CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 26

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 26

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à Madame la comtesse d’Argental.

 

13 Auguste 1763.

 

 

          L’un des anges, je reçois la lettre dont vous m’honorez, du 4 d’auguste. Je vous envoie, pour vous amuser, un premier acte un peu plus poli que n’était l’autre, plus dialogué, et plus convenable. Il y a, dans tous les actes, des morceaux que j’ai fortifiés ; mais à présent que j’ai un maudit procès pour mes dîmes, et que je fais des écritures, je ne peux guère faire d’écrits. J’ai eu douze jours de bon, je les ai employés à brocher un drame ; cela est bien honnête. Avouez, madame qu’il sera bien plaisant d’être sous le masque ; donnez-vous ce plaisir-là, je vous prie.

 

          J’ai peur que M. le duc de Praslin n’aime pas mon impératrice de Russie. J’ai peur qu’on ne la dégote ; il ne me restait plus que cette tête couronnée ; il m’en faut une absolument.

 

          J’ai lu les Quatre Saisons du cardinal de Bernis ; c’est une terrible profusion de fleurs. J’aurais voulu que les bouquets eussent été arrangés avec plus de soin ; je jouis pleinement de ce qu’il a chanté. Vous ne savez pas, madame, combien l’on est heureux d’être à la campagne, et peut-être qu’il ne le sait pas non plus.

 

          Je ris aux anges, c’est-à-dire que je suis rempli pour vous, madame, du plus tendre respect.

 

          Madame Denis, et ma petite famille qui rit et saute tout le jour, baisent humblement le bout de vos ailes.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

13 auguste 1763.

 

 

          Je prends le parti d’ennuyer mon frère de mes affaires temporelles. Je lui ai rendu compte de mes trois vingtièmes ; c’est un passeport pour mes paquets, et le cahier ci-joint, adressé à M. Mariette, concerne un dixième ; ainsi je suis parfaitement en règle avec la poste.

 

          Madame d’Argental eut la bonté de faire remettre chez M. de Courteilles un gros paquet pour mon frère, le 2 auguste ; je suppose qu’il l’a reçu, et que c’est de lui, qu’il me parle dans sa lettre du 5 Juillet, laquelle devait être datée du 5 auguste.

 

          L’affaire du dixième est bien plus embarrassante que celle du vingtième. Je paie très volontiers de justes impôts au roi ; mais il serait dur d’être dépouillé d’une dîme qui appartient à ma terre depuis deux cents ans, par un prêtre que j’ai comblé de biens, et qui me fait sous main un procès dans le temps même qu’il conclut avec moi l’échange le plus avantageux, et que le roi le ratifie.

 

          Cette conduite sacerdotale touchera mon frère, et je me flatte qu’elle n’étonnera pas le corps des adeptes.

 

          O Platons ! ô Anaxagores ! que dites-vous de mon vilain ? Vous dites sans doute : Ecr. l’inf…

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

11 auguste 1763.

 

 

          Mon cher frère, ma philosophie est réduite à ne vous parler que de procès depuis quelque temps. Les vingtièmes et les dîmes ont été mes problèmes, et voici un nouveau procès que vous m’annoncez au sujet d’une farce anglicane. S’il y avait une étincelle de justice dans messieurs de la justice, ils verraient bien que l’affectation de mettre mon nom à la tête de cet ouvrage est une preuve que je n’en suis point l’éditeur ; ils verraient que le titre, qui porte GENÈVE, est encore une preuve qu’il n’a pas été imprimé à Genève ; mais Omer ne connaît point les preuves ; je me crois obligé de le prévenir. J’envoie à mon neveu d’Hornoy, conseiller au parlement, un pouvoir de poursuivre criminellement les éditeurs du libelle ; et à vous, mon cher frère, j’envoie cette Déclaration, que je vous supplie de faire mettre dans les Petites-Affiches en cas de besoin, et dans tous les papiers publics, le tout pour sauver l’honneur de la philosophie.

 

          Je vous ai dépêché, parmi les paperasses immenses dont je vous ai accablé, une procédure concernant les jésuites mes voisins. Le serrurier de mon village, ayant travaillé pour eux, fut payé en deux voies de bois de chauffage ; les créanciers d’Ignace se sont imaginé que ce pauvre homme avait acheté des jésuites une grande forêt : ils l’ont assigné à venir rendre compte au parlement de Paris. J’ai donc produit les défenses de mon serrurier, car il faut défendre les faibles ; et je vous les ai adressées pour mon procureur Pinon du Coudray. A quoi faut-il passer sa vie ! et quel embarras je vous donne ! Il faut que vous soyez bien philosophe pour le souffrir. Vive felix ! et écr. L’inf…. Nous l’écra…, - Nous l’écra……

 

«  Ayant appris qu’on débite à Paris, sous mon nom et sous le titre de Genève, je ne sais quelle farce intitulée, dit-on, Saül et David, je suis obligé de déclarer que l’éditeur calomnieux de cette farce abuse de mon nom ; qu’on ne connaît point à Genève cette rapsodie ; qu’un tel abus n’y serait pas toléré, et qu’il n’y est pas permis de tromper ainsi le public.

 

A Genève, 13 auguste 1763. VOLTAIRE. »

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

14 auguste 1763.

 

 

          O mes anges ! après avoir beaucoup écrit de ma main, je ne peux plus écrire de ma main. Je ne m’aviserai pas de vous envoyer corrections, additions, pour la tragédie de mes roués ; une autre farce vient à la traverse. On prétend que notre ami Fréron, très attaché à l’Ancien Testament, a fait imprimer la facétie de Saül et David, qui est dans le goût anglais, et qui ne me paraît pas trop faite pour le théâtre de Paris. Ce scélérat, plus méchant qu’Achitophel, a mis bravement mon nom à la tête. C’est du gibier pour Omer. Je n’y sais autre chose que de prévenir Omer, et de présenter requête, s’il veut faire réquisitoire. Je me joins d’esprit et de cœur à messieurs en cas qu’ils veuillent poser sur le réchaud Saül et David, au pied de l’escalier du (illisible). C’étaient, je vous jure, deux grands polissons que ce Saül et ce David, et il faut avouer que leur histoire et celle des voleurs de grands chemins se ressemblent parfaitement. Maître Omer est tout-à-fait digne de ces temps-là. Quoi qu’il en soit, je déshérite mon neveu le conseiller au parlement (1), s’il n’instrumente pas pour moi dans cette affaire, en cas qu’il faille instrumenter.

 

          Je lui donne tout pouvoir par les présentes, et mes anges sont toujours le premier tribunal auquel je m’adresse.

 

          Je vous supplie donc d’envoyer chercher aux plaids mon gros neveu, et de l’assurer de ma malédiction s’il ne se démène pas dans cette affaire.

 

          De plus, j’envoie à frère Damilaville un petit avertissement pour mettre dans les papiers publics, conçu en ces termes :

 

«  Ayant appris qu’on a imprimé à Paris et qu’on débite sous mon nom une prétendue tragédie anglaise intitulée Saül et David, je prie mon neveu M. d’Hornoy, conseiller au parlement, de vouloir bien donner de ma part un pouvoir au sieur Pinon du Coudray, procureur, de poursuivre criminellement les auteurs de cette manœuvre et de cette calomnie.

 

Fait aux Délices près de Genève, le 13 auguste 1763. VOLTAIRE. »

 

          Nul ange n’a jamais eu, depuis le démon de Socrate, un si importun client ; tantôt tragédies, tantôt farces, tantôt Omer ; je ne finis point : je mets la patience de mes anges à l’épreuve. Si l’affaire est sérieuse, je les supplie d’envoyer chercher mon neveu, sinon mes anges jetteront au feu la  lettre qui est pour lui. En tout cas, je crois qu’il sera bon que frère Damilaville fasse mettre dans les papiers publics le petit Avertissement daté de la sainte ville de Genève. Il faut être bien méchant pour avoir mis mon nom là. Mes méchancetés à moi se terminent au Pauvre Diable, au Russe à Paris, aux Pompignades, aux Berthiades, à l’Ecossais ; mais aller au criminel, ah ! fi !

 

          Respect et tendresse. Au bout de vos ailes.

 

 

1 – D’Hornoy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. D’Hornoy.

 

Aux Délices, 14 auguste.

 

 

          Mon cher neveu, je ne doute pas qu’avec votre minois et votre ventre également rebondis, vous n’ayez un furieux crédit en parlement. Je mets entre vos mains l’affaire la plus importante. Il s’agit d’une farce anglaise indignement tirée de la sainte Ecriture, qu’on dit faites par ces coquins d’Anglais, qui ne respectent pas plus l’Ancien Testament que nos flottes. Quelque polisson s’est avisé d’imprimer à Paris, et de débiter sous mon nom, cette facétie anglicane.Il est important pour votre salut que votre oncle ne soit pas excommunié, attendu qu’étant mon héritier, vous seriez damné aussi par le troisième concile de Latran. Je vous remets le soin de mon âme, et vous embrasse de tout mon cœur. Votre vieil oncle, V.

 

 

 

 

 

à M. P. Rousseau.

 

Ferney, 14 auguste 1763.

 

 

          Je ne sais, monsieur, ce que c’est que les Mélanges (1) dont vous me parlez ; j’ai depuis quelque temps très peu de correspondances à Paris. L’aventure de Jean-Jacques Rousseau et sa lettre un peu indécente à M. l’archevêque de Paris ont été un peu funestes à la correspondance des gens de lettres. Il n’a plus été permis d’envoyer aucun imprimé par la poste ; je sais seulement qu’on imprime à Paris beaucoup de sottises, mais qu’on ne peut y en faire entrer aucune. On y a imprimé sous mon nom une prétendue tragédie anglaise intitulée Saül, que je n’ai jamais vue. Je reçois assez régulièrement votre Journal, qui m’instruit et m’amuse ; je souhaite qu’il vous soit aussi utile qu’il m’est agréable. Je ne suis guère occupé que d’agriculture cet été ; mais si je peux trouver quelque chose digne d’entrer dans votre greffe, et quelque manière de vous l’envoyer, je m’en ferai un vrai plaisir. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Le Journal encyclopédique avait annoncé deux volumes de Mélanges de M. de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

16 Auguste.

 

 

          J’envoie à mes divins anges la lettre de M. Douet ou Drouet, fermier-général, lequel fermier paraît n’avoir point du tout envie de donner au neveu de Pierre Corneille un nouvel emploi ; et il le trouve posté à merveille au port Saint-Nicolas. Tout ce que je souhaite, c’est de voir un Drouet mesurer du bois et du charbon, et un Corneille fermier-général.

 

          On m’a envoyé des choses assez plaisantes sur les sept cent quarante millions de M. Roussel (1). Je l’avais pris d’abord pour le trésorier d’Aboul-Cassem. Messieurs les Parisiens doivent regorger d’or et d’argent.

 

          Au reste, mes anges voient que j’ai un peu d’occupation ; je les supplie très instamment de m’excuser auprès de M. de La Marche si je n’ai pas l’honneur de lui écrire. Je n’ai pas eu encore le temps d’écrire à M. de Chauvelin ; à peine ai-je celui de vaquer à mes petites affaires. Un pauvre laboureur est bien empêché quand il faut faire des tragédies et des commentaires sur des tragédies : c’est bien pis pour l’histoire ; le pauvre homme n’en peut plus, il demande quartier.

 

          Je baise humblement le bout de vos ailes, mes anges.

 

 

1 – Roussel de La Tour, auteur de la Richesse de l’Etat. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Dupont de Nemours.

 

A Ferney, 16 auguste.

 

 

          Je vois, monsieur, que vous embrassez deux genres un peu différents l’un de l’autre, la finance et la poésie. Les eaux du Pactole doivent être bien étonnées de couler avec celles du Permesse. Vous m’envoyez le fort jolis vers avec des calculs de  sept cent quarante millions. C’est apparemment le trésorier d’Aboul-Cassem qui a fait ce petit état de sept cent quarante millions, payables par chacun an. Une pareille finance ne ressemble pas mal à la poésie ; c’est une très noble fiction. Il faut que l’auteur avance la somme pour achever la beauté du projet.

 

          Vous avez très bien fait de dédier à M. l’abbé de Voisenon vos Réflexions (1) touchant l’argent comptant du royaume ; cela me fait croire qu’il en a beaucoup. Vous ne pouviez pas mieux égayer la matière qu’en adressant quelque chose de si sérieux à l’homme du monde le plus gai. Je vous réponds que si le roi a autant de millions que l’abbé de Voisenon dit de bons mots, il est plus riche que les empereurs de la Chine et des Indes. Pour moi, je ne suis qu’un pauvre laboureur ; je sers l’Etat en défrichant des terres, et je vous assure que j’y ai bien de la peine. En qualité d’agriculteur, je vois bien des abus ; je les crois inséparables de la nature humaine, et surtout de la nature française ; mais, à tout prendre, je crois que le bénéfice l’emporte un peu sur les charges. Je trouve les impôts très justes, quoique très lourds, parce que, dans tout pays, excepté dans celui des chimères, un Etat ne peut payer ses dettes qu’avec de l’argent. J’ai le plaisir de payer toujours mes vingtièmes d’avance, afin d’en être plus tôt quitte.

 

          A l’égard des Fréron et des autres canailles, je leur ai payé toujours trop tard ce que je leur devais en vers et en prose.

 

          Pour vous, monsieur, je vous paie avec grand plaisir le tribut d’estime et de reconnaissance que je vous dois. C’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Réflexions sur l’écrit intitulé, Richesse de l’Etat. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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