ARTICLES DE JOURNAUX - Poèmes par C. Churchill

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ARTICLES DE JOURNAUX - Poèmes par C. Churchill

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ARTICLES DE JOURNAUX.

 

 

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POEMS, BY C. CHURCHILL.

 

POÈMES PAR C. CHURCHILL.

 

 

A Londres, chez Dryden Leach.

 

 

 – 1763 –

 

 

 

Gazette littéraire, 18 Avril 1764.

 

 

 

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          Ces poèmes sont des satires pleines d’amertume, de chaleur et de force ; elles avaient été publiées séparément ; l’auteur en les rassemblant dans un volume, y a fait quelques changements et ajouté plusieurs vers heureux. Le premier poème par lequel M. Churchill se soit fait connaître au public est intitulé la Rosciade ; il y fait la satire de différents acteurs des deux théâtres de Londres. Voilà un sujet assez bizarre pour le début d’un théologien de l’Eglise anglicane. Le révérend M. Sterne, chanoine d’York, débuta ainsi par le roman plus gai que décent de Tristam Shandy. La Rosciade réussit, et mérita à son auteur les applaudissements des beaux esprits et la censure du clergé, surtout de l’évêque de Rochester, dans le diocèse duquel il officiait.

 

          On jugerait, par l’objet principal de ces satires, que M. Churchill n’a écrit ni pour les étrangers, ni pour la postérité. Les portraits de quelques comédiens, une querelle avec des journalistes, une aventure de revenant, un démêlé particulier avec M. Hogarth, etc., tout cela ne peut guère intéresser hors de Londres et des circonstances ; mais M. Churchill a répandu dans ces morceaux des beautés qui sont de tous les temps ; sa poésie est pleine de verve, de chaleur, et d’énergie ; il ne se contente pas de poursuivre les vices et les ridicules des particuliers, il attaque avec la même hardiesse et la même force les vices de son siècle et de sa nation. M. Churchill passe pour un des plus grands poètes, et peut-être pour le premier des poètes satiriques que l’Angleterre ait produits. Il ressemble moins à Pope qu’à Dryden, qu’il paraît aussi avoir plus étudié. Il n’est pas aussi pur, aussi correct que Pope, mais il a plus d’originalité dans sa manière ; et son style, quoique avec une élégance moins continue, a une harmonie plus abondante et plus variée. On a reproché à Pope que ses vers tombent presque toujours deux à deux, et que le sens finit à chaque couplet. M. Churchill a une marche plus libre ; mais il est souvent lâche et négligé, et son style est embarrassé de parenthèses, qui, s’enchâssant les unes dans les autres, occupent quelquefois jusqu’à vingt et trente vers. Ce défaut est assez commun aux écrivains anglais et dans la prose et dans les vers.

 

          Mais ce qui nous paraît bien plus condamnable encore dans les poésies de M. Churchill, c’est l’amertume et quelquefois l’atrocité qu’il porte dans la satire : nous savons que ce genre de poésie a des bornes plus ou moins étroites, suivant la différente nature des gouvernements. La liberté d’écrire doit être plus grande partout où le peuple a quelque part à la législation. C’est une espèce de censure publique qui s’accorde très bien avec les principes de la démocratie. Voilà pourquoi, dans les premiers temps de la Grèce, la satire, qui n’était alors employée qu’au théâtre, était violente ; on l’adoucit lorsque les principes de l’aristocratie commencèrent à l’emporter sur ceux de la démocratrie. En Angleterre il semble que la loi donne à chaque particulier le droit d’attaquer tout homme en place dans son caractère public ; mais partout la loi doit protéger la réputation et les mœurs privées d’un citoyen ; lorsque la loi se tait, c’est au public même à venger les droits de la société outragée. M. Churchill nous paraît avoir violé toutes les lois de la bienséance et de l’honnêteté sociale. Livré à l’esprit de parti, il prodigue la louange où le blâme, suivant les préjugés qu’il a adoptés. Juvénal et Horace déguisaient le plus souvent les noms de ceux qu’ils perçaient de leurs traits ; M. Churchill accuse un homme de vendre son âme de boue à qui veut la payer, et le nomme, Pope, Dryden, et d’autres satiriques anglais, se contentaient de désigner leurs victimes par les lettres initiales de leurs noms ; M. Churchill dédaigne même d’employer le voile le plus léger. Despréaux, qui quelquefois a outrepassé lui-même les bornes légitimes de la satire, est, auprès du satirique anglais, le plus doux et le plus poli des hommes. En rendant justice aux grands talents de M. Churchill, nous désirons qu’il en fasse à l’avenir un usage plus conforme aux droits de l’honnêteté et aux intérêts de sa propre gloire, en choisissant des sujets qui soient d’un intérêt plus général, et en modérant la violence effrénée de sa muse (1).

 

 

 

1 – Churchill mourut l’année même où Voltaire écrivit cet article. (G.A.)

 

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