CORRESPONDANCE - 1722 - Partie 8

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Au cardinal Dubois

28 Mai 1722.

 

          Monseigneur (1), j’envoie à votre éminence un petit mémoire de ce que j’ai pu déterrer touchant le Juif dont j’ai eu l’honneur de vous parler.

 

          Si votre éminence juge la chose importante, oserais-je vous représenter qu’un Juif, n’étant d’aucun pays que de celui où il gagne de l’argent, peut aussi bien trahir le roi pour l’empereur que l’empereur pour le roi ?

 

          Je suis fort trompé, ou ce Juif pourra aisément me donner son chiffre avec Willar, et me donner des lettres pour lui.

 

          Je peux, plus aisément que personne au monde, passer en Allemagne sous le prétexte d’y voir Rousseau, à qui j’ai écrit il y a deux mois (2) que j’avais envie d’aller montrer mon poème au prince Eugène et à lui. J’ai même des lettres du prince Eugène, dans l’une desquelles il me fait l’honneur de me dire qu’il serait bien aise de me voir. Si ces considérations pouvaient engager votre éminence à m’employer à quelque chose, je la supplie de croire qu’elle ne serait pas mécontente de moi, et que j’aurais une reconnaissance éternelle de m’avoir permis de la servir.

 

          Je suis avec un profond respect, de votre éminence le très humble, etc. VOLTAIRE.

 

 

1 – Voici la première tentative de Voltaire auprès du premier ministre pour jouer un rôle dans la diplomatie. (G.A.)

2 – Ou plutôt, il y a quatre mois. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

MÉMOIRE TOUCHANT SALOMON LÉVI.

 

 

 

          Salomon Lévi, Juif, natif de Metz, fut d’abord employé par M. de Chamillart ; il passa chez les ennemis avec la facilité qu’ont les Juifs d’être admis et d’être chassés partout. Il eut l’adresse de se faire munitionnaire de l’armée impériale en Italie : il donnait de là tous les avis nécessaires à M. le maréchal de Villeroi ; ce qui ne l’empêcha pas d’être pris dans Crémone.

 

          Depuis, étant dans Vienne, il eut des correspondances avec le maréchal de Villars.

 

           Il eut ordre de M. de Torcy, en 1713, de suivre milord Marlborough, qui était passé en Allemagne pour empêcher la paix, et il rendit un compte exact de ses démarches.

 

          Il fut envoyé secrètement par M. Le Blanc, à Siertz, il y a dix-huit mois, pour une affaire prétendue d’Etat, qui se trouva être une billevesée.

 

          A l’égard de ses liaisons avec Willar, secrétaire du cabinet de l’empereur, Salomon Lévi prétend que Willar ne lui a jamais rien découvert que comme à un homme attaché aux intérêts de l’Empire, comme étant frère d’un autre Lévi employé en Lorraine et très connu.

 

          Cependant il n’est pas vraisemblable que Willar, qui recevait de l’argent de Salomon Lévi pour apprendre le secret de son maître aux Lorrains, n’en eût pas reçu très volontiers pour en apprendre autant aux Français.

 

          Salomon Lévi, dit-on, a pensé être pendu plusieurs fois, ce qui est bien plus vraisemblable.

 

          Il a correspondance avec la compagnie comme sous-secrétaire de Willar.

 

          Il compte faire des liaisons avec Oppenhemer et Vertembourg, munitionnaires de l’empereur, parce qu’ils sont tous deux Juifs comme lui.

 

          Willar vient d’écrire une lettre à Salomon, qui exige une réponse prompte, attendu ces paroles de la lettre : « Donnez-moi un rendez-vous, tandis que nous sommes encore libres. »

 

          Salomon Lévi est actuellement caché dans Paris pour une affaire particulière avec un autre fripon nommé Rambau de Saint-Maur. Cette affaire est au châtelet, et n’intéresse en rien la cour.

 

 

 

 

à M. Thieriot

Vendredi, Juillet 1722.

 

          M. le duc de Sully vient d’arriver à Villars, et m’emmène avec lui dimanche. Je compte vous mander incessamment dans quel temps vous pourrez venir remplir avec moi nos grands projets de solitude. Portez-vous bien, mon cher Esdras ; songez toujours à moi, à la réparation de notre gros livre, et surtout à votre santé. Mes compliments à toute votre famille. Envoyez par le porteur le second tome de Cromwell à madame la maréchale, et à moi Tacite. Adieu.

 

 

 

 

à M. le cardinal Dubois (1)

De Cambrai, Juillet.

 

 

Une beauté qu’on nomme Rupelmonde (2),

Avec qui les amours et moi

Nous courons depuis peu le monde,

Et qui nous donne à tous la loi,

Veut qu’à l’instant je vous écrive.

Ma muse, comme à vous, à lui plaire attentive,

Accepte avec transport un si charmant emploi.

 

 

          Nous arrivons, monseigneur, dans votre métropole, où je crois que tous les ambassadeurs et tous les cuisiniers de l’Europe se sont donné rendez-vous. Il semble que tous les ministres d’Allemagne ne soient à Cambrai que pour faire boire la santé de l’empereur. Pour messieurs les ambassadeurs d’Espagne, l’un tend deux messes par jour, l’autre dirige la troupe des comédiens. Les ministres anglais envoient beaucoup de courriers en Champagne, et peu à Londres. Au reste personne n’attend ici votre éminence : on ne pense pas que vous quittiez le Palais-Royal pour venir visiter votre ouaille. Vous seriez trop fâché, et nous aussi, s’il vous fallait quitter le ministère pour l’apostolat.

 

 

Puissent messieurs du congrès,

En buvant dans cet asile,

De l’Europe assurer la paix !

Puissiez-vous aimer votre ville,

Seigneur, et n’y venir jamais !

Je sais que vous pouvez faire des homélies,

Marcher avec un porte-croix,

Entonner la messe parfois,

Et marmotter des litanies.

Donnez, donnez plutôt des exemples aux rois ;

Unissez à jamais l’esprit à la prudence ;

Qu’on publie en tous lieux vos grandes actions :

Faites-vous bénir de la France,

Sans donner à Cambrai des bénédictions.

 

 

          Souvenez-vous quelquefois, monseigneur, d’un homme qui n’a, en vérité, d’autre regret que de ne pouvoir pas entretenir votre éminence aussi souvent qu’il le voudrait (3), et qui, de toutes les grâces que vous pouvez lui faire, regarde l’honneur de votre conversation comme la plus flatteuse.

 

 

1 – Cette lettre est de 1722. Elle a été imprimée plusieurs fois mais on la donne ici sur l’original. Madame de Rupelmonde était fille du maréchal d’Alègre, mariée à un seigneur flamand, et mère du marquis de Rupelmonde tué en Bavière. (1752)

2 – Voyez l’Epître à Uranie, ou le Pour et le contre. Voltaire venait de partir avec cette veuve pour la Hollande, et s’était arrêté à Cambrai où allait se tenir un congrès. (G.A.)

3 – Variante : Parce qu’il vous regarde comme l’homme du monde de la meilleure conversation. La seule chose que je vous demanderai à Paris sera de vouloir bien me parler.

 

Je ne désire rien au monde

Que d’entendre Dubois et de voir Rupelmonde.

 

La Ligue, édit. In-12 de 1724.

 

 

 

 

à M. Thieriot

 

CHEZ M. HÉRAULT, PRÈS DU CHAGRIN DE TURQUIE,

VIS-A VIS LE CHEVAL DE BRONZE, A PARIS.

 

Ce 6 Septembre 1722.

 

 

          Mon cher Thieriot, le plaisir de voyager avec madame de Rupelmonde, ne m’empêche point de songer dès le premier gîte à vous remercier de tous les soins obligeants que vous prenez pour moi. J’aurai mon tour quelque jour, je vous en réponds, et j’en ferai tout autant. Envoyez-moi la lettre de Gaudin pour ce banquier et pour sa femme, et des nouvelles. Adressez votre lettre à Bruxelles, chez M. le comte de Morville, plénipotentiaire.

 

 

 

 

à M. Thieriot

A Cambrai, 10 Septembre.

 

          Je ne sais si je vous ai bien donné mon adresse, c’est à Bruxelles, chez madame de Rupelmonde.

 

          Je suis dans le moment à Cambrai où je suis reçu beaucoup mieux que je ne l’ai jamais été à Paris. Si cela continue, j’abandonnerai ma patrie assurément, à moins que vous ne me promettiez de m’aimer toujours. S’il y a des nouvelles, écrivez-m’en bien vite, et faites un peu venir qui vous savez avec des menottes (1).

 

 

1 – Il s’agit de l’officier Beauregard qui avait bâtonné Voltaire sur le pont de Sèvres, et que le poète poursuivait au criminel. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

A Bruxelles, 11 Septembre.

 

 

          Je suis fort étonné de la colère de M. de Richelieu. Je l’estime trop pour croire qu’il puisse vous avoir parlé avec un air de mécontentement, comme si j’avais manqué à ce que je lui dois. Je ne lui dois que de l’amitié, et non pas de l’asservissement ; et, s’il en exigeait, je ne lui devrais plus rien. Je viens de lui écrire ; je ne vous conseille pas de le revoir, si vous vous attendez à recevoir de lui, en mon nom, des reproches qui auraient l’air d’une réprimande qu’il lui siérait très mal de faire, et à moi de souffrir, d’autant plus que la veille de mon départ je lui écrivais (1) à Versailles, où il était. En voilà assez sur cet article. Je vous prie toujours très instamment de m’envoyez le poème de la Grâce (2), et de n’en rien dire à personne. Vous n’avez qu’à adresser le paquet à La Haye, chez madame Rupelmonde ; j’y serai dans trois ou quatre jours.

 

          A l’égard de l’homme aux menottes (3), je compte revenir à Paris dans quinze jours, et aller ensuite à Sully. Comme Sully est à cinq lieues de Gien, je serai là très à portée de faire happer le coquin, et d’en poursuivre la punition moi-même, aidé du secours de mes amis. Je vous avais d’abord prié d’agir pour moi dans cette affaire, parce que je n’espérais pas pouvoir revenir à Paris de quatre mois ; mais mon voyage étant abrégé, il est juste de vous épargner la peine que vous vouliez bien prendre. Vous ne sera pourtant pas quitte de toutes les négociations dont vous étiez chargé pour moi.

 

Je vous envoie les idées des dessins d’estampes, que j’ai rédigées.

 

 

 

COYPEL (4)

 

         A la tête du poème, Henri IV, au naturel, sur un trône de nuages, tenant Louis XV entre ses bras, et lui montrant une Renommée qui tient une trompette où sont attachées les armes de France :

 

                      Disce, puer, virtutem ex me verumque laborem. (Æn.. XIII.)

 

GALLOCHE (5)

 

Ier chant.

 

           Une armée en bataille ; Henri III et Henri IV s’entretenant à cheval à la tête des troupes ; Paris dans l’éloignement ; des soldats sur les remparts ; un moine sur une tour, avec une trompette dans une main et un poignard dans l’autre.

 

GALLOCHE

 

IIe chant.

 

           Une foule d’assassins et de mourants ; un moine en capuchon, un prêtre en surplis portant des croix et des épées ; l’amiral de Coligny qu’on jette par la fenêtre ; le Louvre, le roi, la reine-mère, et toute la famille royale, sur un balcon ; une foule de morts à leurs pieds.

 

 

DETROY (6)

 

IIIe chant.

 

           Le duc de Guise au milieu de plusieurs assassins qui le poignardent.

 

 

GALLOCHE

 

IVe chant.

 

           Le château de la Bastille, dont la porte est ouverte ; on y fait entrer les membres du parlement deux à deux. Trois furies, avec des habits semés de croix de Lorraine, sont portées dans les airs sur un char traîné par des dragons.

 

 

 

DETROY

 

Ve chant.

 

          Jacques Clément, à genoux devant Henri III, lui perce le ventre d’un poignard ; dans le lointain, Henri IV, sur un trône, reçoit le serment de l’armée.

 

 

COYPEL

 

VIe chant .

 

(7).

 

          Henri IV armé, endormi au milieu du camp ; saint Louis, sur un nuage, mettant la couronne sur la tête de Henri IV, et lui montrant un palais ouvert ; le Temps, la faux à la main, est à la porte du palais, et une foule de héros dans le vestibule ouvert.

 

 

 

DETROY

 

VIIe chant.

 

          Une mêlée, au milieu de laquelle un guerrier embrasse en pleurant le corps d’un ennemi qu’il vient de tuer ; plus loin, Henri IV entouré de guerriers désarmés, qui lui demandent grâce à genoux.

 

 

COYPEL

 

VIIIe chant.

 

          L’Amour sur un trône, couché entre des fleurs ; des nymphes et des furies autour de lui ; la Discorde tenant deux flambeaux, la tête couverte de serpents, parlant à l’Amour, qui l’écoute en souriant ; plus loin, un jardin où on voit deux amants couchés sous un berceau ; derrière eux, un guerrier qui paraît plein d’indignation.

 

 

GALLOCHE

 

IXe chant.

 

          Les remparts de Paris couverts d’une multitude de malheureux que la faim a desséchés, et qui ressemblent à des ombres ; une divinité brillante qui conduit Henri IV par la main ; les portes de Paris par terre ; le peuple à genoux dans les rues.

 

 

         Ayez la charité de charger Coypel de trois dessins, et Detroy, de quatre. Je chargerai du reste Picard (8), que je crois à La Haye. Ayez la bonté de me mander les estampes que Detroy et Coypel auront choisies. Dites-leur à tous deux que j’aurai incessamment l’honneur de leur écrire.

 

         On m’a fait les honneurs de Bruxelles à merveille : on vient de me mener dans le plus beau b….l. de la ville, et voici les vers que j’y ai faits :

 

 

L’Amour, au détour d’une rue,

M’abordant d’un air effronté,

M’a conduit en secret dans ce bouge écarté.

J’ai d’abord sur un lit trouvé la Volupté

Sans jupe ; elle était belle, et fraîche, et fort dodue.

La nymphe avec lubricité

M’a dit : Je t’offre ici ma beauté simple et pure,

Des plaisirs sans chagrin, des agréments sans fard.

L’Amour est en ces lieux enfant de la nature,

Partout ailleurs il est enfant de l’art.

 

 

 

1 – Cette lettre manque. (G.A.)

2 – Par L. Racine, 1722. (G.A.)

3 – Toujours Beauregard. (G.A.)

4 – Premier peintre du roi. (G.A.)

5 – Autre peintre, mort en 1761. (G.A.)

6 – Autre peintre, mort en 1752. (G.A.)

7 – Devenu le VIIe, et ainsi jusqu’au IXe, devenu le Xe. (G.A.)

8 – Dessinateur et graveur. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

A La Haye, ce 2 Octobre 1722.

 

          Je reçois ce vendredi votre lettre et me hâte d’y faire réponse, afin que vous sachiez tout au plus tôt combien elle m’a fait de plaisir et combien je vous suis obligé. Je ne me lasse point de donner de l’exercice à votre amitié. Premièrement, je vous prie de répandre que je n’ai été en Hollande que pour y prendre des mesures sur l’impression de mon poème et point du tout pour y voir M. Rousseau.

 

         Si vous pouvez m’acheter un excellent cheval de course, de la valeur de 200 ou 250 livres, pour le 12 de ce mois, vous me ferez un plaisir infini. Vous n’avez qu’à charger de cette commission les mêmes qui ont vendu mes chevaux ; Gaudin pourra fort bien me rendre ce service. Assurez-le, je vous prie, de ma reconnaissance et de mon amitié pour toute ma vie.

 

          J’ai vu Picard, qui est chargé d’affaires pour un an ; ainsi je ne compte point du tout sur lui. Ayez donc la bonté de distribuer les quatre autres estampes aux meilleurs graveurs de Paris.

 

          Je ne conçois pas comment ma lettre à M. le cardinal (1) a pu transpirer ; elle n’était faite ni pour être publique, ni pour être approuvée de messieurs du café. Je viens d’achever un ouvrage d’un autre genre (2), que je vous montrerai à mon retour, et dont je ne peux vous rien dire à présent. Les cafés ne verront pas celui-là, sur ma parole. Si vous n’avez pas déjà mis à la poste le poème de M. Racine, envoyez-le moi sous l’enveloppe de M. de Chambéry, ministre de France auprès des états généraux, à La Haye.

 

          Je ne vous mande rien de ce que j’ai fait et vu en ce pays-ci. Je réserve tout cela pour les entretiens que nous aurons ensemble à Paris ; j’y serai au plus tard le 14. Je monte ici tous les jours à cheval, je joue à la paume, je bois du vin de Tokai, je me porte si bien que j’en suis étonné. Je compte faire le voyage en poste sur mes maigres fesses. Ecrivez-moi, et priez Dieu que j’aie de bons chevaux sur la route. Si vous pouvez savoir ce qu’on donne en France d’un escalin, d’un florin, d’un patagon, d’un ducat, d’une pistole d’Espagne, vous me ferez grand plaisir de me le mander au plus juste. − Adieu, mon cher ami ; la poste va partir.

 

 

1 – Au cardinal Dubois. Voyez plus haut. (G.A.)

2 – Sans doute, l’Epître à Uranie. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières

A La Haye, 7 Octobre.

 

          Votre lettre a mis un nouvel agrément dans la vie que je mène à La Haye. De tous les plaisirs du monde je n’en connais point de plus flatteur que de pouvoir compter sur votre amitié. Je resterai encore quelques jours à La Haye pour y prendre toutes les mesures nécessaires sur l’impression de mon poème (1), et je partirai lorsque les beaux jours finiront. Il n’y a rien de plus agréable que La Haye, quand le soleil daigne s’y montrer. On ne voit ici que des prairies, des canaux, et des arbres verts ; c’est un paradis terrestre depuis La Haye jusqu’à Amsterdam. J’ai vu avec respect cette ville, qui est le magasin de l’univers. Il y avait plus de mille vaisseaux dans le port. De cinq cent mille hommes qui habitent Amsterdam il n’y en a pas un d’oisif, pas un pauvre, pas un petit-maître, pas un insolent. Nous rencontrâmes le Pensionnaire à pied, sans laquais, au milieu de la populace. On ne voit là personne qui ait de cour à faire. On ne se met point en haie pour voir passer un prince. On ne connaît que le travail et la modestie. Il y a à La Haye plus de magnificences et plus de société par le concours des ambassadeurs. J’y passe ma vie entre le travail et le plaisir, et je vis ainsi à la hollandaise et à la française. Nous avons ici un opéra détestable ! Mais, en revanche, je vois des ministres calvinistes, des arminiens, des sociniens, des rabbins, des anabaptistes, qui parlent tous à merveille, et qui, en vérité, ont tous raison. Je m’accoutume tout à fait à me passer de Paris, mais non pas à me passer de vous. Je vous réitère mon engagement de venir vous trouver à la Rivière (2), si vous y êtes encore au mois de novembre. N’y restez pas pour moi, mais souffrez seulement que je vous y tienne compagnie, si votre goût vous fixe à la campagne pour quelque temps. Permettez-moi de présenter mes respects à M. de Bernières et à tout ce qui est chez vous.

 

          Je suis toujours avec un dévouement très respectueux, etc.

 

 

1 – Toujours la Henriade. (G.A.)

2 – La Rivière-Bourdet. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

A La Haye, 8 Octobre 1722 (1).

 

          Vous avez dû recevoir deux lettres de moi, et voici la troisième depuis huit jours. Je viens de recevoir le poème de Racine (2) et votre lettre du 4 Octobre. Je ne crois pas que je fasse ici rien imprimer que mon poème. Je reviendrai incessamment à Paris avec les souscriptions (3). Je vous ai parlé d’un cheval de vingt pistoles. Si vous avez besoin d’argent, prenez dis pistoles pour vous, et gardez-m’en dix pour moi, à mon retour. Mandez-moi si vous entendez encore parler de la lettre au cardinal Dubois, et ce que l’on dit de moi. Assurez, je vous prie, mademoiselle Lecouvreur de mon estime et de mon amitié. Ne dites de mes vers à personne (4). Envoyez à la présidente (5) cette lettre que vous cachèterez et dont vous mettrez le dessus.

 

         Je vous écris très peu de chose, parce que j’ai beaucoup à vous dire. J’ai une extrême impatience de vous entretenir ; ce qui m’importe actuellement davantage, c’est de savoir précisément où est l’homme en question (6). Remerciez toujours Godin (7) bien tendrement de ma part ; il doit compter sur ma reconnaissance pour jamais. Nous parlerons à mon retour de Rousseau et des ministres réformés. Je commence à détester nos protecteurs, autant que je les aimais, par l’espérance où j’étais qu’ils nous feraient du bien.

 

          Ecrivez-moi à Bruxelles, chez madame de Rupelmonde.

 

 

1 – Editée par MM. de Cayrol et François. (G.A.)

2 – La Grâce, par Louis Racine. (G.A.)

3 – Voyez notre Avertissement en tête de la Henriade. (G.A.)

4 – Sans doute l’Epître à Uranie. (G.A.)

5 – Madame de Bernières. (G.A.)

6 – Beauregard. (G.A.)

7 – Astronome, alors âgé de dix-huit ans. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

A Marimont (1), ce 27….

 

          Chemin faisant, mon cher ami, je vous remercie de vos soins, de vos réflexions et surtout de votre tendre amitié. Je serai samedi à Paris. Je me flatte de souper avec vous. Souvenez-vous, je vous en prie, que je vous ai prié de vous informer si on était à Saint-Firmin. Si Gaudin m’achète un cheval, j’ai une selle. J’ai peur d’arriver avec une selle sans trouver de cheval. Je ferai comme Chapelle, qui prenait des bottes pour aller par le coche.

 

 

1 – Près Mons. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle ***

A Cambrai, ce 30 Octobre (1).

 

          Mademoiselle, je me souviens avec trop de plaisir de l’honneur que j’ai eu de vous voir dans cette ville, pour n’y point profiter de la permission que vous m’avez donnée de vous écrire. Souffrez que je vous dise avec ma franchise ordinaire, que je n’ai jamais trouvé personne qui eût plus d’esprit et d’agrément que vous, et qui fût plus faite pour réussir dans la bonne compagnie. Ne regardez point ce que je vous dis comme un discours flatteur, mais comme les expressions d’un homme vrai, qui souhaite infiniment que vous cultiviez l’esprit que la nature vous a donné, et que vous en fassiez bientôt et longtemps usage à Paris. Ce sera une grande satisfaction pour moi si je peux vous y faire ma cour. En attendant, je vous supplie de m’honorer de quelques-uns de vos ordres. Quand vous voudrez avoir ou des livres ou toute autre chose en quoi je pourrai vous servir, ayez la bonté de vous adresser à moi ; vous serez servie avec l’empressement que vous devez attendre de vos courtisans.

 

          Je prends la liberté, mademoiselle, de mettre dans cette lettre le projet d’un ouvrage qui doit paraître bientôt. Je serai infiniment flatté si ce projet vous donne quelque curiosité, et si l’ouvrage a un jour votre approbation. Si vous avez quelques avis à me donner, je demeure à Paris, à l’hôtel de Richelieu. Je suis, avec une estime très respectueuse, mademoiselle, votre, etc. VOLTAIRE.

 

 

1Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

Au Bruel.

 

         J’arrive au Bruel, et j’en pars. Tandis qu’on me botte, je vous écris. J’ai lu, à Orléans, la réponse à l’abbé Houteville (1), qui me paraît bien plus écrite contre la religion que contre cet abbé. Je ne sais pas pourquoi vous méprisez ce livre. Je vous en parlerai plus en détail dans ma première épître.

 

          Je vous prie de faire imprimer et distribuer le projet en question, et de délivrer des souscriptions aux libraires. Je n’en donnerai à mes amis qu’à mon retour. Ayez la bonté de conserver votre goût pour la peinture et pour la gravure (2), et de hâter le pinceau de Coypel, par les éloges peu mérités que vous lui donnez quand vous le voyez.

 

          Je rôde, dans la Sologne, à la piste de l’homme en question (3). Cependant j’ai chargé Demoulin (4) de poursuivre criminellement l’affaire, afin que, si je ne puis avoir raison par moi-même, la justice me la fasse.

 

 

1 – Lettres critiques de Desfontaines sur la Vérité de la religion chrétienne, par l’abbé Houteville. (G.A.)

2 – C’est-à-dire qu’il surveille avec soin les gravures destinées à la Henriade. (G.A.)

3 – Toujours Beauregard. (G.A.)

4 – Marchand de blés, beau-frère de l’ancien commis du père de Voltaire, Germain Dubreuil. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

 

 

          Vous m’inquiétez beaucoup, mon cher ami, de ne me point donner de vos nouvelles ; mon amitié en est alarmée. Je crains que vous ne soyez malade ; éclaircissez-m’en au plus vite. Je ne serai pas longtemps au Bruel. Je voudrais bien que quelque bon emploi vous eût nouvellement occupé et empêché de penser à moi ; je vous pardonnerais votre négligence par le plaisir que j’aurais d’apprendre que MM. Pâris auraient enfin fait quelque chose pour vous. Ecrivez-moi donc un peu touchant vos affaires et les miennes ; vous savez qu’elles nous sont communes. Vous devez vous porter à merveille, car je jouis d’une santé parfaite.

 

         Au Bruel, par Orléans, ce mercredi.

 

 

 

à M. Thieriot

 

          Je pars du Bruel ; je vais passer un jour à la Source (1), chez milord Bolingbroke, et de là à Ussé, en poste. Faites en sorte, mon cher ami, que j’y trouve une lettre de vous, qui m’apprenne que les Pâris vous ont donné quelque bon emploi. Je suis très surpris qu’on vous ait préféré, comme vous me le dites, un fils de m… Il me semble qu’on devrait avoir plus d’égard aux gens qui exercent qu’aux enfants de ceux qui ont eu cette dignité. Raillerie à part, j’écrirai une épître chagrine aux Pâris, s’ils ne vous donnent rien. Ce que vous me mandez touchant le cardinal Dubois est fort raisonnable. Je m’occupe à présent à adoucir dans mon poème les endroits dont les vérités trop dures révolteraient les examinateurs. Je ferai ce que je pourrai pour avoir le privilège en France ; ainsi vous pouvez répandre qu’il sera imprimé en ce pays-ci, et que les souscripteurs n’ont rien à craindre.

 

          Je vous ai mille obligations des soins que vous prenez pour mes dessins. Si Coypel tarde trop, je crois qu’il serait bon de l’engager à n’entreprendre que deux dessins. Tout est absolument à votre disposition. Je viens de corriger, dans le premier chant, un endroit qui me paraît essentiel. Vous savez que, lorsque Henri IV avait déclaré à Henri III qu’il ne voulait pas aller en Angleterre, Henri III lui répliquait, pour l’y engager. Tout ce dialogue faisait languir la narration. J’ai substitué une image à cette fin de dialogue ; j’ai fait apparaître à mon héros son démon tutélaire, que les chrétiens appellent ange gardien. J’en ai fait le portrait le plus brillant et le plus majestueux que j’ai pu ; j’ai expliqué en peu de vers serrés et concis la doctrine des anges que Dieu nous donne pour veiller sur nous ; cela est, à mon gré, bien plus épique (2). Voilà un beau sujet pour la première vignette ; mais je crains bien que ces vignettes ne nous emportent bien du temps. J’ai corrigé encore beaucoup de morceaux dans les autres chants, surtout dans le quatrième. Je m’occupe un peu, dans la solitude, à régler l’auteur et l’ouvrage ; mais je vous assure qu’il n’y aura jamais rien à corriger aux sentiments que j’ai pour vous.

 

 

1 – Château situé à la source du Loiret. (G.A.)

2 – Tout cela a encore été changé. (G.A.)

 

 

 

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