LA HENRIADE - Chant neuvième - Partie 2

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Il fait plus (à l’Amour tout miracle est possible) ;

Il enchante ces lieux par un charme invincible.

Des myrtes enlacés, que d’un prodigue sein

La terre obéissante a fait naître soudain,

Dans les lieux d’alentour étendent leur feuillage :

A peine a-t-on passé sous leur fatal ombrage,

Par des liens secrets on se sent arrêter ;

On s’y plaît, on s’y trouble, on ne peut les quitter.

On voit fuir sous cette ombre une onde enchanterese ;

Les amants fortunés, pleins d’une douce ivresse,

Y boivent à longs traits, l’oubli de leur devoir.

L’Amour dans tous ces lieux fait sentir son pouvoir :

Tout y paraît changé ; tous les cœurs y soupirent :

Tous sont empoisonnés du charme qu’ils respirent :

Tout y parle d’amour. Les oiseaux dans les champs

Redoublent leurs baisers, leurs caresses, leurs chants.

Le moissonneur ardent, qui court avant l’aurore

Couper les blonds épis que l’été fait éclore,

S’arrête, s’inquiète, et pousse des soupirs :

Son cœur est étonné de ses nouveaux désirs ;

Il demeure enchanté dans ces belles retraites,

Et laisse, en soupirant, ses moissons imparfaites.

Près de lui, la bergère, oubliant ses troupeaux,

De sa tremblante main sent tomber ses fuseaux.

Contre un pouvoir si grand qu’eût pu faire d’Estrée ?

Par un charme indomptable elle était attirée ;

Elle avait à combattre, en ce funeste jour,

Sa jeunesse, son cœur, un héros, et l’Amour.

 

Quelque temps de Henri la valeur immortelle

Vers ses drapeaux vainqueurs en secret le rappelle :

Une invisible main le retient malgré lui.

 

Dans sa vertu première il cherche un vain appui :

Sa vertu l’abandonne ; et son âme enivrée

N’aime, ne voit, n’entend, ne connaît que d’Estrée.

 

Loin de lui cependant tous ses chefs étonnés

Se demandent leur prince, et restent consternés.

Ils tremblent pour ses jours : aucun d’eux n’eût pu croire

Qu’on eût, dans ce moment, dû craindre pour sa gloire :

On le cherchait en vain ; ses soldats abattus,

Ne marchant plus sous lui, semblaient déjà vaincus.

 

Mais le génie heureux qui préside à la France

Ne souffrit pas longtemps sa dangereuse absence :

Il descendit des cieux à la voix de Louis,

Et vint d’un vol rapide au secours de son fils.

 

Quand il fut descendu vers ce triste hémisphère,

Pour y trouver un sage il regarda la terre.

Il ne le chercha point dans ces lieux révérés,

A l’étude, au silence, au jeûne consacrés ;

Il alla dans Ivry : là, parmi la licence

Où du soldat vainqueur s’emporte l’insolence,

L’ange heureux des Français fixa son vol divin

Au milieu des drapeaux des enfants de Calvin :

Il s’adresse à Mornay. C’était pour nous instruire

Que souvent la raison suffit à nous conduire,

Ainsi qu’elle guida, chez des peuples païens,

Marc-Aurèle, ou Platon, la honte des chrétiens.

 

Non moins prudent ami que philosophe austère,

Mornay sut l’art discret de reprendre et de plaire :

Son exemple instruisait bien mieux que ses discours :

Les solides vertus furent ses seuls amours.

Avide de travaux, insensible aux délices,

Il marchait d’un pas ferme au bord des précipices.

Jamais l’air de la cour, et son souffle infecté,

N’altéra de son cœur l’austère pureté ;

Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée

Roule, au sein furieux d’Amphitrite étonnée,

Un cristal toujours pur, et des flots toujours clairs,

Que jamais ne corrompt l’amertume des mers.

 

Le généreux Mornay, conduit par la Sagesse,

Part, et vole en ces lieux où la douce Mollesse

Retenait dans ses bras le vainqueur des humains,

Et de la France en lui maîtrisait les destins.

L’Amour, à chaque instant, redoublant sa victoire,

Le rendait plus heureux, pour mieux flétrir sa gloire.

Les plaisirs, qui souvent ont des termes si courts,

Partageaient ses moments et remplissaient ses jours.

 

L’Amour, au milieu d’eux, découvre avec colère,

A côté de Mornay, la Sagesse sévère :

Il veut sur ce guerrier lancer un trait vengeur ;

Il croit charmer ses sens, il croit blesser son cœur :

Mais Mornay méprisait sa colère et ses charmes ;

Tous ses traits impuissants s’émoussaient sur ses armes.

Il attend qu’en secret le roi s’offre à ses yeux,

Et d’un œil irrité contemple ces beaux lieux.

 

Au fond de ces jardins, au bord d’une onde claire,

Sous un myrte amoureux, asile du mystère,

D’Estrée à son amant prodiguait ses appas ;

Il languissait près d’elle, il brûlait dans ses bras.

De leurs doux entretiens rien n’altérait les charmes :

Leurs yeux étaient remplis de ces heureuses larmes,

De ces larmes qui font les plaisirs des amants :

Ils sentaient cette ivresse et ces saisissements,

Ces transports, ces fureurs, qu’un tendre amour inspire,

Que lui seul fait goûter, que lui seul peut décrire ;

Les folâtres Plaisirs, dans le sein du repos,

Les Amours enfantins désarmaient ce héros :

L’un tenait sa cuirasse encor de sang trempée,

L’autre avait détaché sa redoutable épée,

Et riait, en tenant dans ses débiles mains

Ce fer, l’appui du trône et l’effroi des humains.

 

La Discorde de loin insulte à sa faiblesse ;

Elle exprime, en grondant, sa barbare allégresse.

Sa fière activité ménage ces instants :

Elle court de la Ligue irriter les serpents ;

Et tandis que Bourbon se repose et sommeille,

De tous ses ennemis la rage se réveille.

 

Enfin dans ces jardins, où sa vertu languit,

Il voit Mornay paraître (8) : il le voit, et rougit.

L’un de l’autre, en secret, ils craignaient la présence.

Le sage, en l’abordant, garde un morne silence ;

Mais ce silence même, et ces regards baissés,

Se font entendre au prince, et s’expliquent assez.

Sur ce visage austère, où régnait la tristesse,

Henri lut aisément sa honte et sa faiblesse.

Rarement de sa faute on aime le témoin :

Tout autre eût de Mornay mal reconnu le soin.

« Cher ami, dit le roi, ne crains point ma colère ;

Qui m’apprend mon devoir est trop sûr de me plaire.

Viens, le cœur de ton prince est digne encor de toi :

Je t’ai vu, c’en est fait, et tu me rends à moi ;

Je reprends ma vertu, que l’Amour m’a ravie :

De ce honteux repos fuyons l’ignominie ;

Fuyons ce lieu funeste, où mon cœur mutiné

Aime encor les liens dont il fut enchaîné.

Me vaincre est désormais ma plus belle victoire :

Partons, bravons l’Amour dans les bras de la Gloire ;

Et bientôt, vers Paris répandant la terreur,

Dans le sang espagnol effaçons mon erreur. »

 

A ces mots généreux, Mornay connut son maître.

« C’est vous, s’écria-t-il, que je revois paraître ;

Vous, de la France entière auguste défenseur ;

Vous, vainqueur de vous-même, et roi de votre cœur.

L’Amour à votre gloire ajoute un nouveau lustre :

Qui l’ignore est heureux, qui le dompte est illustre (9). »

 

Il dit. Le roi s’apprête à partir de ces lieux.

Quelle douleur, ô ciel ! attendrit ses adieux !

Plein de l’aimable objet qu’il fuit et qu’il adore,

En condamnant ses pleurs, il en versait encore.

Entraîné par Mornay, par l’Amour attiré,

Il s’éloigne, il revient, il part désespéré.

Il part. (10). En ce moment d’Estrée, évanouie,

Reste sans mouvement, sans couleur, et sans vie ;

D’une soudaine nuit ses beaux yeux sont couverts.

L’Amour, qui l’aperçut, jette un cri dans les airs ;

Il s’épouvante, il craint qu’une nuit éternelle

N’enlève à son empire une nymphe si belle,

N’efface pour jamais les charmes de ces yeux

Qui devaient dans la France allumer tant de feux (11).

Il la prend dans ses bras ; et bientôt cette amante

Rouvre, à sa douce voix, sa paupière mourante,

Lui nomme son amant, le redemande en vain,

Le cherche encor des yeux, et les ferme soudain.

L’Amour, baigné des pleurs qu’il répand auprès d’elle,

Au jour qu’elle fuyait tendrement la rappelle ;

D’un espoir séduisant il lui rend la douceur,

Et soulage les maux dont lui seul est l’auteur (12).

 

Mornay, toujours sévère et toujours inflexible,

Entraînait cependant son maître trop sensible.

La Force et la Vertu leur montrent le chemin ;

La Gloire les conduit, les lauriers à la main ;

Et l’Amour indigné, que le devoir surmonte,

Va cacher loin d’Anet sa colère et sa honte.

 

 

 

 

 LA HENRIADE-CHANT 9-Partie2

 

 

 

 

 

1 – Mornay rappelle ici le Mentor de Fénelon plutôt que le Caton de Lucain. (G.A.)

 

2 – « Si Mornay eût su qu’Henri IV, dit le critique de 94, avait épuisé avec Gabrielle la coupe de la volupté, il ne lui eût pas dit : Qui le dompte est illustre. Il n’y a pas grand mérite à s’éloigner d’une femme, quand on est rassasié des plaisirs qu’elle a prodigués. » (G.A.)

 

3 – Les couplets de Henri IV sur son départ sont d’un bien autre sentiment et d’un tout autre ton que la tirade qu’il vient de débiter ici à Mornay :

 

Charmante Gabrielle,

Percé de mille dards,

Quand la gloire m’appelle

Sous les drapeaux de Mars,

Cruelle départie !

Malheureux jour !

Que ne suis-je sans vie

Ou sans amour !

 

(G.A.)

 

4 – « Vers digne de Saint Amand, » dit M. Bancel. (G.A.)

 

5 – Ces vers, où Dorat se mêle agréablement à Fontenelle, ne manquent pas, selon M. Bancel, d’une certaine grâce à la Vanloo. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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