CORRESPONDANCE - Année 1742 - Partie 1

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Cirey, le 10 Janvier 1742.

 

 

         Frère Macaire et frère François se recommandent, monsieur, à vos bontés. Frère Macaire est un petit ermite qui ne sait pas son catéchisme, mais qui est bon, doux, simple, qui gagne sa vie à nettoyer de vieux tableaux, à recoller de vieux châssis, à barbouiller des fenêtres et des portes. Il demeure dans les bois de Doulevant, l’un de vos domaines voisins de Cirey. Il passe dans le canton pour un bon religieux, attendu qu’il ne fait point de mal, et qu’il rend service. Son ermitage est une petite chapelle appartenant à M. le duc d’Orléans ; il voudrait bien une petite permission d’y demeurer et d’y être fixé.

 

         Il y a, je crois, à Toul une espèce de général des ermites qui les fait voyager comme le diable de Papefiguière et frère Macaire ne veut point voyager. Madame du Châtelet, qui trouve cet ermite un bon diable, serait fort aise qu’il restât dans sa chapelle, d’où il viendrait quelquefois travailler de son métier à Cirey. Si donc, monsieur, vous pouvez donner à frère Macaire une patente d’ermite de Doulevant, ou une permission telle quelle de rester là comme il pourra, madame du Châtelet vous remerciera, et Dieu et saint Antoine vous béniront.

 

         Quant à frère François, c’est moi, monsieur, qui suis encore plus ermite que frère Macaire, et qui ne voudrais sortir de mon ermitage que pour vous faire ma cour. J’y vis entre l’étude et l’amitié, plus heureux encore que frère Macaire ; et, si j’avais de la santé, je n’envierais aucune destinée ; mais la santé me manque, et m’ôte jusqu’au plaisir de vous écrire aussi souvent que je le voudrais. Au lieu d’aller à Paris, nous allons, sœur Emilie et frère François , en Franche-Comté, au milieu des neiges et des glaces. On pourrait choisir un plus beau temps, mais madame d’Autrey (1) est malade ; on a logé chez elle à Paris. L’amitié et les bons procédés ne connaissent point les saisons.

 

         Je me flatte qu’après ce voyage vous voudrez bien, monsieur, me permettre de profiter quelquefois de vos moments de loisir, et que j’aurai encore l’honneur de vous voir dans cette ancienne maison de la baronne (2) où l’on faisait si gaiement de si mauvais soupers.

 

         Voulez-vous bien que je présente mes respects à M. votre fils et à celui d’Apollon, qui va faire au Châtelet son apprentissage de maître des requêtes, d’intendant, de conseiller d’Etat, et de ministre ?

 

         Frère François priera toujours Dieu pour vous avec un très grand zèle et très efficace.

 

 

1 – Voyez la lettre à Thieriot du 6 Novembre. (G.A.)

 

2 – Madame de Fontaine-Martel. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Gray en Franche-Comté, ce 19 Janvier 1742.

 

 

         Nous avons passé par la Franche-Comté, mon cher et respectable ami, pour venir plus tôt vous revoir. Puisque l’amitié et la reconnaissance ont conduit madame du Châtelet à Gray, elles nous ramèneront bien vite auprès de vous. Je ne vous mandai point le succès entier de son affaire, parce que je croyais qu’elle vous écrirait le même jour que moi. Je me contentai de vous parler des bagatelles intéressantes du théâtre. Je n’ai point écrit à La Noue. Entre les rois et les comédiens, il ne faut point mettre le doigt, non plus qu’entre l’arbre et l’écorce. Je ne veux me brouiller ni avec le roi de Prusse, ni avec un roi de théâtre ; j’attendrai paisiblement que La Noue soit reçu à Paris, et je ne compte pas plus me mêler de cette élection que de celle de l’empereur. Je ne me mêle que de reprendre de temps en temps mon Mahomet en sous-œuvre. J’y ai fait ce que j’ai pu ; je le crois plus intéressant que lorsqu’il fit pleurer les Lillois. J’avoue que la pièce est très difficile à jouer ; mais cette difficulté même peut causer son succès ; car cela suppose que tout y est dans un goût nouveau, et cette nouveauté suppléera du moins à ma faiblesse.

 

         Je ne regrette point Dufresne ; il est trop formé pour Séide, et trop faible pour Mahomet. Il n’était nullement fait pour les rôles de dignité, ni de force ; je l’ai vu guindé dans Athalie, quand il faisait le grand-prêtre. La Noue est très supérieur à lui dans les rôles de ce caractère ; c’est dommage qu’il ait l’air d’un singe.

 

         J’ai lu enfin les Confessions du comte de *** (1) ; car il faut toujours être comte ou donner les Mémoires d’un homme de qualité (2). J’aime mieux ces Confessions que celles de saint Augustin ; mais, franchement, ce n’est pas là un bon livre, un livre à aller à la postérité ; ce n’est qu’un journal de bonnes fortunes, une histoire sans suite, un roman sans intrigues, un ouvrage qui ne laisse rien dans l’esprit, et qu’on oublie comme le héros oublie ses anciennes maîtresses. Cependant je conçois que le naturel et la vivacité du style, et surtout le fond du sujet, aura réjoui les vieilles et les jeunes, et que ces portraits, qui conviennent à tout le monde, ont dû plaire aussi à tout le monde.

 

         Bonsoir, homme charmant, à qui je voudrais plaire. Mille tendres respects à l’autre ange.

 

 

1 – Par Duclos, 1742. (G.A.)

 

2 – Par l’abbé Prévost, 1729. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Gray en Franche-Comté, ce 19 Janvier 1742.

 

 

         Le plus ambulant de vos amis, le plus écrivain, et le moins écrivant, se jette au pied de l’autel de l’Amitié, et avoue d’un cœur contrit sa misérable paresse. J’aurais dû vous écrire de Paris et de Cirey, mon aimable Cideville ; fallait-il attendre que je fusse en Franche-Comté ? Nous en partons d’aujourd’hui en huit, nous retournons à Cirey passer quelques jours, et de là nous faisons un petit tour à Paris. Nous y logerons dans la maison de madame la comtesse d’Autrey, près du Palais Royal, qui appartient à la dame de la ville de Gray, où nous sommes actuellement. Je ne sais si madame du Châtelet vous a fait tout ce détail dans sa lettre, mais je vous dois cette ample instruction de mes marches, pour avoir sûrement quelques lettres de vous, à mon arrivée à Paris.

 

         Ne serez-vous point homme à passer, dans cette grande capitale des bagatelles, une partie du saint temps de carême ? N’ai-je pas entendu dire que le philosophe Formont y doit venir ? Il serait très doux, mon cher ami, de nous rassembler un petit nombre d’élus, serviteurs d’Apollon et du plaisir. Je ne sais pas trop comment vont les spectacles. Voilà ce qui m’intéresse ; car, pour le spectacle de l’Europe, les armées d’Allemagne, et la comédie de Francfort (1), je n’y jette qu’un coup d’œil. Je paie mon dixième (2) pour être un moment debout au parterre, et je n’y pense plus ; mais nous manquons d’acteurs à la Comédie-Française, c’est là l’objet intéressant. J’ai plus besoin de voir Dufresne remplacé que de voir Maximilien de Bavière sur le trône de Charles VI.

 

 

 

         Un grand comédien d’Allemagne, nommé le roi de Prusse, m’a mandé qu’il aurait La Noue ; d’un autre côté on se flattait de l’avoir à Paris, et je voudrais bien que La Noue fît comme moi, qu’il quittât les rois pour ses amis. Je ferai jouer Mahomet, s’il vient dans la troupe, supposé, s’entend, que vous voyez content de cet illustre fripon que j’ai retaillé, recoupé, relimé, raboté, rebrodé, le tout pour vous plaire ; car il faut commencer par vous, et je serai sûr du public.

 

         J’aurai encore le temps d’attendre que l’ambassadeur turc (3) soit parti ; car, en vérité, il ne serait pas honnête de dénigrer le prophète pendant que l’on nourrit l’ambassadeur, et de se moquer de sa chapelle sur notre théâtre. Nous autres Français nous respectons le droit des gens, surtout avec les Turcs.

 

         Mon Dieu, mon cher ami, que je voudrais vous retrouver à Paris pendant notre ramazan ! car, que je fasse jouer ou non mon fripon, je n’y resterai pas longtemps. Il faut encore aller boire à Bruxelles la lie du calice de la chicane, et végéter deux ans dans le pays de l’insipidité. Quelques étincelles de votre imagination, et quelques jours de votre présence, me serviront d’antidote. Je cours grand risque de rester encore deux ans au moins chez les Barbares. Ne pourrai-je avoir la consolation de vous voir deux jours ?

 

         Adieu, mon cher ami, à qui mon cœur est uni pour toute ma vie. Je vous embrasse bien tendrement.

 

 

1 – L’électeur de Bavière, élu empereur le 24 Janvier. (G.A.)

 

2 – Le décime de guerre. (G.A.)

 

3 – Saïd-Pacha. Voyez plus loin la lettre à Falkener. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Berger

…. Janvier 1742 (1)

 

 

         L’ermite de Cirey n’oubliera jamais son cher Berger. Il a été forcé d’interrompre tout commerce avec ses amis pendant quelque temps ; mais ils ne lui en sont que plus chers, et M. Berger sera toujours à la tête de ceux pour qui il conserve le plus d’estime et d’amitié . S’il voulait venir à Cirey, il serait bien convaincu des sentiments de son ami.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de La Noue

28 Janvier (1).

 

 

         Mon cher Mahomet, mon cher Thraséas, etc., j’ai envoyé votre lettre à celui (2) qui serait heureux s’il se bornait aux plaisirs que des hommes tels que vous peuvent lui donner. S’il vous connaissait, je sais bien ce qu’il ferait, ou du moins ce qu’il devrait faire. Je ne doute pas que vous n’obteniez les choses très justes que vous demandez ; mais, en même temps, je crois que vous devez entièrement vous conformer à ce que M. Algarotti vous a mandé, et ne faire aucuns préparatifs à compter du jour de la réception de sa lettre. Vous m’avez donné une grande envie de revenir à Lille. Je ne vous ai ni assez vu ni assez entendu. J’aime en vous l’auteur, l’acteur, et, surtout, l’homme de bonne compagnie. Comptez que vous avez fait en moi une conquête pour la vie. Ne me retrouverai-je jamais entre le cher Cideville et vous !

 

 

O noctes cœnæque Deum !....

 

HOR. , liv. II., sat. VI.

 

 

         Je vous aimerais bien mieux là qu’à Berlin. Adieu, mon ami.

 

 

1 – C’est à tort qu’on lit Bruxelles en tête de cette lettre, imprimée pour la première fois par Colini en 1807. Voltaire, en ce mois de janvier, rentra à Cirey. (G.A.)

 

2 – Frédéric II. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Champflour, père

A Cirey en Champagne, ce 3 Février.

 

 

         La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser à Bruxelles, monsieur, m’a été renvoyée assez tard. J’ai un peu voyage cet hiver, avec madame la marquise du Châtelet, pour le même procès qui me ramènera à Bruxelles incessamment.

 

         Je vais passer le carême à Paris, et je logerai près du Palais Royal. Si je peux y exécuter quelques-uns de vos ordres, vous n’avez qu’à commander. La connaissance que j’ai faite, avec vous par lettres, devient une véritable amitié. Il me semble, par les choses touchantes dont elles sont pleines, que j’ai eu la satisfaction de vivre avec vous. Elles suppléent à une longue habitude. Je me doutais bien que M. votre fils serait votre consolation et votre joie. Les sentiments dont je fus témoin, dans le peu de temps que je le vis, m’en étaient bien garants. Il faut contenir d’ailleurs qu’il est fort aimable. Son tour d’esprit gai et naturel me plut beaucoup. Il doit faire l’agrément de la société, et le plaisir de sa famille. Souffrez, monsieur, que je partage avec vous la satisfaction de votre cœur, et permettez que je mette dans votre paquet cette petite lettre pour lui. Je suis, monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

 

 

 

 

 

à M. de Champlfour, fils

A Cirey en Champagne, ce 3 Février 1742.

 

 

         Je suis bien sensible à votre souvenir, mon cher monsieur, et je le suis encore davantage au bonheur dont vous jouissez, et à la satisfaction que vous mettez dans le cœur du meilleur des pères. Je ne suis point étonné de vos succès dans l’étude du droit. Votre esprit est fait pour se plier et pour réussir à tout. Mais il y a bien du mérite à revenir si aisément de l’état militaire à celui de la robe.

 

         Ce dernier procure une vie plus douce et plus heureuse. Eh ! qu’avons-nous à faire dans ce monde qu’à nous rendre heureux nous et les nôtres ? Je ne viendrai m’établir à Paris qu’environ dans deux années. Si vous y faites alors quelque voyage, ou si vous me jugez capable de vous servir en ce pays-là, vous pourrez disposer de moi. Votre reconnaissance, monsieur, pour de petits services que tout autre que moi vous eût rendus à ma place, me fait sentir combien il serait doux de vous en rendre qui me coûtassent plus de soins. Comptez, monsieur, que vous aurez toujours en moi un ami qui s’intéressera tendrement au bonheur de votre vie. C’est dans ces sentiments que je suis de tout mon cœur, etc.

 

CORRESPONDANCE 1742 - Partie1

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