Correspondance avec le roi de Prusse - Année 1777 - Partie 141

Publié le par loveVoltaire

Correspondance avec le roi de Prusse - Année 1777 - Partie 141

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549 – DU ROI

 

 

Le 13 auguste 1777.

 

 

 

          Je reçois vos deux jolies lettres la veille de mon départ pour la Silésie, de sorte que je me hâte de vous répondre. J’avais cru que les oracles étant, dans leur origine, rendus en vers, Apollon inspirait tous les poètes ; mais il n’inspire que les Voltaire et les Virgile, et les poètes obotrites prédisent de travers, comme il m’est quelquefois arrivé. Je dis tant pis pour l’empereur s’il ne vous a pas vu : des ports de mer, des vaisseaux, des arsenaux, se trouvent partout ; mais il n’y a qu’un Voltaire que notre siècle ait produit, et quiconque a pu l’entendre et ne l’a pas fait en aura des regrets éternels ; mais j’ai appris de bonne part, de Vienne, que l’impératrice a défendu à son fils de voir le vieux patriarche de la tolérance.

 

          Les Suisses font sagement de réformer leurs lois, si elles sont trop sévères (1) : cela est déjà fait chez nous : j’ai aussi médité sur cette matière pour ma propre direction ; j’ai même barbouillé quelque bagatelle sur le gouvernement, que je vous enverrai à mon retour sous le sceau du secret. S’il s’agit de contribuer au bien public, aux progrès de la raison, je m’y prêterai avec plaisir. La banque vous fera passer par Neuchâtel l’argent nécessaire pour le prix proposé par messieurs les Suisses. Tout homme doit s’intéresser au bien de l’humanité.

 

          Vous savez que je ne me suis jamais rendu garant du duc de Virtemberg ; je le connais pour ce qu’il est. Si vous croyez que mon intercession puisse vous être utile (2), j’écrirai volontiers à ce prince, quoique vous sachiez tout comme moi qu’à l’exemple des grandes puissances il a embrouillé le système de ses finances de telle sorte, que peut-être ses arrière-héritiers seront occupés à payer ses dettes. J’attends votre réponse sur cet article.

 

          Je pars pour la Silésie, où je m’occuperai de la justice, qui veut être veillée et surveillée ; j’aurai des arrangements de finance à prendre, des défrichements à examiner, des affaires de commerce à décider, des troupes à voir, et des malheureux à soulager : je ne pourrai finir ma tournée que vers le 4 ou le 5 du mois prochain, vers lequel temps je me flatte d’avoir votre réponse. Si ma lettre est courte, ne l’attribuez qu’au voyage que je dois faire. Il faudrait avoir le cerveau bien desséché et bien stérile, pour manquer de matière quand on écrit à Voltaire, surtout quand on chérit ses ouvrages, et l’estime autant que le fait le philosophe de Sans-Souci. Vale. FÉDÉRIC.

 

 

 

1 – Voltaire lui avait écrit pour qu’il envoyât quelque argent de Berne où l’on ouvrait un concours sur la réforme des lois criminelles. Voyez notre Avertissement sur le Prix de la justice et de l’humanité. (G.A.)

2 – Voltaire voulait que le prince lui remboursât le capital prêté. (G.A.)

 

 

 

 

 

550 – DU ROI

 

 

A Potsdam, le 5 Septembre 1777.

 

 

 

          Vous aurez sûrement reçu à présent le prix destiné en Suisse à celui qui aura le mieux apprécié la justesse des punitions : mais il me semble que M. Beccaria n’a guère laissé à glaner après lui. Il n’y a qu’à s’en tenir à ce qu’il a si judicieusement proposé. Dès que les peines sont proportionnées au délit, tout est en règle.

 

          Je ne m’étonne point de ce qu’on fait en Espagne : on y rétablit l’inquisition, on se gendarme contre le bon sens, en un mot, on y fait des sottises. Au lieu du philosophe d’Aranda, c’est un confesseur, ou capucin, ou cordelier (1), qui gouverne le roi (2) : ex ungue leonem.

 

          Je reviens de la Silésie, dont j’ai été très content : l’agriculture y fait des progrès très sensibles ; les manufactures prospèrent ; nous avons débité à l’étranger pour cinq millions de toile, et pour un million deux cent mille écus de drape. On a trouvé une mine de cobalt dans les montagnes, qui fournit à toute la Silésie. Nous faisons du vitriol aussi bon que l’étranger. Un homme fort industrieux y fait de l’indigo tel que celui des Indes ; on change le fer en acier avec avantage, et bien plus simplement que de la façon que Réaumur le propose. Notre population est augmentée, depuis 1756 (qui était l’année de la guerre), de cent quatre-vingt mille âmes. Enfin, tous les fléaux qui avaient abîmé ce pauvre pays sont comme s’ils n’avaient jamais été, et je vous avoue que je ressens une douce satisfaction à voir une province revenir de si loin.

 

          Ces occupations ne m’ont point empêché de barbouiller mes idées sur le papier, et, pour épargner la peine de les transcrire, j’ai fait imprimer six exemplaires de mes rêveries : je vous en envoie un. Je n’ai eu que le temps de faire une esquisse ; cela devrai être plus étendu ; mais c’est à de vrais savants à y mettre la dernière main. Messieurs les encyclopédistes ne seront peut-être pas toujours de mon avis : chacun peut avoir le sien. Toutefois, si l’expérience est le plus sûr des guides, j’ose dire que mes assertions (3) sont uniquement fondées sur ce que j’ai vu et sur (4) ce que j’ai réfléchi.

 

          Vivez, patriarche des êtres pensants, et continuez, comme l’astre de la lumière, à éclairer l’univers. Vale. FÉDÉRIC.

 

 

1 – Le père Romuald, capucin allemand. (G.A.)

2 – Edition de Berlin : « Et la monarchie. » (G.A.)

3 – Sur les formes du gouvernement. (G.A.)

4 – Edition de Berlin : « Et sur mes réflexions. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Frédéric de Prusse

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