CORRESPONDANCE - ANNEE 1754 - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

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à M. Jacob Vernet.

 

Colmar, le 1er Février 1754.

 

 

          Monsieur, vous m’avez honoré autrefois (1) de vos bontés et de votre correspondance ; je viens vous rappeler ce souvenir, au sujet d’une nouvelle, qu’on me mande de plusieurs endroits, qu’un nommé Claude Philibert imprime sous vos yeux une édition de ce malheureux Abrégé d’une Histoire prétendue universelle, que Jean Neaulme s’est avisé d’imprimer en mon nom à La Haye, d’après un manuscrit très informe qu’il a trouvé le secret de rendre encore plus défectueux. Permettez que je joigne ici une des déclarations publiques que j’ai été obligé de faire.

 

          Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de me mander la vérité sur cette prétendue édition de Genève. Ce serait une grande consolation pour moi si cette occasion servait à renouveler la bienveillance que vous m’avez témoignée, il y a plusieurs années, et que je mériterai toujours par la véritable estime avec laquelle j’ai l’honneur, etc.

 

 

1 – Voyez années 1733 et 1744. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Thibouville.

 

Colmar, le 6 Février 1754.

 

 

          Ma félicité, mon cher marquis, est montée à un tel excès, que la seule philosophie peut me donner la modération nécessaire dans la bonne fortune ; et la seule amitié peut obtenir enfin de moi que je vous réponde dans l’ivresse de mon bonheur. Cette belle et décente édition d’une prétendue Histoire universelle, mise si agréablement sous mon nom par un honnête libraire, a été reçue du clergé avec une extrême bonté et des marques d’attention qui me pénètrent de joie et de reconnaissance. Dans une situation si charmante, jeune, brillant de santé, encouragé par la meilleure compagnie, vous croyez bien que je me fais un plaisir de travailler dans mes agréables moments de loisir à perfectionner une tragédie amoureuse, et que ce serait pour moi le comble des agréments de me commettre avec le discret et indulgent parterre et avec les auteurs pleins de justice et d’impartialité. Je jouis de mes amis, de mes parents, de ma maison, de mes livres, de mon bien, de la faveur des rois ; tout cela anime, et il faudrait être d’un génie bien stérile pour ne pas cultiver les muses avec succès, au milieu de tant d’encouragements. Pardon de cette longue ironie. Je vous parle très sérieusement, mon cher marquis, quand je vous dis combien je vous aime. Votre amitié, votre suffrage, pourraient m’encourager ; mais je sais trop ce qui manque à Zulime. Elle est trop longtemps sur le même ton ; c’est un défaut capital. Il faut de l’uniformité dans la société, mais non pas au théâtre, et d’ailleurs quel temps ! Adieu.

 

 

 

 

 

à M. de Roques.

 

Colmar, le 6 Février 1754.

 

 

          Oui, monsieur, je me souviendrai de vous toute ma vie, et je vous aimerai toujours, parce que vous m’avez paru juste et modéré.

 

          J’ai supporté avec beaucoup de patience et peu de mérite la persécution que j’ai essuyée. L’horreur et le mépris qu’elle m’a paru inspirer au public, pour leurs auteurs, me vengeaient assez. Je suis accoutumé aux libelles. Vous me ferez plaisir de m’envoyer la Gazette de Brunswick, dont vus me parlez. A l’égard de cette Histoire universelle, vous verrez, monsieur, ce que j’en pense par l’imprimé ci-joint (1). C’est une friponnerie de libraire. Les belles-lettres et la librairie ne sont plus qu’un brigandage. J’ai désavoué et condamné hautement cette indigne édition dans plusieurs écrits, et particulièrement dans la préface des Annales de l’Empire, que je vous enverrai par la voie que vous voudrez bien m’indiquer. J’avais commencé ces Annales à Gotha, je n’avais pu refuser cette obéissance aux ordres de madame la duchesse. J’ai continué mon ouvrage à Francfort ; je suis venu le finir à Colmar, où j’ai trouvé beaucoup de secours. Vous voyez que les plus horribles persécutions n’ont ni dérangé ma philosophie, ni diminué mon goût pour le travail, que j’ai toujours regardé comme la plus grande consolation pour les malheurs inséparables de la condition humaine. C’est chez soi, c’est dans son cabinet, qu’on doit trouver des armes contre les injustices des hommes. Les princes cherchent dans des chiens, des chevaux, et des piqueurs, une distraction à leurs chagrins et à leur ennui ; les philosophes doivent la trouver dans eux-mêmes. Mais une des plus grandes consolations, c’est l’amitié d’un homme comme vous ; conservez-la-moi, et comptez sur celle de votre, etc.

 

 

1 – Voyez l’opuscule A M. de ***, professeur en histoire. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Colmar, le 7 Février 1754.

 

 

          Vraiment, mon cher ange, il est bien vrai que les impressions de cette malheureuse Histoire, prétendue universelle, ne sont pas effacées ; les plaies sont récentes, elles saignent, et sont bien profondes. Il est certain qu’on m’a voulu perdre en France, après m’avoir perdu en Prusse, et qu’on a engagé ces coquins de libraires de Berlin et de La Haye à imprimer un ancien manuscrit informe pour m’achever. Il est incontestable que ce manuscrit est très différent du mien. Je conjurai ma nièce d’exiger la suppression du livre, dès qu’il parut ; elle eut la faiblesse de croire ceux qui en étaient contents ; elle me manda que M. de Malesherbes le trouvait très bon, et aujourd’hui M. de Malesherbes croit ne me pas devoir le témoignage que je demande. Il m’est pourtant essentiel qu’on sache la vérité ; non que j’espère qu’on me rendra une entière justice, mais du moins la persécution en serait affaiblie ; elle est extrême. Il ne s’agit plus probablement de Sainte-Palaie, et encore moins de tragédie ; il s’agit d’aller mourir loin des injustices et des persécutions (1). N’auriez-vous point, mon cher ange, quelque homme sage et discret, à la probité de qui je pusse confier le maniement de mes affaires et l’emballage de mes meubles ? Vous aviez, ce me semble, un clerc de notaire dont vous étiez très content ; il faudrait que vous eussiez la bonté d’arranger avec lui ses appointements ; je le chargeais de ma correspondance ; mais j’exigerai le plus profond secret. J’attends cette nouvelle preuve de votre généreuse amitié. Je ne peux songer à tout cela sans répandre des larmes.

 

          J’ai écrit à Lambert (2) ; je lui ai recommandé des cartons que je lui ai envoyés pour ces Annales. Je vous prie, quand vous irez à la comédie, d’exiger de lui cette attention. La passion des esprits faibles ferait trop crier les esprits méchants.

 

          Adieu, mon adorable ange ; mille compliments à madame d’Argental.

 

 

1 – Le roi avait dit qu’il ne voulait pas que Voltaire vînt à Paris. (G.A.)

 

2 – Imprimeur-libraire, qui passa longtemps pour être le fils naturel de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

A Colmar, 7 Février 1754. (1)

 

 

          Monsieur, je vous prie de pardonner à un malade s’il n’a pas l’honneur de vous écrire de sa main pour vous remercier de vos bontés. J’ai écrit plusieurs fois à ma nièce, qui a dû vous présenter mes très humbles remerciements, il y a longtemps ; mais j’ai peur que son triste état ne l’ait empêchée de faire auprès de vous tout ce que son cœur et le mien exigeaient.

 

          J’ai reçu, monsieur, une lettre de M. l’archevêque de Paris (2), et c’est à vos bons offices que je le dois ; mais cette lettre et celle dont vous m’avez honoré, me font voir évidemment que ma nièce n’a pu remplir auprès de vous les soins que son amitié pour moi lui imposait.

 

          Vous m’avez fait l’honneur de me dire par votre lettre que vous ne pouviez rendre témoignage de mon empressement à faire supprimer la malheureuse édition de Jean Neaulme, qui paraît avoir soulevé le clergé de France et déplu beaucoup à sa majesté. Il est pourtant très certain, monsieur, qu’à la première nouvelle de cette indigne édition de Jean Neaulme, j’écrivis deux lettres consécutives à ma nièce, et que je la suppliai d’obtenir de vous la suppression de cet ouvrage informe, dont je sentais toutes les dangereuses conséquences. Elle était alors très sérieusement malade, et elle ne me manda que longtemps après qu’il était impossible d’arrêter le débit d’un ouvrage déjà si répandu. Ainsi, monsieur, ce n’est pas votre faute, ni la mienne, si le livre n’a pas été supprimé. Mes lettres existent dans les mains de ma nièce ; elle peut les retrouver et avoir l’honneur de vous les montrer.

 

          J’ai tâché, en dernier lieu, d’apporter un nouveau remède au mal que mes ennemis m’ont fait en fournissant à un libraire de Hollande un manuscrit informe et altéré. J’ai envoyé à ma nièce un placet au roi, par lequel je le supplie de se faire rendre compte, par M. le chancelier (3), de la différence qui est entre mon véritable manuscrit et celui qu’on a imprimé pour me perdre. Je crois le roi trop équitable pour me refuser cette justice, et ceux mêmes qui m’ont accusé auprès de lui doivent me justifier, s’ils ont autant de probité que de christianisme.

 

          Je suis dans un état où je ne puis guère trouver de secours qu’entre les mains de médecins et de chirurgiens habiles, qui ne se trouvent que dans une grande ville ; et ma longue absence ayant dérangé absolument mes affaires, je me vois réduit à mourir dans un pays étranger, sans bien et sans secours. S’il se peut, qu’au moins la vérité soit reconnue ; c’est tout ce que je demande, c’est ce que j’attends, monsieur, de vos bons offices et d’un cœur aussi généreux que le vôtre.

 

          Je suis avec respect et reconnaissance, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Christophe de Beaumont. (A. François.)

 

3 – Guillaume de Lamoignon, père de Malesherbes. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. Rousset de Missi.

 

Colmar, le 9 Février 1754.

 

 

          Lorsque je me plaignis à vous, monsieur, avec franchise des calomnies que vous avez adoptées sur mon compte dans vos feuilles, vous me répondîtes que votre attachement à la mémoire de Rousseau, votre intime ami, était votre excuse.

 

          J’ai retrouvé, dans mes papiers, deux lettres (1) de votre main qui doivent me faire espérer plus de justice. Je vous en envoie ici copie, et je vous laisse à penser quelle est votre excuse.

 

 

1 – En date de 1737. (G.A.)

 

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