DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : F comme FRANCOIS

Publié le par loveVoltaire

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C’était la fête à VOLTAIRE, hier…

 

 

 

 

F comme FRANÇOIS

 

 

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         On prononce aujourd’hui français, et quelques auteurs l’écrivent de même ; ils en donnent pour raison qu’il faut distinguer François qui signifie une nation, de François qui est un nom propre, comme saint François, ou François 1er.

 

         Toutes les nations adoucissent à la longue la prononciation des mots qui sont le plus en usage ; c’est ce que les Grecs appelaient euphonie. On prononçait la diphtongue oi rudement, au commencement du seizième siècle. La cour de François 1er adoucit la langue comme les esprits : de là vient qu’on ne dit plus françois par o, mais français ; qu’on dit, il aimait, il croyait, et non pas il aimoit, il croyoit, etc.

 

         La langue française ne commença à prendre quelque forme que vers le dixième siècle ; elle naquit des ruines du latin et du celte, mêlées de quelques mots tudesques. Ce langage était d’abord le romanum rusticum, le romain rustique, et la langue tudesque fut la langue de la cour jusqu’au temps de Charles-le-Chauve ; le tudesque demeura la seule langue de l’Allemagne, après la grande époque du partage en 843. Le romain rustique, la langue romance prévalut dans la France occidentale ; le peuple du pays de Vaud, du Valais, de la vallée d’Engadine, et de quelques autres cantons, conserve encore aujourd’hui des vestiges manifestes de cet idiome.

 

         A la fin du dixième siècle le français se forma ; on écrivit en français au commencement du onzième ; mais ce français tenait encore plus du romain rustique que du français d’aujourd’hui. Le roman de Philomena, écrit au dixième siècle en romain rustique, n’est pas dans une langue fort différente des lois normandes. On voit encore les origines celtes, latines et allemandes. Les mots qui signifient les parties du corps humain, ou des choses d’un usage journalier, et qui n’ont rien de commun avec le latin ou l’allemand, sont de l’ancien gaulois ou celte, comme tête, jambe, sabre, aller, pointe, parler, écouter, regarder, aboyer, crier, coutume, ensemble ; et plusieurs autres de cette espèce.  La plupart des termes de guerre étaient francs ou allemands : Marche, halte, maréchal, bivouac, reître, lansquenet. Presque tout le reste est latin,  et les mots latins furent tous abrégés, selon l’usage et le génie des nations du Nord : ainsi de pulatium, palais ; de lupus, loup ; d’Auguste, août ; de Junius, juin ; d’unctus, oint ; de purpura, pourpre ; de pretium, prix, etc… A peine restait-il quelques vestiges de la langue grecque, qu’on avait si longtemps parlée à Marseille.

 

         On commença au douzième siècle à introduire dans la langue quelques termes de la philosophie d’Aristote ; et vers le seizième siècle, on exprima par des termes grecs toutes les parties du corps humain, leurs maladies, leurs remèdes : de là les mots de cardiaque, céphalique, podagre, apoplectique, asthmatique, iliaque, empyème, et tant d’autres. Quoique la langue s’enrichît du grec, et que depuis Charles VIII elle tirât beaucoup de secours de l’italien déjà perfectionné, cependant elle n’avait pas pris encore une consistance régulière. François 1er abolit l’ancien usage de plaider, de juger, de contracter en latin ; usage qui attestait la barbarie d’une langue dont on n’osait se servir dans les actes publics ; usage pernicieux aux citoyens, dont le sort était réglé dans une langue qu’ils n’entendaient pas. On fut alors obligé de cultiver le français ; mais la langue n’était ni noble ni régulière. La syntaxe était abandonnée au caprice. Le génie de la conversation étant tourné à la plaisanterie, la langue devint très féconde en expressions burlesques et naïves, et très stérile en termes nobles et harmonieux : de là vient que dans les dictionnaires de rimes on trouve vingt termes convenables à la poésie comique pour un d’un usage plus relevé ; et c’est encore une raison pour laquelle Marot ne réussit jamais dans le style sérieux, et qu’Amyot ne put rendre qu’avec naïveté l’élégance de Plutarque.

 

         Le français acquit de la vigueur sous la plume de Montaigne ; mais il n’eut point encore d’élévation et d’harmonie. Ronsard gâta la langue en transportant dans la poésie française les composés grecs dont se servaient les philosophes et les médecins. Malherbe répara un peu le tort de Ronsard. La langue devint plus noble et plus harmonieuse par l’établissement de l’Académie française, et acquit enfin, dans le siècle de Louis XIV, la perfection où elle pouvait être portée dans tous les genres.

 

         Le génie de cette langue est la clarté et l’ordre : car chaque langue a son génie, et ce génie consiste dans la facilité que donne le langage de s’exprimer plus ou moins heureusement, d’employer ou de rejeter les tours familiers aux autres langues. Le français n’ayant point de déclinaisons, et étant toujours asservi aux articles, ne peut adopter les inversions grecques et latines ; il oblige les mots à s’arranger dans l’ordre naturel des idées. On ne peut dire que d’une seule manière : « Plancus a pris soin des affaires de César ; » voilà le seul arrangement qu’on puisse donner à ces paroles : exprimez cette phrase en latin : « Res Cæsaris Plancus diligenter curavit ; » on peut arranger ces mots de cent vingt manières sans faire tort au sens et sans gêner la langue. Les verbes auxiliaires, qui allongent et qui énervent les phrases dans les langues modernes, rendent encore la langue française peu propre pour le style lapidaire. Les verbes auxiliaires, ses pronoms, ses articles, son manque de participes déclinables, et enfin sa marche uniforme, nuisent au grand enthousiasme de la poésie : elle a moins de ressources en ce genre que l’italien et l’anglais ; mais cette gêne et cet esclavage mêmes la rendent plus propre à la tragédie et à la comédie qu’aucune langue de l’Europe. L’ordre naturel dans lequel on est obligé d’exprimer ses pensées et de construire ses phrases répand dans cette langue une douceur et une facilité qui plaît à tous les peuples ; et le génie de la nation, se mêlant au génie de la langue, a produit plus de livres agréablement écrits qu’on n’en voit chez aucun autre peuple.

 

         La liberté et la douceur de la société n’ayant été longtemps connues qu’en France, le langage en a reçu une délicatesse d’expression et une finesse pleine de naturel qui ne se trouvent guère ailleurs. On a quelquefois outré cette finesse, mais les gens de goût ont su toujours la réduire dans de justes bornes.

 

         Plusieurs personnes ont cru que la langue française s’était appauvrie depuis le temps d’Amyot et de Montaigne : en effet, on trouve dans ces auteurs plusieurs expressions qui ne sont plus recevables ; mais ce sont pour la plupart des termes familiers auxquels on a substitué des équivalents. Elle s’est enrichie de quantité de termes nobles et énergiques ; et sans parler ici de l’éloquence des choses, elle a acquis l’éloquence des paroles. C’est dans le siècle de Louis XIV, comme on l’a dit, que cette éloquence a eu son plus grand éclat, et que la langue a été fixée. Quelques changements que le temps et le caprice lui préparent, les bons auteurs du dix-septième et du dix-huitième siècle serviront toujours de modèles.

 

         On ne devait pas attendre que le Français dût se distinguer dans la philosophie. Un gouvernement longtemps gothique étouffa toute lumière pendant plus de douze cents ans, et des maîtres d’erreurs payés pour abrutir la nature humaine épaissirent encore les ténèbres. Cependant aujourd’hui il y a plus de philosophie dans Paris que dans aucune ville de la terre, et peut-être que toutes les villes ensemble, excepté Londres. Cet esprit de raison pénètre même dans les provinces. Enfin le génie français est peut-être égal aujourd’hui à celui des Anglais en philosophie ; peut-être supérieur à tous les autres peuples, depuis quatre-vingts ans dans la littérature ; et le premier, sans doute, pour les douceurs de la société, pour cette politesse si aisée, si naturelle, qu’on appelle improprement urbanité.

 

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1 – A paru dans l’Encyclopédie. « Je demande si, en traitant l’article Français, sous l’acceptation de peuple, on ne doit pas aussi parler des autres significations de ce mot. » Voltaire à d’Alembert, 9 Décembre 1765. Voltaire n’a traité l’article FRANÇAIS pour l’Encyclopédie que sous l’acceptation de langue. Pourquoi ? Une lettre à d’Alembert en date du même mois nous l’apprend : « Français et Histoire sont terribles. Je n’ai point de livres dans ma solitude de Monrion ; je demande un peu de temps pour ces deux articles. » On ne lui laissa un peu de temps que pour Histoire. La section première, Franc, n’a paru que dans les Questions sur l’Encyclopédie. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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