CORRESPONDANCE - Année 1752 - Partie 24

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à M. Formey.

Novembre 1752.

 

 

          Je suis venu hier, monsieur, pour vous remercier des soins que vous avez la bonté de prendre. Je vous prie de différer encore de quelques jours l’Avertissement que vous vouliez bien mettre dans les papiers publics, et de me garder une cellule dans votre ruche (1).

 

          N’en parlez point, je vous prie, avant que j’aie eu le bonheur de vous voir.

 

          Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Formey publiait l’Abeille du Parnasse. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Roques.

Novembre 1752.

 

 

          Monsieur, j’ai lu enfin l’édition du Siècle de Louis XIV, que votre ami La Beaumelle a faite en trois volumes, avec des remarques et des lettres. Je vous dirai, monsieur, que cette édition n’a pas laissé d’avoir quelque cours à Berlin. J’y suis outragé ; cinq ou six officiers de la maison de sa majesté prussienne y sont maltraités ; c’est une raison pour qu’on veuille au moins parcourir l’ouvrage. Personne ne lui pardonnera d’avoir outragé dans ses remarques les vivants et les morts, ainsi que la vérité. Mais moi, monsieur, je lui pardonnerais les injures scandaleuses qu’il me dit dans mon propre ouvrage, s’il était vrai qu’il eût à se plaindre de moi, et si je l’avais accusé auprès du roi de Prusse, dans son passage à Berlin, comme il le prétend.

 

          Je peux vous protester hautement, monsieur, non seulement à vous, mais à tout le monde, et attester le roi de Prusse lui-même, que jamais je n’ai dit à sa majesté ce qu’on m’impute (1). Ce fut le marquis d’Argens qui l’avertit, à souper, de la manière dont La Beaumelle avait parlé de sa cour, ainsi que de plusieurs autres cours, dans son livre intitulé Qu’en dira-t-on ? Le marquis d’Argens sait que, loin de vouloir porter ces misères aux oreilles du roi, je lui mis presque la main sur la bouche, que je lui dis en propres paroles : Taisez-vous donc, vous révélez le secret de l’Eglise. J’aurais pu user du droit que tout le monde a de parler d’un livre nouveau, à table, mais je n’usai point de ce droit ; et, loin de rendre aucun mauvais office à M. de La Beaumelle, je fis ce que je pus pour le servir dans l’aventure pour laquelle il fut mis au corps-de-garde à Berlin, et envoyé à Spandau. Pour peu qu’il raisonne, il doit voir clairement que Maupertuis ne m’a calomnié ainsi auprès de lui que pour l’exciter à écrire contre moi ; c’est un fait assez public dans Berlin. Il est bien étrange qu’un homme que le roi de Prusse a daigné mettre à la tête de son Académie ait pu faire de pareilles manœuvres. Songez ce que c’est que d’aller révéler à un étranger, à un passant, le secret des soupers de son maître, et de joindre l’infidélité à la calomnie. Exciter ainsi contre moi un jeune auteur, lancer ses traits, et puis retirer sa main ; accuser M. Kœnig, mon ami, d’être un faussaire, le faire condamner de sa seule autorité, en pleine Académie, et se donner le mérite de demander sa grâce ; faire écrire contre lui, et avoir l’air de ne point écrire ; déchaîner La Beaumelle contre moi, et le désavouer ; opprimer Kœnig et moi avec les mêmes artifices ; c’est ce que Maupertuis a fait, et c’est sur quoi l’Europe littéraire peut juger.

 

          Je me suis vu contraint à soutenir à la fois deux querelles fort triste. Il faut combattre, et contre Maupertuis, qui a voulu me perdre, et contre La Beaumelle, qu’il a employé pour m’insulter. La vie des gens de lettres est une guerre perpétuelle, tantôt sourde et tantôt éclatante, comme entre les princes ; mais nous avons un avantage que les rois n’ont pas ; la force décide entre eux, et la raison décide entre nous. Le public est un juge incorruptible qui, avec le temps, prononce des arrêts irrévocables. Le public prononcera donc si j’ai eu tort de prendre le parti de M. Kœnig, cruellement opprimé, et de confondre les mensonges dont La Beaumelle, excité par l’oppresseur de Kœnig et le mien, a rempli le Siècle de Louis XIV.

 

          La Baumelle vous a mandé, monsieur, qu’il me poursuivra jusqu’aux enfers. Il est bien le maître d’y aller ; et, pour mieux mériter son gîte, il vous dit qu’il fera imprimer, à la suite du Siècle de Louis XIV, un procès que j’eus, il y a près de trois ans, contre un banquier juif, et que je gagnai. Je suis prêt à lui en fournir toutes les pièces, et il pourra faire relier le tout ensemble, avec la Paix de Nimègue, celle de Ryswick, et la Guerre de la succession ; rien ne contribuera plus au progrès des sciences.

 

          Tout cela, monsieur, est le comble de l’avilissement ; mais je vous défie de me nommer un seul auteur célèbre, depuis le Tasse jusqu’à Pope, qui n’ait eu affaire à de pareils ennemis.

 

          Le moindre de mes chagrins est assurément le sacrifice des biens et des honneurs auxquels j’ai renoncé sans le plus léger secret ; mais la perte absolue de ma santé est un mal véritable. S’il y a quelque chose de nouveau à Francfort, concernant toutes ces misères, vous me ferez plaisir de m’en instruire.

 

 

1 – Voyez la lettre à Roques en date de Leipsick. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Ximenès.

A Potsdam, le 1er Décembre 1762.

 

 

          Les personnes qui ont l’honneur de vous connaître, monsieur, vous rendront la justice d’avouer que vous êtes plus fait pour traduire les amours fortunés d’Ovide que les amours malheureux (1). Si d’ailleurs quelque beauté avait à se plaindre de vous, elle serait discrète ; et vous pourriez vous vantez de vos exploits sans lui déplaire. Il y a de très galants hommes qui ont perdu partie, revanche, et le tout, sans en rien dire. Vous n’êtes pas de ces gens-là, et je vous crois très heureux au jeu.

 

          Pour moi, qui ne joue point, je vous souhaite d’aussi bonnes parties que vous avez fait de bons vers. Goûtez les plaisirs, et chantez-les. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Ximenès lui avait envoyé des vers où il déplorait son peu d’éloquence avec mademoiselle Clairon, qui, par trois fois, lui avait donné rendez-vous. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Darget.

A Potsdam, le 4 Décembre 1752.

 

          Vous m’allez prendre pour un paresseux, mon cher Darget ; mais je ne suis ni paresseux, ni indifférent. Un malade qui a eu sur les bras deux éditions à corriger, est un homme à qui il faut pardonner. Les détails me pilent, disait Montagne. Il est plus agréable d’être à Fontainebleau, à Plaisance, à Brunoy, à Versailles. Je me flatte que vous y êtes avec une vessie bien réparée, et que vous êtes en état de faire encore le coquet sans crainte de mauvaise aventure ; Daran et le plaisir ont dû vous guérir. Vous avez bien couru depuis un an, et moi j’ai resté constamment dans ma chambre, dont je ne suis sorti que pour aller chez le roi quand il a plu à sa majesté de me mettre du banquet des sept sages. Ce n’est pas que je sois sage ; au moins n’allez pas imaginer cette folie-là. Je n’en ai guère vu encore, et je n’ai pas l’honneur de l’être. Les uns vont faire leurs folies en grande cohue, et moi j’en fais en vers et en prose dans ma retraite.

 

 

Scit genius, natale comes qui temperat astrum.

 

HOR., liv. II, ép. II.

 

 

          Je vous assomme toujours de citations d’Horace. On ne le cite guère à Fontainebleau et à Brunoy ; c’est pourtant le meilleur prédicateur que je connaisse ; il est prédicateur de cour, de b…., et de bon goût, et surtout du repos de l’âme.

 

Il sait

 

 

Quid te tibi reddat amicum.

 

 

Liv. I, ép. XVIII.

 

Il savait vivre avec Auguste et Mécène ! et sans eux, il avait son Sabine, comme M. de Valori a son Estampes. Vous n’êtes pas encore

 

 

Ruris amator,

 

Liv. I, ép. VIII.

 

 

vous, monsieur le courtisan :

 

Miraris

Fumum et opes strepitumque Romæ.

 

Liv. III, od. XXIX.

 

 

Vous ne reviendrez donc qu’au printemps, et moi je pourrai bien faire un petit tour dans ce temps-là, si je ne suis pas mort. Nous serons comme Castor et Pollux, nous n’aurons point paru sur le même hémisphère pendant deux ans ; mais je vous aimerais aux antipodes. Je me flatte que madame votre sœur a trouvé, par vos soins, l’établissement que vous désiriez tant pour elle. Peut-être à présent ne le désirez-vous plus. Et toujours Horace :

 

 

Quod petiit spernit, repetit quod nuper omisit.

 

Liv. I, ép. I.

 

 

Vous m’allez envoyer promener, me traiter de pédant : cependant vous m’avez paru assez content de mon dernier sermon dont ce philosophe voluptueux et libre m’avait fourni le texte ; vous en profiterez si vous voulez ou si vous pouvez. Conservez-moi votre amitié ; je vous ai été fidèle depuis le moment où je vous ai connu ; je le serai toujours. Ce ne sont pas les moines qui aiment leurs chambres, dont les autres moines aient rien à craindre. Pax Christi. Adieu ; je rendis à mademoiselle Le Comte votre lettre, et je suis à vos ordres en tout et partout.

 

 

 

 

 

à M. G.C Walther.

6 Décembre 1752.

 

 

          J’apprends, à l’instant du départ de la poste, que le nommé d’Arnaud est à Dresde. Sa majesté le roi de Prusse a été obligé de le chasser de ses Etats, et il méritait une punition plus sévère. On apprend qu’il a forgé des lettres de sa majesté, en prose et en vers, qu’il débite impudemment. Si vous pouviez, mon cher Walther, vous faire donner ces papiers, et les renvoyer à notre cour, vous rendriez un très grand service. Au reste, il est bon que vous connaissiez ce scélérat, et que vous le fassiez connaître. Je vous réitère toutes les prières que je vous ai faites, et vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

A Berlin, le 16 Décembre 1752.

 

 

          Vous avez dû recevoir, monseigneur, par M. de La Reynière, une très grande lettre (1) et un très énorme paquet. Je ne vous demande point pardon de mes lettres, parce que le cœur les dicte ; mais je vous demande bien sérieusement pardon du paquet. Tout est trop long et trop détaillé ; c’est comme si on recueillait tous les bulletins d’une maladie qu’on a eue il y a dix ans. La postérité dédaigne tous les petits faits, et veut voir les grands ressorts. Je suis honteux d’avoir barbouillé plus de papier sur huit ans d’une guerre inutile, que sur le siècle de Louis XIV. J’ai noyé la gloire du roi, celle de la nation, et la vôtre, dans des détails que je hais. Avec moins de minuties, il y aurait bien plus de grandeur. Malheur aux gros livres ! je m’occupe à rendre celui-ci plus petit et meilleur.

          Après cette  petite préface que vous fait votre historiographe, voici une requête de votre historien. On a repris le Duc de Foix ; il ne s’agit plus que de jouer Rome sauvée, suivant l’exemplaire envoyé de Berlin.

 

          « Je supplie monseigneur le maréchal duc de Richelieu, premier gentilhomme de la chambre du roi, de vouloir bien interposer son autorité pour qu’on reprenne au théâtre la tragédie de Rome sauvée, qu’on la représente suivant l’exemplaire que j’ai envoyé, et que les acteurs se chargent des rôles suivant la distribution que j’en ai faite, approuvée par monseigneur le maréchal de Richelieu. A Berlin, ce 15 Décembre 1752. »

 

 

1 – Celle du 25 Novembre. (K.)

 

 

 

 

à M. Roques.

Ce 16 Décembre 1752.

 

          On ne peut être plus sensible que je le suis, monsieur, à tous vos soins obligeants. Je conviens que vous êtes dans une position délicate, et que vous vous acquittez de vos fonctions de médiateur, on ne peut pas mieux. Vous savez tout ce que j’ai fait pour entrer dans vos vue pacifiques. Il est bien étrange que M. de La Beaumelle ait voulu, pour quelques ducats, s’attirer une affaire si désagréable et si peu digne d’un honnête homme. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que les libraires sont en possession de contrefaire les ouvrages des gens de lettres, et de leur ravir le fruit de leurs travaux : mais qu’un homme de lettres contrefasse un livre dont un libraire a le privilège, et ait encore l’imprudence absurde de contrefaire une mauvaise édition furtive, dans le temps que mon libraire en donne une bonne, que sur cette mauvaise édition furtive, il se hâte de faire des remarques se trouveront dans la seule édition que j’approuve, et dont j’ai fait présent à mon libraire Conrad Walther, c’est un procédé, monsieur, dont je vous laisse le juge. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me faire tenir, par le chariot de poste de Francfort à Berlin, le livre de La Beaumelle, intitulé Mes Pensées, que le magistrat de Francfort a fait à la vérité saisir, mais dont il reste, dites-vous, quelques exemplaires. Il n’y a qu’à marquer le prix du livre sur le paquet en toile cirée, je le paierai avec le port, selon l’usage, et le maître du chariot de poste vous en tiendra compte. Si vous avez quelques ordres à me donner pour Berlin, je les exécuterai avec le même zèle et la même fidélité que je suis, monsieur, etc.

 

          P.S. – J’oubliais de vous dire que les Lettres de madame de Maintenon ont été volées à M. de Margency, écuyer de M. le maréchal de Noailles, neveu de madame de Maintenon : cela fait beaucoup de bruit à Paris.

 

 

 

 

à M. le président Hénault.

A Berlin, le 18 Décembre 1752.

 

          Voici, mon cher et illustre confrère, une lettre de bonne année. Je ne suis pas accoutumé à faire de ces compliments-là ; mais j’aime à vous dire :

 

 

Qu’il vive autant que son ouvrage,

Qu’il vive autant que tous les rois

Dont il parle sans verbiage.

 

 

          J’ai à vous avouer que j’ai été, moi, beaucoup trop verbiageur sur l’histoire de la dernière guerre, dont j’ai envoyé le manuscrit à M. d’Argenson. Je devais faire de cette histoire un ouvrage aussi intéressant que le Siècle de Louis XIV. Je ne l’ai point fait ; j’ai trop étouffé l’intérêt sous des détails ; cela est ennuyeux pour les acteurs mêmes.

 

          C’est donc quelque chose de bien vilain que la guerre, puisque les particularités les plus honorables des grandes actions font bâiller ceux qui les ont conduites.

 

          Je regarde ce que j’ai envoyé à M. d’Argenson comme des matériaux qu’il m’avait confiés, et qui lui appartiennent. J’en fais à présent un édifice plus régulier et plus agréable. Dites-lui, je vous en supplie, monsieur, que je lui demande très sérieusement pardon de l’énormité de mon volume. J’ai sa gloire à cœur ; il n’y en a point dans de trop gros livres. Je lui réponds d’être court et vrai. Je veux que les belles années de Louis XV se fassent lire comme le Siècle de Louis XIV, j’ai presque dit comme votre Chronologie ; et je souhaite qu’après ma mort mon nom puisse ne pas faire déshonneur à celui de M. d’Argenson, après l’avoir un peu ennuyé pendant la vie. J’ai besoin à présent de votre indulgence et de la sienne ; je vous la demande instamment ; faites-lui parvenir mes remords.

 

 

 

 

à M. Formey.

 

 

          J’ai eu du monde jusqu’à présent, monsieur, et je n’ai pas eu le temps de vous répondre.

 

          Je tâcherai de venir chez vous après-demain, si mes forces me le permettent, et nous raisonnerons amplement sur ce que vous me mandez.

 

          Je vous viendrai voir en bonne fortune, et ni l’un ni l’autre ne s’en vantera.

 

 

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