CORRESPONDANCE - Année 1760 - Partie 3

Publié le par loveVoltaire

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à M. Colini.

 

A Tournay, par Genève, 21 Janvier.

 

 

          Mon cher secrétaire intime de son altesse électorale, je connais votre bon cœur à la manière tendre et pathétique dont vous me parlez de M. Pierron, et surtout à votre attachement pour le meilleur prince qu’il y ait sur la terre. Vous voilà heureux, puisque vous êtes auprès de lui. J’espère, tout malingre que je suis, partager votre bonheur cet été. Vous me ferez grand plaisir de m’écrire quelquefois quand … Je vous embrasse de tout mon cœur. VOLTAIRE, comte de Tournay (1).

 

 

1 – Si Voltaire affichait alors ce titre, c’était pour braver les citoyens de Genève qui avaient cherché à le troubler dans sa retraite des Délices. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Pierron.

 

A Tournay, par Genève, 21 Janvier 1760.

 

 

          Le froid me tue, les neiges me désespèrent, mon cher monsieur ; mais je ne puis m’empêcher de dicter ce petit billet de malade pour vous remercier tendrement de tout ce que vous avez fait pour mon cher Colini. Comptez que vous l’avez fait pour vous-même. Vous vous êtes acquis un ami reconnaissant ; il vous est attaché pour la vie : il ne me parle dans ses lettres que des obligations qu’il vous a.

 

          Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de son altesse électorale, et réservez à Schwetzingen une chambre à cheminée pour un pauvre malingre qui fait du feu à la Saint-Jean. J’ose croire que mon cœur est fait pour le sien ; mais mon corps est bien loin. Je respecterai et j’adorerai ce prince jusqu’au dernier moment de ma vie. VOLTAIRE, comte de Tournay.

 

 

 

 

 

à M. Bertrand.

 

22 Janvier 1760.

 

 

          Mon cher ami, j’aurais été bien étonné si leurs excellences, qui pensent si noblement, et qui ont tant de sagesse, s’étaient laissé surprendre aux insinuations d’un scélérat tel que Grasset. Je suis toujours enchanté des bontés inaltérables de M. de Freudenreich. Si tous les hommes d’Etat lui ressemblaient, les choses en iraient mieux, et maître Pangloss trouverait avec moins de peine le meilleur des mondes possibles. Je ne sais ce que c’est que les pauvretés de Fréron, et toutes ces misérables brochures dont on est chargé, rassasié, dégoûté à l’excès, et qui tombent, au bout de deux jours, dans l’éternel oubli qu’elles méritent. Nos affaires de France sont un objet plus intéressant ; on n’a point encore de topique pour les blessures faites à nos finances. Je me ralentis sur mes bâtiments ; je vais selon le temps, et ce n’est pas assurément le temps de décorer des châteaux. J’ai peur que cette année la paix ne soit un château en Espagne.

 

          A propos, je me suis mis à lire Litteras ob scurorum virorum (1), que je n’avais daigné jamais regarder, par préjugé contre le siècle de barbarie où elles furent faites. Je suis émerveillé, cela vaut mieux que Rabelais. C’est dommage que notre sainte Eglise romaine y soit tournée en ridicule. Mais quelle naïveté ! quelle bonne plaisanterie ! je pouffe de rire. Je vois qu’à la fin du quinzième siècle on savait déjà du grec en Allemagne, et rien en France. Nous sommes venus les derniers en tout, et nous sommes actuellement ultimi hominum. Interim vale.

 

 

1 – Epistolœ obscurorum virorum, par Ulrich de Hutten, 1516. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Tronchin, de Lyon.

 

23 Janvier (1).

 

 

          Vous êtes bien bon de songer à votre fermier des Délices au milieu de toutes vos affaires, et même des affaires générales, sur lesquelles je ne doute pas que vous n’ayez donné de bons conseils, quoique vous ne vous en vantiez pas. La France a besoin d’une belle campagne pour sa gloire ; mais elle a encore plus besoin de la paix pour son argent.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Aux Délices, 23 Janvier.

 

 

          J’ai laissé passer les fêtes de la nativité del divino Bambino, et sa circoncision. Je n’ai point voulu interrompre mon héros dans la foule des occupations graves ou gaies qu’il a pu avoir à Paris et à Versailles ; mais je ne suis pas homme à laisser passer le mois de janvier sans renouveler mes hommages à celui qui sera toujours mon héros. Je ne sais pas si, en 1760, son pays aura beaucoup de lauriers et beaucoup d’argent ; mais je sais bien que la statue de Gêne subsiste, que la signature du fils (1) du roi d’Angleterre, forcé à mettre bas les armes, subsiste encore, et que les bastions du roc de Port-Mahon rendent un témoignage immortel. J’avoue que je ne conçois guère comment on laisse inutile le seul homme qui ait rendu de vrais services. Je devrais pourtant le concevoir très bien ; car je ne vois que de ces exemples, moi historiographe, dans les histoires que je lis et que je compile. Je dis à présent un petit mot de ce siècle, de ce pauvre siècle, de ce siècle des billets de confession, des querelles pour un hôpital, des refus d’un parlement de rendre justice, des assemblées des chambres pour condamner un dictionnaire (2) qu’on n’a pas lu ; de ce beau siècle où, en trois ans de temps, l’Etat était ruiné, quand nos armées devaient vivre aux dépens de l’Allemagne, etc.

 

          J’aurai du moins le plaisir d’avoir eu raison, quand je vous ai regardé comme un homme aussi supérieur qu’aimable. Je crois, à l’âge de soixante et six ans, voir les choses comme elles sont. Je les dirai comme je les vois. La posterità ne dirà cio che vorrà.

 

          Je m’imagine que vous devez être l’ami de M. le duc de Choiseul. Je n’en sais rien, mais je le crois, parce qu’il me paraît avoir quelque chose de votre caractère. Il pense noblement, il rend service sans balancer, il aime le plaisir, il a beaucoup d’esprit, et la hauteur qui s’accorde avec les grâces. Il me semble que c’est l’homme de votre pays le plus fait pour vous.

 

          Il s’est passé bien des choses tristes, extravagantes, comiques, depuis que je n’ai eu l’honneur de vous faire ma cour ; mais c’est à peu près l’histoire de tous les temps : c’est la même pièce qui se joue sur tous les théâtres, avec quelques changements de noms. Quoi qu’il en soit, votre rôle est beau. Conservez-moi vos bontés, monseigneur, et soyez persuadé que si j’avais en main la trompette de la Renommée, ce serait pour vous que je l’emboucherais. Je vous souhaite la continuation de votre gaieté. Jouissez de votre gloire, et riez des sottises d’autrui. Mille respects.

 

 

1 – Richelieu avait forcé, en 1757, le duc de Cumberland à capituler à Closter-Sewern. (G.A.)

 

2 – l’Encyclopédie. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

Aux Délices, 26 Janvier (1).

 

 

          Madame, si mon petit commerce avec la personne (2) que vous savez trouve quelques épines, il me vaut bien des fleurs de la part de votre altesse sérénissime. Je la crois un peu coquette. Ce n’est pas vous, madame, assurément que je veux dire, c’est la belle dont votre altesse sérénissime favorise les beautés et les prétentions. Elle a fait part de ses amours à un confident (3) qui n’a pas le cœur tendre, et je crois que son amant pourrait être un peu refroidi. Voilà, madame, la première fois que j’ai parlé galanterie au milieu des neiges des Alpes. Je me sens plus à mon aise, et plus dans mon naturel, en parlant à votre altesse sérénissime des talents de votre auguste famille, des grâces d’Alzire, de celles de Gusman, d’un jupon à Falbalas, de plumes et d’un habit à l’espagnole. Je devrais bien être le souffleur, ce rôle me conviendrait mieux que celui que je fais, je ne sais comment. J’ai de la peine avec la coquette ; je sais bien qu’elle est faite pour séduire, et qu’avec tant de beauté on n’attend pas d’elle beaucoup de bonne foi. Je souhaite qu’on respecte ses caprices, et qu’elle ne s’en repente pas : pour moi, j’aurai toujours beaucoup de respect pour les belles ; et, tout vieux que je suis, j’aime encore mieux en parler que des horreurs de la guerre et des tigres de l’espèce mâle qui se déchirent dans les glaces.

 

          On a imprimé, madame, les Poésies du philosophe de Sans-Souci. Je n’ai pu encore parvenir à en avoir un exemplaire. Il serait plaisant qu’il eût fait imprimer ses vers pour en faire présent à M. de Daun (4). Je crois que ces poésies seront mises à Rome à l’index.

 

          Daignez agréer, madame, toujours le profond respect du Suisse V.

 

 

1 – Editeurs E. Bayoux et A. François.

 

2 – Frédéric II. (G.A.)

 

3 – Sans doute l’Angleterre. (G.A.)

 

4 – Souvent vainqueur de Frédéric. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte Algarotti.

 

Aux Délices, 27 Janvier (1).

 

          Eurika, Eurika ! l’ho ricevuto al fine questo prezioso ornamento della mia libreria. Ne ringrazio vivamente il caro autore, e perdono al Pasquali, non lo chiamero più briccone. Leggo la vostra raccolta con summo piacere ; spasseggio tr auna bella selva rapiena d’alti alberi, di grati arboscelli, e di frutti e di fiori. Ma veramente credo che l’Italia abbia ripigliato la sua antica precedenza sopra di noi poverini, che andiamo adesso guazzando nel fango, senza genio, senza gusto, et senza denari. Mais en récompense, on nous frotte sur terre et sur mer, et on nous refuse les sacrements in articulo mortis (2), et oc prœcipuè est horrendum. Interim e,noy your  libertty, your pleasures. On vend à présent les Poésies du philosophe de Sans-Souci ; elles sont à l’index. – Vive memor nostri.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Voyez le chapitre XXXVI du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis Albergati Capacelli.

 

Aux Délices, 27 Janvier (1).

 

 

          Direte che io sono un uomo poco vivente, e neghittoso e pigro, un che manca alla sua promessa ; un traditore, che a ricevuto una bella tragedia italiana, se ne gode, e non manda la sua ; un temerario, che voleva inviarvi il lord Bolingbroke’s and lord Shaftsbury’s works and such damn’d stuff. Ma, signore, la verità è che non sono contento della mia tragedia. Voglio incudi reddere versus, e ripulire il moi dramma svizzero, degno si del moi svizzero teatro, ma indegno del vostro.

 

          Noi poveri Francesi siamo sottoposti al giogo della rima, come voi a quello della … (2). Vivano  i versi sciolti et gl’ ingegni scolti ! E più dotta, più ripiena di buon gusto che mai,, sotto i vostri auspici. Veramente s’io fossi un Odoacro, un Teodorico, un Albuino, vorrei vedere cotesta bella Italia ; ma il viaggio ad terram santam non conviene ad un Francese libero, il quale ha scritto aulcune volte colla libertà inglese.

 

          Soyez persuadé, monsieur, de toute la respectueuse estime qu’aura pour vous, toute sa vie, votre très humble et obéissant serviteur V., ermite des Délices.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Ces points existent ainsi sur l’original. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame d’Epinay.

 

Aux Délices, 30 Janvier 1760.

 

 

          Ce n’est point à ma chère et respectable philosophe que j’écris aujourd’hui, c’est à la femme d’un fermier général. Nous la supplions, madame Denis et moi, de vouloir bien recommander le mémoire (1) ci-joint. Nous nous flattons d’obtenir au moins quelque satisfaction. Nous souhaiterions que MM. les fermiers-généraux eussent la bonté de nous faire communiquer le tarif des droits qu’on doit payer pour ce qu’on fait venir de Genève au pays de Gex, avec injonction aux commis de ne point molester nos équipages, et de laisser passer librement nos effets de Tournay, territoire de France, à Ferney, territoire aussi de France. Quant au nommé de Croze, préposé par intérim au bureau de Saconex frontière, il ne paraît aucunement propre à cet emploi. La plupart des gardes sont des déserteurs, ou gens de très mauvaise conduite, qui font continuellement la contrebande. Ils ont dévasté nos forêts, et c’est là la véritable source de leurs vexations. Il paraît convenable que MM. les fermiers-généraux changent cette brigade. Presque tous mes gens de campagne sont des Suisses qu’il serait impossible de retenir. Ils prendront infailliblement querelle avec la brigade de Saconex, et je crains de très grands malheurs.

 

 

1 – On n’a pas ce mémoire. (G.A.)

 

 

 

 

1760 - Partie 3

 

 

 

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