EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE - Partie 17

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EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE

ou

LE TOMBEAU DU FANATISME.

 

 

 

(Partie 17)

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XV.

 

 

 

Comment les chrétiens se conduisirent avec les Juifs.

Leur explication ridicule des prophètes.

 

 

 

 

         Les chrétiens ne purent jamais prévaloir auprès des Juifs comme auprès de la populace des gentils. Tandis qu’ils continuèrent à vivre selon la loi mosaïque, comme avait fait Jésus toute sa vie, à s’abstenir des viandes prétendues impures, et qu’ils ne proscrivirent point la circoncision, ils ne furent regardés que comme une société particulière de Juifs, telle que celle des saducéens, des esséniens, des thérapeutes. Ils disaient qu’on avait eu tort de pendre Jésus, que c’était un saint homme envoyé de Dieu, et qu’il était ressuscité.

 

          Ces discours, à la vérité, étaient punis dans Jérusalem ; il en coûta même la vie à Etienne, à ce qu’ils disent ; mais ailleurs cette scission ne produisit que des altercations entre les Juifs rigides et les demi-chrétiens. On disputait ; les chrétiens crurent trouver dans les Ecritures quelques passages qu’on pouvait tordre en faveur de leur cause. Ils prétendirent que les prophètes juifs avaient prédit Jésus-Christ ; ils citaient Isaïe, qui disait au roi Achaz :

 

         « Une fille, ou une jeune femme (alma) (1) sera grosse, et accouchera d’un fils qui s’appellera Emmanuel ; il mangera du beurre et du miel, afin qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. La terre que vous détestez sera délivrée de ses deux rois, et le Seigneur sifflera aux mouches qui sont à l’extrémité des fleuves d’Egypte, et aux abeilles du pays d’Assur. Et il prendra un rasoir de louage, et il rasera la tête, le poil du pénil, et la barbe du roi d’Assur.

 

          Et le Seigneur me dit : Prenez un grand livre, et écrivez en lettres lisibles : Maher-salal-has-bas, prenez vite les dépouilles. Et j’allai coucher avec la prophétesse, et elle fut grosse, et elle mit au monde un fils, et le Seigneur me dit : Appelez-le Maher-salal-has-bas, prenez vite les dépouilles. »

 

          Vous voyez bien, disaient les chrétiens, que tout cela signifie évidemment l’avènement de Jésus-Christ. La fille qui fait un enfant, c’est la vierge Marie ; Emmanuel et prenez vite les dépouilles, c’est notre Seigneur Jésus. Pour le rasoir de louage avec lequel on rase le poil du pénil du roi d’Assur, c’est une autre affaire. Toutes ces explications ressemblent parfaitement à celle de milord Pierre dans le conte du Tonneau de notre cher doyen Swift.

 

          Les Juifs répondaient : Nous ne voyons pas si clairement que vous, que prenez-vite les dépouilles et Emmanuel signifient Jésus, que la jeune femme d’Isaïe soit une vierge, et qu’Alma, qui exprime également fille ou jeune femme, signifie Maria ; et ils riaient au nez des chrétiens.

 

          Quand les chrétiens disaient, Jésus est prédit par le patriarche Juda ; car le patriarche Juda devait lier son ânon à la vigne, et laver son manteau dans le sang de la vigne ; et Jésus est entré dans Jérusalem sur un âne ; donc Juda est la figure de Jésus, alors les Juifs riaient encore plus fort de Jésus et de son âne.

 

          S’ils prétendaient que Jésus était le Silo qui devait venir quand le sceptre ne serait plus dans Juda, les Juifs les confondaient, en disant que depuis la captivité en Babylone, le sceptre ou la verge d’entre les jambes n’avait jamais été dans Juda, et que du temps même de Saül la verge n’était pas dans Juda. Ainsi les chrétiens, loin de convertir les Juifs, en furent méprisés, détestés, et le sont encore. Ils furent regardés comme des bâtards qui voulaient dépouiller le fils de la maison, en prétextant de faux titres. Ils renoncèrent donc à l’espérance d’attirer les Juifs à eux, et s’adressèrent uniquement aux gentils.

 

 

 

 

1 – Par quelle impudente mauvaise foi les christicoles ont-ils soutenu qu’alma signifiait toujours vierge ? Il y a dans l’ancien Testament vingt passages où alma est pris pour femme et même pour concubine, comme dans le Cantique des cantiques, ch. VI ; Joël, ch. 1. Jusqu’à l’abbé Trithème, il n’y a eu aucun docteur de l’Eglise qui ait su l’hébreu, excepté Origène Jérôme et Ephrem, qui étaient du pays. (Voltaire. (1771).

 

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