CORRESPONDANCE - Année 1756 - Partie 18

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à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Aux Délices, 6 Octobre 1756.

 

 

          Je ne vous écris pas si souvent, monseigneur, que quand vous preniez Minorque. J’imagine toujours qu’on a plus d’affaires à la cour qu’à l’armée. Les riens prennent quelquefois plus de temps que des assauts ; et d’ailleurs il ne faut pas vexer d’ennui les héros qu’on aime (1).

 

          Un Anglais me mande qu’on veut dresser dans Londres une statue à Blakeney. J’ai répondu qu’apparemment on mettrait cette statue dans votre temple.

 

          Vous avez vu sans doute le dernier manifeste du Salomon du Nord. Ce Salomon est prolixe ; mais on peut se donner carrière à la tête de cent mille hommes.

 

          La reine de Saba ne répond point, mais elle agit. Je voudrais que vous commandassiez une armée dans ces circonstances, et que Salomon apprît par vous à connaître une nation qu’il ne connaît point du tout.

 

          Voici les nouvelles que je reçus hier ; si elles sont vraies, mon Salomon sera un peu embarrassé. Il m’a proposé, il y a quatre mois, de le venir voir ; il m’a offert biens et dignités ; je sais qu’elles sont transitoires, je les ai refusées. Le roi ne s’en soucie guère ; mais je voudrais qu’il pût en être informé. Le Suisse Voltaire et la Suissesse Denis sont toujours pénétrés pour vous d’amour et de respect.

 

 

1 – Vers de la lettre du 24 Juillet à Desmahis. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la comtesse de Lutzelbourg.

 

Aux Délices, 6 Octobre 1756.

 

 

          Si je ne me mourais pas d’un vilain rhumatisme, madame, je crois que je mourrais de joie des nouvelles que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Mais sont-elles bien vraies ? Si vous en avez la confirmation, achevez mes plaisirs.

 

          Vous avez bien raison de détester le style d’un polisson (1) qui veut faire le plaisant, et parler en homme de cour des princes et des femmes dont il n’a jamais vu l’antichambre. Il y a encore une raison de mépriser son livre ; c’est que, d’un bout à l’autre, il contient un tissu de mensonges, ou de contes traînés dans les rues. Il est très bien à la Bastille, pour quelques impostures punissables ; notre chère Marie-Thérèse y est pour quelque chose (2). Si Marie-Thérèse est victorieuse comme je l’espère, et si je suis en vie, ce que je n’espère guère, vous pourriez bien encore revoir à l’île Jard votre ancien courtisan, qui vus sera attaché jusqu’au dernier soupir de sa vie. Mille respects à votre digne amie.

 

 

1 – La Beaumelle. (G.A.)

 

2 – La Beaumelle dit dans les Mémoires de madame de Maintenon que la cour de Vienne était soupçonnée de réparer par ses empoisonneurs les fautes de ses ministres. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M.le maréchal duc de Richelieu.

 

Aux Délices, 10 Octobre 1756.

 

 

          Souvenez-vous, mon héros, que dans votre ambassade à Vienne, vous fûtes le premier qui assurâtes que l’union des maisons de France et d’Autriche était nécessaire, et que c’était un moyen infaillible de renfermer les Anglais dans leur île, les Hollandais dans leurs canaux, le duc de Savoie dans ses montagnes, et de tenir enfin la balance de l’Europe.

 

          L’évènement doit enfin vous justifier. C’est une belle époque pour un historien que cette union, si elle est durable.

 

          Voici ce que m’écrit une grande princesse (1), plus intéressée qu’une autre aux affaires présentes, par son nom et par ses Etats :

 

          « La manière dont le roi de Prusse en use avec ses voisins excite l’indignation générale. Il n’y aura plus de sûreté depuis le Weser jusqu’à la mer Baltique. Le corps germanique a intérêt que cette puissance soit très réprimée. Un empereur serait moins à craindre, car nous espérons que la France maintiendra toujours les droits des princes. »

 

          On me mande de Vienne qu’on y est très embarrassé ; apparemment qu’on ne compte pas trop sur la promptitude et l’affection des Russes.

 

          Il ne m’appartient pas de fourrer mon nez dans toutes ces grandes affaires ; mais je pourrais bien vous certifier que l’homme (2) dont on se plaint n’a jamais été attaché à la France, et vous pourriez assurer madame de Pompadour qu’en son particulier elle n’a pas sujet de se louer de lui. Je sais que l’impératrice a parlé, il y a un mois, avec beaucoup d’éloge de madame de Pompadour (3) ; elle ne serait peut-être pas fâchée d’en être instruite par vous, et, comme vous aimez à dire des choses agréables, vous ne manquerez peut-être pas cette occasion.

 

          Si j’osais un moment parler de moi, je vous dirais que je n’ai jamais conçu comment on avait de l’humeur contre moi de mes coquetteries avec le roi de Prusse. Si on savait qu’il m’a baisé un jour la main, toute maigre qu’elle est, pour me faire rester chez lui, on me pardonnerait de m’être laissé faire ; et si on savait que, cette année, on m’a offert carte blanche, on avouerait que je suis un philosophe guéri de ma passion.

 

          J’ai, je vous l’avoue, la petite vanité de désirer que deux personnes (4) le sachent, et ce n’est pas une vanité, mais une délicatesse de mon cœur, de désirer que ces deux personnes le sachent par vous. Qui connaît mieux que vous le temps et la manière de placer les choses ? Mais j’abuse de vos bontés et de votre patience Agréez le tendre respect du Suisse.

 

          Je vous demande pardon du mauvais bulletin de Cologne que je vous envoyai dernièrement ; on forge des nouvelles dans ce pays-là.

 

 

1 – La duchesse de Saxe-Gotha. (G.A.)

 

2 – Frédéric. (G.A.)

 

3 – Marie-Thérèse écrivit même, comme on sait, à la Pompadour. (G.A.)

 

4 – Louis XV et la Pompadour. (G.A.)

 

 

 

 

POUR M. ET MADAME DE MONTPÉROUX,

 

ET POUR EUX SEULS(1).

 

 

 

Sous même toit vivre avec ce qu’on aime

Est un plaisir digne des gens de bien ;

Votre amitié des deux parts est extrême,

Juste, éprouvée ; allez, ne craignez rien

Du temps qui fuit, ni de l’hymen lui-même.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Tronchin, de Lyon.

 

Délices, 14 Octobre (1).

 

 

          Quand le dernier des Autrichiens aurait tué le dernier des Prussiens, cela n’empêcherait pas qu’il ne fallût songer à ses petites affaires. Je n’ai besoin dans le moment présent que des secours de notre Esculape ; paralytique d’une jambe, mordu de l’autre par mon singe, ne digérant point et ayant souvent la fièvre, je suis un corps très ridicule : je vous écris comme je peux.

 

          J’ai lu, monsieur, la discussion. Tout ce que je comprends, c’est que nos plénipotentiaires au traité d’Utrech ne connaissent pas trop l’Acadie, et cela n’arrive que trop souvent. Il faudrait que l’auteur de la discussion eût eu la bonté de faire graver une carte ; Mais les cartes seront toujours embrouillées, et les Français ont la mine de perdre à ce jeu, puisqu’ils jouent avec leur pauvre Canada contre quatre cents lieues d’un très beau pays ; mais ils ne perdront pas grand’chose.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

Aux Délices, 14 Octobre 1756.

 

 

          Si madame de La Popelinière n’est pas guérie cet hiver, il faut que son mari lui donne un beau viatique pour aller trouver Esculape-Tronchin au printemps. Dieu lit dans les cœurs et Tronchin dans les corps. Il a ressuscité deux fois ma nièce de Fontaine ; il a guéri une gangrène de vieillard. Madame de Muy (1), qui est arrivée mourante à Genève, il y a trois mois, a des joues, et vient chez moi coiffée en pyramide. Il me fait vivre. Venite adame, omnes qui laboratis. Ce sont là de vrais miracles, mais ils sont aussi rares que les faux ont été communs. Je me flatte que madame de La Popelinière sera du petit nombre des élus. Pendant que Tronchin conserve la vie à trois à quatre personnes, on en tue vingt mille en Bohême. Je ne sais pas encore le détail de la grande bataille (2). Les relations sont différentes. Il paraît vraisemblable que notre Salomon est vainqueur. Heureux qui vit tranquille sur le bord de son lac, loin du trône et loin de l’envie !

 

          Mettez-moi à part, je vous prie, un Derham (3) et les Mémoires (4) de Philippe V. Je vous demanderai d’autres livres à mesure que les besoins viendront, et vous enverrez la cargaison par la diligence, afin de n’en pas faire à deux fois. Je suis très sensible au soin que vous avez la bonté de prendre.

 

          Vous me parlez de vers qu’on m’attribuait ; n’est-ce pas une petite pièce qui finit ainsi :

 

 

Votre bonheur serait égal au mien (5).

 

 

          Ils ont plus de cent ans, et ils ont été faits pour le cardinal de Richelieu.

 

          Je ne suis pas fâché d’être loin du centre des faux bruits et des tracasseries. J’ose encore espérer qu’il y a des hommes plus puissants que moi qui seront moins heureux que moi.

 

          En vous remerciant, mon ancien ami, de m’avoir procuré le plaisir de pouvoir être auprès de notre docteur le commissionnaire d’une personne (6) dont je voudrais rendre la vie longue et heureuse.

 

          Si vous avez des nouvelles,

 

 

Candidus imperti . . . . . . . . . . . .  HOR., lib I, ep. VI.

 

Vale, amice.

 

 

1 – Femme du lieutenant-général de Muy. (G.A.)

 

2 – Celle de Lowositz, gagnée sur les Autrichiens par Frédéric le 1er Octobre (G.A.)

 

3 – Auteur de la Théologie astronomique, de la Théologie physique,etc.

 

4 – Rédigés par le marquis de Saint-Philippe et traduits par de Maudave, 1756. (G.A.)

 

5 – Vers de Maynard. (G.A.)

 

6 – Madame de La Popelinière. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

Aux Délices, 22 Octobre 1756 (1).

 

 

          Madame, il ne reste à moi, pauvre perclus, que la liberté de la main droite pour remercier votre altesse sérénissime. Je connais tous les manifestes du roi de Prusse. Le meilleur, à ce qu’on dit, est une bataille gagnée au commencement du mois, vers les frontières de la Bohême. Voilà déjà environ vingt mille hommes morts pour cette querelle, dans laquelle aucun d’eux n’avait la moindre part. C’est encore un des agréments du meilleur des mondes possibles. Quelles misères, et quelles horreurs ! la meilleure de toutes les demeures possibles est certainement celle de Gotha, et je sais bien quelle est la meilleure des princesses possibles.

 

          Conservez, madame, la paix de vos Etats, comme vous conservez celle de l’âme. Je suis toujours dans cet ermitage si précieux pour moi, puisqu’il a été habité par un prince dont le souvenir m’est si cher. Je crois ses frères déjà en état de faire goûter à leur mère le plaisir de voir leurs progrès. Je serai attaché pour jamais à cette auguste famille. Je m’intéresse bien plus à Gotha qu’à Pirna (2). Je supplie la grande maîtresse des cœurs de répondre de mes sentiments et de mon profond respect pour votre altesse sérénissime.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Où les Saxons capitulèrent le 17 Octobre. (G.A.)

 

 1756 - Partie 18

 

 

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