frère, de votre lettre du 11 de mai. Je me souviens que Catherine Vadé pensait comme vous, et disait à Antoine Vadé, frère de Guillaume : Mon cousin, pourquoi faites-vous tant de reproches à ces pauvres Welches (1) ? Eh ! ne voyez-vous pas, ma cousine, répondit-il, que ces reproches ne s’adressent qu’aux pédants qui ont voulu mettre sur la tête des Welches un joug ridicule ? Les uns ont envoyé l’argent des Welches à Rome, les autres ont donné des arrêts contre l’émétique et le quinquina ; d’autres ont fait brûler des sorciers  d’autres ont fait brûler des hérétiques et quelquefois des philosophes. J’aime fort les Welches, ma cousine ; mais vous savez que quelquefois ils ont été assez mal conduits. J’aime d’ailleurs à les piquer d’honneur et à gronder ma maîtresse.

 

          Voilà ce que disait ce pauvre Antoine, dont Dieu veuille avoir l’âme ! et il ajoutait que tant que les Welches appelleraient un angiportus cul-de-sac, il ne leur pardonnerait jamais.

 

          A l’égard du dessein où sont les libraires de Paris d’imprimer les Remarques à part, ce dessein ne pourrait être exécuté que longtemps après que M. Pierre Corneille, le petit-neveu, se serait défait de sa pacotille ; et si je ne puis empêcher cette édition, il faut mieux qu’elle soit bien faite et correcte qu’autrement. Ainsi, quand vous verrez mes anges, je vous prie d’examiner avec eux s’il n’est pas convenable de faire dire aux libraires de ma part, que je les aiderai de tout mon cœur dans leur projet ; cette espérance qu’ils auront les empêchera de se hâter, et ils pourront faire un petit présent à M. Pierre : voilà qu’elle est mon idée.

 

          Dans ma dernière, il y en avait une pour Briasson, qui ne regarde en aucune manière l’édition de Corneille. Je lui demande seulement la Démonstration évangélique de Huet, dont j’ai besoin. Je sais que cette démonstration n’est pas géométrique ; mais on se sert quelquefois en français du mot de démonstrations pour signifier fausses apparences.

 

          Il est fort plaisant qu’on dise que Jérôme Carré a proposé la paix à maître Aliboron. En vérité, c’est comme si on prétendait que Morand, en disséquant Cartouche, lui fit proposer un accommodement.

 

          J’ai reçu le factum pour Potin, et pour l’humanité (2) ; j’en remercierai frère Beaumont. Interim, écr. l’inf…

 

 

1 – Voyez le Discours aux WELCHES. (G.A.)

2 – Mémoire en faveur de l’état des protestants, par Elie de Beaumont. Potin, fils d’un protestant réfugié à Genève, voulait faire rétablir son état civil en France. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame Geoffrin.

 

Aux Délices, 21 Mai 1764.

 

 

          M. le comte de Creutz (1), madame, était bien digne de vous connaître ; il mérite tout ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire de lui. S’il y avait un empereur Julien au monde, c’était chez lui qu’il devrait aller en ambassade, et non chez des gens qui font des auto-da-fé et qui baisent la manche des moines. Il faut que la tête ait tourné au sénat de Suède pour ne pas laisser un tel homme en France : il y aurait fait du bien, et il est impossible d’en faire en Espagne.

 

          Je vous souhaite, madame, les jours et l’estomac de Fontenelle ; vous avez tout le reste. Agréez le respect du Vieux de la montagne.

 

 

1 – Ambassadeur de Suède à Madrid. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marmontel.

 

Aux Délices, 21 Mai 1764.

 

 

          Mon cher confrère, je n’ai eu chez moi M. le comte de Creutz qu’un jour. J’aurais voulu passer ma vie avec lui. Nous envoyons rarement de pareils ministres dans les cours étrangères. Que de Welches, grand Dieu ! dans le monde. Je vous avoue que je suis de l’avis d’Antoine Vadé, qui prétend que nous ne devons notre réputation dans l’Europe qu’aux gens de lettres. Ils ont fait sans doute une grande perte dans madame de Pompadour. Nous ne pouvions lui reprocher que d’avoir protégé Catilina et le Triumvirat ; elle était philosophe. Si elle avait vécu, elle aurait fait autant de bien que madame de Maintenon a fait de mal. M. le comte de Creutz me disait qu’en Suède les philosophes n’avaient besoin d’aucune protection ; il en est de même en Angleterre : cela n’est pas tout à fait ainsi en France. Dieu ait pitié de nous, mon cher confrère ! M. de Creutz m’apporta aussi une lettre du très philosophe frère d’Alembert (1). Dites, je vous prie, à ce très digne et très illustre frère que je ne lui écris point, parce que je lui avais écrit quelques jours auparavant.

 

          Vous devez avoir reçu un Corneille ; vous en recevrez bientôt un autre. Cramer a un chaos à débrouiller ; je ne me suis mêlé en aucune manière des détails de l’édition, et je n’ai encore en ma possession qu’un exemplaire imparfait, que je n’ai pas même relu.

 

          J’ai été très affligé de la Dunciade, ainsi que la comédie des Philosophes ; mais j’ai toujours pardonné à Jérôme Carré les petits compliments qu’il a faits de temps en temps à maître Aliboron dit Fréron. Ce Fréron n’est que le cadavre d’un malfaiteur qu’il est permis de disséquer.

 

          On dit que frère Helvétius est allé en Angleterre en échange de frère Hume. Je ne sais si notre secrétaire perpétuel (2) me conserve toujours un peu d’amitié. Les frères doivent se réunir pour résister aux méchants, dont on m’a dit que la race pullule. Frère Saurin doit aussi se souvenir de moi dans ses prières. J’exhorte tous les frères à combattre avec force et prudence pour la bonne cause. Adressons nos communes prières à saint Zénon, saint Epicure, saint Marc-Antonin, saint Epictète, saint Bayle et tous les saints de notre paradis. Je vous embrasse bien tendrement. Frère V.

 

 

1 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

2 – Duclos. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 21 Mai 1764.

 

 

          Que le nom d’anges vous convient bien, et que vous êtes un couple adorable ! Que les libraires sont Welches, et qu’il y a encore de Welches dans le monde ! Tout ira bien, mes divins anges, grâce à vos bontés. Vous avez raison, dans votre lettre du 14 de mai, d’un bout à l’autre. Je conçois bien qu’il y a quelques Welches affligés, mais il faut aussi vous dire qu’il y avait une page qui raccommodait tout, que cette page ayant été envoyée à l’imprimerie un jour trop tard n’a point été imprimée ; que cet inconvénient m’est arrivé très souvent, et que c’est ce qui redoublait ma colère de Ragotin (1) contre les libraires.

 

          J’ai eu une longue conversation avec mademoiselle Catherine Vadé, qui s’est avisée de faire imprimer les fadaises de sa famille. Elle a retrouvé dans ses papiers ce petit chiffon que je vous présente pour consoler les Welches (2).

 

          J’ai eu l’honneur aussi de parler aux roués. Il est très vrai qu’il ne faut pas dire si souvent à Auguste qu’il est un poltron ; mais quand on veut corriger un vers, vous savez que souvent il en faut réformer une douzaine. Voyez si vous êtes contents du petit changement. En voilà quelques-uns depuis la dernière édition ; vous pourriez, pour vous épargner la peine de coudre tous ces lambeaux, me renvoyer la pièce, et je mettrais tout en ordre.

 

          Je corrige tant que je peux avant la représentation, afin de n’avoir plus rien à corriger après.

 

          A l’égard des coupures, et de ces extraits de tragédie, et de ces sentiments étranglés, tronqués, mutilés, que le public, lassé de tout, semble exiger aujourd’hui, ce goût me paraît welche. C’est ainsi que dans Mérope on a mutilé, au cinquième acte, la scène du récit, en le faisant faire par un homme, ce qui est doublement welche. Il fallait laisser la chose comme elle était ; il fallait que mademoiselle Dubois fît le récit, qui ne convient qu’à une femme, et qui est ridicule dans la bouche d’un homme. Ces irrégularités serraient le cœur du pauvre Antoine Vadé.

 

          Serez-vous assez adorables pour dire à M. le premier président de Dijon (3) combien nous lui sommes attachés ? Le ciel se déclare en notre faveur ; car ce M. Le Beault (4), qui préside actuellement le parlement de Bourgogne, est celui qui nous fournit de bon vin (5), et il n’en fournit point aux curés.

 

          Nota. Ce n’est point un ex-jésuite qui a fait les roués, c’est un jeune novice qui demanda son congé dès qu’il sut la banqueroute du P. Lavalette, et qu’il apprit que nosseigneurs du parlement avaient un malin vouloir (6) contre saint Ignace de Loyola. Le public, sans doute, protégera ce pauvre diable ; mais le bon de l’affaire, c’est qu’elle amusera mes anges. Je crois déjà les voir rire sous cape à la première représentation.

 

          Je ne pourrai me dispenser de mettre incessamment M. de Chauvelin de la confidence. Comme c’est une affaire d’Etat ; il sera fidèle. S’il était à Paris, il serait un de vos meilleurs conjurés ; mais vous n’avez besoin de personne. Je viens de relire la pièce ; elle n’est pas fort attendrissante. Les Welches ne sont pas Romains ; cependant il y a je ne sais quel intérêt d’horreur et de tragique qui peut occuper pendant cinq actes.

 

          Je mets le tout sous votre protection. Respect et tendresse.

 

 

1 – Voyez le Roman comique de Scarron. (G.A.)

2 – Supplément du Discours aux Welches. (G.A.)

3 – Fyot de La Marche. (G.A.)

4 – Ou mieux, Lebault. (G.A.)

5 – Lebault était propriétaire du climat de Corton. (G.A.)

6 – Malin vouloir : intention maligne, intention de nuire.

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse de Grammont.

 

 

 

          Madame, vous m’avez permis de prendre la liberté de vous écrire quelquefois. M. l’abbé de Voisenon, qui ne laisse pas d’être sérieux quand il le faut, m’a assuré très sérieusement que vous receviez mes lettres avec bonté ; et il faut qu’il vous connaisse bien, car il vous regarde comme le modèle du goût, de la raison et de la bienfaisance.

 

Je me crois bien autorisé aujourd’hui à profiter de cette permission que vous me donnez. Voici, madame, un Suisse, un Hollandais auprès de qui je veux me faire valoir : je lui fais accroire que vous daignerez souffrir ma lettre. Je suis, comme vous savez, Suisse aussi, et ma vanité est de passer pour votre protégé. Je vous supplie, madame, de ne me pas désavouer auprès de M. Constant (1). Il est vrai qu’il est fils d’un général qui s’est battu quarante ans contre nous ; il est vrai qu’il est colonel en Hollande. Mais, madame, il est si Français, il a tant de talents, il est si aimable, que je veux qu’il ait grande opinion de moi.

 

C’est mon excessif orgueil qui vous attire mon importunité. Pardonnez à la faiblesse humaine, et recevez avec votre bonté ordinaire les sentiments de la reconnaissance et du profond respect avec lequel je serai toute ma vie, madame, votre très humble, très obéissant, et très obligé serviteur.

 

 

1 – Constant d’Hermenches. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

Aux Délices, 23 Mai 1764.

 

 

          Vos dernières lettres, mon cher frère, m’ont fait un plaisir bien sensible. Tout ce que vous me dites m’a touché. J’ai écrit sur-le-champ à mademoiselle Catherine Vadé ; elle m’a envoyé le papier ci-joint (1), et elle m’a dit que c’est tout ce qu’elle peut faire pour les Welches. Les véritables Welches, mon cher frère, sont les Omer, les Chaumeix, les Fréron, les persécuteurs, et les calomniateurs ; les philosophes, la bonne compagnie, les artistes, les gens aimables, sont les Français, et c’est à eux à se moquer des Welches.

 

          On dit que pour consoler ces Welches de tous leurs malheurs, on leur a donné une comédie fort bonne qui a un très grand succès (2) ; mais j’aimerais encore mieux quelque bon livre de philosophie qui écrasât pour jamais le fanatisme, et qui rendît les lettres respectables. Je mets toutes mes espérances dans l’Encyclopédie.

 

          Je me doutais bien que quelque libraire de Paris ferait bientôt une édition des Commentaires sur Corneille, séparément du texte ; et c’était pour prévenir cet abus welche que j’avais imaginé de faire les propositions les plus honnêtes aux libraires qui ont le privilège ; cela conciliait tout, et Pierre, neveu de Pierre, aurait eu le temps de se défaire de sa cargaison, par les mesures que je voulais prendre ; mais tout se vend avec le temps, excepté la belle édition du galimatias de Crébillon, faite au Louvre.

 

          Je ne suis pas fâché que mademoiselle Clairon n’ait pas repris Olympie ; il faut la laisser désirer un peu au public. Cette pièce forme un spectacle si singulier qu’on la reverra toujours avec plaisir, à peu près comme on va voir la rareté, la curiosité (3) ; elle ne doit pas être prodiguée.

 

          Est-il vrai que frère Helvétius est en Angleterre ? On dit que la France a fait l’échange d’Helvétius contre Hume. Je viens de passer une journée entière avec le comte de Creutz, ambassadeur de Suède à Madrid. Plût à Dieu qu’il le fût en France ! c’est un des plus dignes frères que nous ayons. Il m’a dit que le nouveau Catéchisme, imprimé à Stockholm, commençait ainsi :

 

          D. – Pourquoi Dieu vous a-t-il créé et mis au monde ?

          R. – Pour le servir et pour être libre.

          D. – Qu’est-ce que la liberté ?

          R. – C’est de n’obéir qu’aux lois.

 

          Ce n’est pas là le catéchisme des Welches.

 

          Mon cher frère, si jamais M. Le Clerc de Montmercy fait des vers, dites-lui qu’il en fasse moins, par la raison même qu’il en fait quelquefois de fort beaux ; mais multiplicasti gentem, non multiplicasti lœtitiam. Le moins de vers qu’on peut faire, c’est toujours de mieux.

 

          Je viens de recevoir le mot de l’énigme de la belle paix entre l’illustre Fréron et moi. Panckoucke m’écrit une longue lettre, par laquelle il demande un armistice, et propose des conditions. Je vous enverrai la lettre et la réponse, dès que j’aurai des yeux ou la parole.

 

          Bonsoir ; j’ai trente lettres à dicter ; mon imagination se refroidit, mais mon cœur est toujours bien chaud pour vous. Ecr. l’inf…

 

 

1 – Supplément du Discours aux Welches. (G.A.)

2 – La Jeune Indienne, comédie de Chamfort, jouée le 30 avril. (G.A.)

3 – Refrain d’une chanson. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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