CORRESPONDANCE - Année 1762 - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

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à Madame de Fontaine (1).

 

 

 

          Est-il vrai que la Dubois récite le rôle d’Atide (2) comme une petite fille qui ânonne sa leçon ?

 

          Les Etrennes du chevalier de Molmire (3) ne paraissent pas vous être dédiées. Ne montrez le Sermon du bon rabbin Akib qu’à d’honnêtes gens dignes d’entendre la parole de Dieu. Savez-vous que j’avais autrefois une pension que je perdis en perdant la place d’historiographe ? Le roi vient de m’en donner une autre, sans qu’assurément j’aie osé la demander ; et M. le comte de Saint-Florentin m’envoie l’ordonnance pour être payé la première année. La façon est infiniment agréable. Je soupçonne que c’est un tour de madame de Pompadour et de M. le duc de Choiseul.

 

 

1 – Cette lettre n’est qu’un fragment que les éditeurs précédents avaient cousu à une lettre de l’année 1761. (G.A.)

 

2 – Dans Zulime. (G.A.)

 

3 – Les Chevaux et les Ânes, étrennes aux sots. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

Aux Délices, 26 Janvier 1762.

 

 

          Le frère ermite embrasse tendrement les frères de Paris. Il a un peu de fièvre, mais il espère que Dieu le conservera pour être le fléau des fanatiques et des barbares. Ni lui ni M. Picardet ne sont contents de l’altération du texte du Droit du Seigneur ; et il espère que, quand il s’agira d’imprimer, le texte sacré sera rétabli dans toute sa pureté.

 

          Je suis enthousiasmé du petit livre de l’inquisition ; jamais l’abbé Mords-les n’a mieux mordu, et la préface est un des meilleurs coups de dent qu’ait jamais donnés Protagoras (1).

 

          Je suis d’ailleurs très mécontent de frère Thieriot, dont les lettres sont toujours instructives, et qui écrit une fois en six mois. Ce frère aura pourtant, dans six mois, un ouvrage d’un de nos frères de la propagande qui pourra lui être utile (2), et faire prospérer la vigne du Seigneur.

 

          Allons donc, paresseux, écrivez-moi donc comment on a reçu la réplique foudroyante de l’abbé de Chauvelin aux jésuites (3).

 

          Quelles nouvelles du Tripot de la comédie ? quelle tragédie jouera-t-on ? quelles sottises fait-on ? envoyez-moi donc celles de Piron (4), puisque j’ai lu celles de Gresset (5).

 

 

1 – Voltaire nous apprend ici que d’Alembert est auteur de la préface du Manuel des inquisiteurs, de Morellet. (G.A.)

 

2 – C’est-à-dire que Voltaire donnera à Thieriot le produit d’un de ses ouvrages. (G.A.)

 

3 – Réplique aux apologies des jésuites. (G.A.)

 

4 – Le Salon, poème. (G.A.)

 

5 – Lettre à M. le duc de Choiseul sur le Mémoire historique de la négociation entre la France et l’Angleterre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

26 Janvier 1762.

 

 

          Mes chers frères, je vous remercie au nom de l’humanité du Manuel de l’Inquisition. C’est bien dommage que les philosophes ne soient encore ni assez nombreux, ni assez zélés, ni assez riches, pour aller détruire, par le fer et par la flamme, ces ennemis du genre humain, et la secte abominable qui a produit tant d’horreurs.

 

          M. Picardin me mande qu’il est assez content du succès du Droit du Seigneur : on dit qu’on l’a gâté encore après la première représentation (1). Il faudrait avoir un peu plus de fermeté, et savoir résister à la première fougue des critiques, qui fait du bruit les premiers jours, et qui se tait à la longue.

 

          On ne peut que corriger très mal quand on corrige sur-le-champ, et sans consulter l’esprit de l’auteur : cela même enhardit les censeurs ; ils critiquent ces corrections faites à la hâte, et la pièce n’en va pas mieux.

 

          Je vais écrire aux frères Cramer, et j’enverrai, par la poste suivante les deux exemplaires qu’on demande concernant le Despotisme oriental (2). Ce livre très médiocre, n’est point fait pour notre heureux gouvernement occidental ; il prend très mal son temps, lorsque la nation bénit son roi et applaudit au ministère. Nous n’avons de monstres à étouffer que les jésuites et les convulsionnaires.

 

          M. Picardin demande absolument la préface (3) du Droit du Seigneur : cela est de la dernière conséquence : il y a quelque chose d’essentiel à y changer. Je supplie donc qu’on me l’envoie par la première poste, et M. Picardin la renverra incontinent.

 

          On n’a point reçu de lettre de frère Thieriot ; cela n’a pas trop bon air ; il devrait, ce me semble, montrer un peu plus de sensibilité.

 

          J’embrasse tendrement tous les frères. S’ils ne dessillent pas les yeux de tous les honnêtes gens, ils en répondront devant Dieu. Jamais le temps de cultiver la vigne du Seigneur n’a été plus propice. Nos infâmes ennemis se déchirent les uns les autres ; c’est à nous à tirer sur ces bêtes féroces pendant qu’elles se mordent, et que nous pouvons les mirer à notre aise.

 

          Soyez persévérants, mes chers frères, et priez Dieu pour moi, qui ne me porte pas trop bien.

 

          Elevons nos cœurs à l’Eternel. Amen.

 

 

1 – Le 28 Janvier 1762. (G.A.)

 

2 – Ouvrage posthume de Boulanger. (G.A.)

 

3 – On n’a pas cette préface. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis de Thibouville.

 

Aux Délices, 26 Janvier 1762.

 

 

          Je vous jure, mon cher marquis, que le Droit du Seigneur, qu’on intitule sottement l’Ecueil du Sage, est une pièce meilleure sur le papier qu’au théâtre de Paris ; car à ce théâtre on a retranché et mutilé les meilleures plaisanteries. Votre nation est légère et gaie, je l’avoue ; mais pour plaisante, elle ne l’est point du tout. Vous n’avez pas, depuis le Grondeur, un seul auteur qui ait su seulement faire parler un valet de comédie. Je conviens que l’intérêt et le pathétique ne gâtent rien ; mais sans comique point de salut. Une comédie où il n’y a rien de plaisant n’est qu’un sot monstre. J’aime cent fois mieux un opéra-comique que toutes vos fades pièces de La Chaussée. J’étranglerais mademoiselle Dufresne (1) pour avoir introduit ce misérable goût des tragédies bourgeoises, qui est le recours des auteurs sans génie. C’est à ce pitoyable goût qu’on doit le retranchement des plaisanteries du Droit du Seigneur. Je m’intéresse fort à cette pièce ; je sais qu’on me l’attribue, mais je vous jure qu’elle est d’un académicien de Dijon. Regardez-moi comme un malhonnête homme si je vous mens. Je vous prie, vous et vos amis, de le dire à tout le monde : nous jouerons incessamment cette pièce sur un théâtre charmant, que vous devriez bien venir embellir de vos talents admirables.

 

          On dit que mademoiselle Dubois n’a pas joué Atide en fille d’esprit, et que Brizard est à la glace : ce n’est pas ainsi que nous jouons la comédie chez nous. Comptez qu’à tout prendre, notre tripot vaut bien le vôtre. Mademoiselle Corneille joue Colette comme si elle était l’élève de mademoiselle Dangeville : c’est une laideron très jolie et très bonne enfant : j’ai fait en elle la meilleure acquisition du monde. M. son oncle me fatigue un peu : il est bien bavard, bien rhéteur, bien entortillé, et vous présente toujours sa pensée comme une tarte des quatre façons : cependant il faut le commenter. Vous êtes sans doute sur la liste ; ce sont les Cramer qui sont chargés des détails. Pour moi, je ne me mêle que d’être un très pesant commentateur, beaucoup moins pour le service de l’oncle que pour celui de la nièce. Entre nous vive Racine ! malgré sa faiblesse.

 

 

1 – Quinault-Dufresne. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le cardinal de Bernis.

 

Aux Délices, 26 Janvier 1762.

 

 

          Avez-vous, monseigneur, daigné recommencer Rodogune ? que j’eus l’honneur d’envoyer à votre éminence il y a un mois ? Vous avez pu lire les Commentaires en tenant la pièce, c’est un amusement ; dites-moi donc quand j’ai raison et quand j’ai tort, c’est encore un amusement.

 

          En voici un autre ; c’est mon œuvre des six jours, qui est devenu une œuvre de six semaines. Vous verrez que j’ai profité des avis que vous avez bien voulu me donner. Il n’y a que ce poignard qu’on jette toujours au nez ; mais je vous promets de vous le sacrifier. J’aime passionnément à consulter ; et à qui puis-je mieux m’adresser qu’à vous ? Aimez toujours les belles-lettres, je vous en conjure ; c’est un plaisir de tous les temps, et, per Deos immortales, il n’y a de bon que le plaisir ; le reste est fumée, vanistas vanitatum, et afflictio spiritus. Quand vous aurez lu ma drogue, votre éminence veut-elle avoir la bonté de l’envoyer à M. le duc de Villars, à Aix ? Il a vu naître l’enfant ; il est juste qu’il le voie sevré, en attendant qu’il devienne adulte.

 

          Je fus tout ébahi, ces jours passés, quand le roi m’envoya la pancarte du rétablissement d’une pension que j’avais autrefois, avec une belle ordonnance. Cela est fort plaisant, car il y aura des gens qui en seront fâchés. Ce ne sera pas vous, monseigneur, qui daignez m’aimer un peu, et à qui je suis bien tendrement attaché avec bien du respect.

 

 

          P.S. – Je me flatte que votre santé est bonne ; il n’en est pas de même que celle du roi de Prusse, ni même de la mienne ; je m’affaiblis beaucoup.

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 26 Janvier 1762.

 

 

          O mes anges ! je vous remercie d’abord, vous et M. le comte de Choiseul, de l’éclaircissement que je reçois sur les propositions de mariage faites, en 1725, entre deux têtes couronnées (1) ; Je vous prie de dire à M. le comte de Choiseul qu’un jour le maréchal Keith me disait : « Ah ! monsieur, on ment dans cette cour-là (2) encore plus que dans la cour de Rome. »

 

          Mais vous m’avouerez que si les Scythe savent mentir, ils savent encore mieux se battre, et qu’ils deviennent un peuple bien redoutable. Je suis leur serviteur, comme vous savez, et un peu le favori du favori ; mais j’avoue qu’ils mentent beaucoup, et je ne l’avoue qu’à mes anges.

 

          Il est fort difficile de trouver à présent les Sermons du rabbin Akib ; on tâchera d’en faire venir de Smyrne incessamment.

 

          A l’égard du capitaine de chevaux (3), si fiançailles ne sont pas épousailles, désir passager n’est pas fiançailles ; on attendra tranquillement que Dieu et le hasard mettent fin à cette belle aventure.

 

          Je vais tâcher, tout malingre que je suis, d’écrire un mot à M. le président de La Marche, et le remercier de son beau zèle pour mon nom. Vous devriez bien le détourner du malheureux penchant qu’il semble avoir encore pour cette secte abominable (4), contre laquelle le rabbin Akib (5) semble porter de si justes plaintes.

 

          Les jésuites et les jansénistes continuent à se déchirer à belles dents ; il faudrait tirer à balle sur eux tandis qu’ils se mordent, et les aider eux-mêmes, à purger la terre de ces monstres. Vous me trouverez peut-être un peu sévère dans ce moment, mais c’est que la fièvre me prend, et je vais me coucher pour adoucir mon humeur.

 

          Je vous demande en grâce, mes divins anges, de me renvoyer mes deux Cassandre ; et si la fièvre me quitte, vous aurez bientôt un Cassandre selon vos désirs. Mille tendres respects.

 

          Encore un mot tandis que j’ai le sang en mouvement. Je suis douloureusement affligé qu’on ait retranché l’homme qui paie noblement quand il perd une gageure et la réponse délicieuse à mon gré, Ai-je perdu ? Nous nous gardons bien, sur notre petit théâtre, de supprimer ce qui est si fort dans la nature ; car nous n’avons point le goût sophistiqué comme on l’a dans Paris, et nos lumières ne sont point obscurcies par la rage de critiquer mal à propos, comme c’est la mode chez vous, à une première représentation. Il faut avoir le courage de résister à ces premières critiques, qui s’évanouissent bientôt.

 

          Je crois que ce qui me donne la fièvre est qu’on ait retranché dans Zulime le J’en suis indigne du cinquième acte, qui fait chez nous le plus grand effet, et qui vaut mieux que Eh bien ! mon père ! dans Tancrède (6). Puisqu’on m’a ôté ce trait de la pièce, qui est le meilleur, je n’ai plus qu’à mourir, et je meurs (du moins je me couche). Adieu.

 

 

1 – Louis XV et Elisabeth. (G.A.)

 

2 – Celle de Saint-Pétersbourg. (G.A.)

 

3 – L’aspirant à la main de Marie Corneille. Voyez la lettre à d’Argental du 17 Décembre 1761. (G.A.)

 

4 – Les jésuites. (G.A.)

 

5 – Voyez le Sermon de ce rabbin. (G.A.)

 

6 – Acte. V, sc. V. (G.A.)

 

 

 

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