CORRESPONDANCE - Année 1755 - Partie 20

Publié le par loveVoltaire

1755---Partie-20.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

à M. Bertrand.

 

Aux Délices, 12 Décembre 1755.

 

 

          Je vous envoie, mon cher monsieur, le premier exemplaire (1) qui sort de la presse. Je vous prie de vouloir bien en faire parvenir un à M. le banderet Freudenreich, aussi bien qu’à M. l’avoyer Steiger et à M. l’avoyer Tiller. Je vous demande bien pardon de la peine que je vous donne, mais j’ai cru que ces petits hommages ne pouvaient passer par de meilleures mains. Il y a aussi, si vous le permettez, un exemplaire pour M. Tshifeli, secrétaire de votre consistoire. Il m’a écrit une lettre qui fait voir beaucoup de savoir, un bon esprit, et un bon cœur. Je le crois votre ami à tous ces titres. J’ai cru devoir imprimer ma lettre à Jean-Jacques dans les circonstances présentes. Vous savez peut-être, monsieur, que le conseil de Genève a engagé celui de Lausanne à faire rendre, par Bousquet, l’original du Mémoire calomnieux de Grasset. Il me paraît nécessaire qu’on en soit informé à Berne. Maubert, son complice, est parti, dit-on, pour aller faire imprimer la rapsodie infâme dont il espère de l’argent. Quel capucin !

 

          Je me recommande à vos bontés. V.

 

          Je crois enfin que, malgré tous mes maux, je partirai dans quelques jours pour Monrion. Puissé-je avoir assez de santé pour venir vous embrasser !

 

 

1 – De l’Orphelin de la Chine ; édition des Cramer. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Aux Délices, 12 Décembre 1755.

 

 

          Je vous envoie, monseigneur, à la hâte, et comme je peux, votre filleul l’Orphelin, dont vous voulez bien être le parrain ; ce sont les premiers exemplaires qui sortent de la presse. Je crois que vous joindrez à toutes vos bontés celle de me pardonner la dissertation que je m’avise toujours de coudre à mes dédicaces. J’aime un peu l’antique ; cette façon en a du moins quelque air. Les épîtres dédicatoires des anciens n’étaient pas faites comme une lettre qu’on met à la poste, et qui se termine par une vaine formule ; c’étaient des discours instructifs. Un simple compliment n’est guère lu, s’il n’est soutenu par des choses utiles.

 

          Il y a, à la fin de la pièce, une Lettre à Jean-Jacques Rousseau, que j’ai cru nécessaire de publier dans la position où je me trouve.

 

          Je suis honteux de vous entretenir de ces bagatelles, lorsque je ne devrais vous parler que du chagrin sensible que m’a causé la perte de votre procès. Je ne sais pas si une pareille décision se trouve dans l’Esprit des lois. J’ignore la matière des substitutions ; j’avais seulement toujours entendu dire que les droits des mineurs étaient inviolables ; et, à moins qu’il n’y ait une loi formelle qui déroge à ces droits, il me paraît qu’il y a eu beaucoup d’arbitraire dans ce jugement. Je ne puis croire surtout qu’on vous ait condamné aux dépens, et je regarde cette clause comme une fausse nouvelle. Je n’ose vous demander ce qui en est. Vous devez être surchargé d’affaires extrêmement désagréables. Il est bien triste de succomber, après tant d’années de peines et de frais, dans une cause qui, au sentiment de Cochin (1), était indubitable, et ne faisait pas même de question.

 

          Vous êtes bien bon de me parler de tragédies et de dédicaces, quand vous êtes dans une crise si importante ; c’est une nouvelle épreuve où l’on a mis votre courage. Vous soutenez cette perte comme une colonne anglaise (2) ; mais les canons ne peuvent rien ici, et ce n’est que dans votre belle âme que vous trouvez des ressources. C’est à cette âme noble et tendre que je serai attaché toute ma vie avec les sentiments les plus inviolables et les plus respectueux. Vous savez que ma nièce pense comme moi.

 

          Permettez que je revienne à la pièce qui est sous votre protection. Je vous demande en grâce qu’on la joue à Fontainebleau, telle que je l’ai faite, telle que madame de Pompadour l’a lue et approuvée, telle que j’ai l’honneur de vous l’envoyer, et non telle qu’elle a été défigurée à Paris. En vérité, je ne puis concevoir comment elle a pu avoir quelque succès avec tant d’incongruités. Il faut que mademoiselle Clairon soit une grande enchanteresse.

 

 

1 – Célèbre avocat, mort en 1747. (G.A.)

 

2 – Allusion au rôle que Voltaire attribue à Richelieu dans la journée de Fontenoy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

Aux Délices, 12 Septembre 1755 (1).

 

 

          Madame, ce n’est pas Jeanne que je mets cette fois-ci à vos pieds, c’est cet Orphelin de la Chine. Votre approbation m’a donné la hardiesse de le faire jouer à Paris ; et puisque ces magots chinois ont trouvé grâce devant vos yeux, il fallait bien qu’ils réussissent en France. Les Français qui ont du goût, madame, sont faits pour penser comme votre altesse sérénissime. J’ignore si elle a reçu la lettre que j’eus l’honneur de lui écrire, il y a plus d’un mois, en faveur de Jeanne. Je lui demandais ses ordres ; je lui disais, dans ma lettre, que j’avais donné à cette grosse et singulière héroïne un habit décent, pour qu’elle pût faire la révérence à la petite-fille des héros, à celle qui est l’honneur de son sexe.

 

          Je suis toujours, madame, dans cette maison que monseigneur le prince votre fils a honorée de son séjour. Plus je l’embellis, plous je regrette de n’être pas à vos pieds. Il n’y a rien à mes yeux de beau que votre cour ; je n’aurais jamais dû la quitter. Daignez, madame, me conserver des bontés si chères et si consolantes. Puissiez-vous jouir aussi longtemps que je le désire, vous et toute votre famille et la grande maîtresse des cœurs, d’un bonheur que vous méritez si bien !

 

          Je renouvelle à votre altesse sérénissime mon inviolable attachement et mon très profond respect

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 12 Septembre 1755.

 

 

          Je vous ai déjà mandé, mon cher ange, que j’ai envoyé la pièce à Lambert, que la seule chose importante pour moi, dans le triste état où je suis, c’est qu’elle paraisse avec les petits boucliers qui repoussent les coups qu’on me porte.

 

          J’ai pris, sur les occupations cruelles, sur les maux qui m’accablent, sur le sommeil que je ne connais guère, un peu de temps à la hâte, pour corriger, pour arrondir ce que j’ai pu.

 

          Si la pièce était malheureusement imprimée de la manière dont les comédiens la jouent, elle me ferait d’autant plus de peine que les copies en seraient très incorrectes, et c’est ce que j’ai craint ; c’est ce qui est arrivé à Rome sauvée, transcrite aux représentations. Il n’y a nulle liaison dans les choses qu’on a été obligé de substituer pour faire taire des critiques très injustes. Ces critiques disparaissent bientôt, et il ne faut pas qu’il reste de vestige de la précipitation avec laquelle on a été forcé d’adoucir les ennemis d’un ouvrage passable, avec des vers nécessairement faibles, par lesquels on a cru les désarmer.

 

          S’il reste quelques longueurs, si l’impatience française ne veut pas que le dialogue ait sa juste étendue, on peut, aux représentations, sacrifier des vers ; mais les yeux jugent autrement. Le lecteur exige que tout ait sa proportion, que rien ne soit tronqué, que le dialogue ait toute sa justesse. Je ne parle point de certains vers énergiques, tels que :

 

 

Les lois vivent encore, et l’emportent sur vous. (1).

 

Act. IV, sc. IV.

 

 

vers que madame de Pompadour a approuvés, vers qui donnent quelque prix à mon ouvrage. Me les ôter sans aucune raison, c’est jeter une bouteille d’encre sur le tableau d’un peintre. Ne joignez pas, je vous en conjure, aux désagréments qui m’environnent, celui de laisser paraître mon ouvrage défiguré. Je serai peut-être dans la nécessité d’employer plus de soins à faire jouer ma pièce à Fontainebleau, comme elle doit l’être, qu’on n’en a mis à satisfaire les murmures inévitables à une première représentation dans Paris. Un peu de fermeté, quelques vers retranchés, suffiront pour faire passer la pièce au tribunal de ce parterre si indocile ; mais, au nom de Dieu, que mon ouvrage soit imprimé comme je l’ai fait. Mon cher ange, j’exige cette justice de votre amitié.

 

          Quant à M. de Malesherbes, il a tort, et il faut avoir le courage de lui faire sentir qu’il a tort ; il n’y a que votre esprit aimable et conciliant qui puisse réussir dans cette affaire. N’y êtes-vous pas intéressé ? Quoi ! Un Ximenès vole des manuscrits, et ce lâche insulte ! et il vous traite d’espèce ! et M. de Malesherbes a protégé ce vol ! contre qui ? contre celui que ce vol pouvait perdre. Parlez, parlez avec le courage de votre probité, de votre honneur, de votre amitié. Les hommes sont bien méchants ! Vous avez le droit de vous élever contre eux ; c’est à la vertu d’être intrépide. Je vous embrasse mille fois. Comment va le pied de madame d’Argental ? Je vous envoie, par M. de Malesherbes même, l’édition de Genève. Prault n’aura rien, Lambert aura la France, les comédiens auront mon travail. Il ne me reste que les tracasseries, mon cher ange ; vos bontés l’emportent sur tout.

 

 

1 – On craignait les allusions. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

Aux Délices, 12 Septembre (1).

 

 

          J’ai l’honneur, monsieur, de vous envoyer le premier exemplaire d’une pièce représentée loin de moi et imprimée sous mes yeux. Je vous dois cet hommage. J’ai fait don de la pièce au sieur Lambert pour la France, et aux Cramer pour les pays étrangers. Je n’ai d’autres intérêts avec les libraires et les comédiens que celui de leur être utile. Le seul prix de tous mes travaux est votre suffrage, et celui de tous les hommes qui pensent comme vous.

 

          Vous sentez, monsieur, combien la conversation que M. l’abbé Mignot a eue avec vous a pénétré de douleur madame Denis, et moi, et toute ma famille. Je n’ai appris que fort tard cette cruelle affaire (2), que madame Denis me tenait cachée dans ma dernière maladie. Jugez quelle dut être ma crainte, quand elle me dit qu’on imprimait à Paris une partie de l’histoire du roi que le ministère m’avait recommandé de tenir longtemps secrète. Et quelle histoire encore ? des mémoires informes, des minutes de rebut, volées indignement et vendues à un libraire. Mon désespoir fut au comble, quand j’appris que vous-même vous pensiez que j’étais d’accord de cette manœuvre qui pouvait me perdre.

 

          Madame de Pompadour et M. d’Argenson étaient les seuls qui avaient mon véritable manuscrit ; je les offensais, ainsi que le roi lui-même, si je le donnais au public dans les circonstances où est l’Europe.

 

          Cependant ce manuscrit est près de paraître ; le libraire ne daigne pas seulement m’en avertir. On lui parle, il refuse de me consulter ; on mande enfin à madame Denis, de plusieurs endroits différents, que l’auteur du larcin est connu, qu’il a vendu les brouillons de cet ouvrage, volé chez elle, vingt-cinq louis d’or ; que vous le savez ; que le libraire Prieur vous l’a avoué, comme à plusieurs autres personnes : le fait devient public. Que devait, que pouvait faire madame Denis que de vous écrire, monsieur, et d’écrire à madame de Pompadour ? Elle vous soumet toute sa conduite ; elle ne fait pas une démarche sans vous en instruire ; elle compte sur votre amitié et sur votre justice ; elle fait tout pour m’épargner les suites funestes de ce larcin, qui seraient aussi cruelles que celles de cette prétendue Histoire universelle, volée de même, falsifiée de même, connue par toute l’Europe littéraire pour m’avoir été dérobée, et qui cependant m’a perdu auprès du roi.

 

          Je suis très persuadé, monsieur, que vous, qui êtes à la tête des lettres, vous ne voudrez point qu’un homme qui les a préférées à tout, et qui ne les cultiva que pour elles-mêmes, soit continuellement la victime de la calomnie et de la rapine : c’est une affreuse récompense. Je dois croire qu’une âme comme la vôtre entre dans ma juste douleur, bien loin de la redoubler.

 

          M. d’Argenson m’avait flatté qu’il pouvait recevoir sous votre enveloppe ; vous me pardonnerez cette liberté.

 

          J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Le vol de Ximenès. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argenson.

 

Aux Délices, ou prétendues Délices,

comme on dit prétendus réformés, 12 Septembre.

 

 

 

          Les ministres n’ont guère le temps d’examiner les Magots de la Chine ; mais si le plus aimable de tous les ministres a le temps de voir, à Fontainebleau, la morale de Confucius, en cinq actes, si l’auteur chinois peut amuser une heure et demie celui qui, depuis quarante ans en çà, l’honore de ses bontés, il sera plus fier qu’un conquérant tartare.

 

          Est-il permis de glisser dans ce paquet cinquante Magots pour le président Hénault ?

 

 

 

1755 - Partie 20

 

 

 

Commenter cet article