Correspondance - Année 1776 - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

Correspondance - Année 1776 - Partie 1

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à M. Fabry.

 

2 Janvier 1776.

 

 

          Je reçois, monsieur, de tous côtés des nouvelles du pays de Gex, mais aucune de Paris. Le pays de Gex m’instruit que le parlement de Dijon a enregistré nos lettres patentes avec des modifications, que tous les commis des bureaux sont partis, et que les fermiers-généraux nous refusent du sel. Mais comme il est impossible que depuis le 22 décembre on ait eu le temps de faire sceller la déclaration du roi en cire jaune, de l’envoyer à Dijon, et de la faire revenir de Dijon à Gex, je ne dois pas ajouter beaucoup de foi à tout ce qu’on écrit de ce pays-là.

 

          On me mande aussi que deux personnages du pays ont comploté de m’empoisonner dans du vin de liqueur. Je n’en bois point, et je ne me tiens pas pour empoisonnable.

 

          Si vous avez, monsieur, quelque nouvelle un peu moins incertaine, je vous serai très obligé de m’en faire part. Pour moi, je n’ai rien de M. Turgot, ni de M. de Trudaine, ni de leur ayant-cause. Je les crois tous plus occupés des affaires du royaume que de celles de notre souricière. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

3 Janvier 1776.

 

 

          J’ai l’honneur de vous envoyer, monsieur, la lettre de M. de Trudaine du 25, par laquelle vous verrez combien j’ai insisté pour une diminution.

 

          La déclaration du roi doit être actuellement au parlement. Vous voyez que rien n’était plus mal fondé que tous les bruits qui ont couru dans le pays de Gex ; ils n’approchent guère de ma retraite ; on n’y entend que les éloges de votre administration, et les expressions de tous les sentiments avec lesquels toute notre maison vous est attachée. Je regarde la liberté du pays comme consommée.

 

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

4 Janvier 1776.

 

 

          Je puis vous assurer, monsieur, que je n’ai jamais entendu parler du mémoire des douze notables dont vous faites mention dans votre lettre d’hier. Vous savez que je passe ma vie dans la plus grande solitude ; je ne sors de ma chambre que pour aller manger un morceau avec madame Denis : je lui ai demandé en général si jamais elle avait entendu parler d’un mémoire signé par douze personnes à Gex ; elle n’en a pas eu la moindre connaissance.

 

          Je reçus hier, monsieur, une lettre de M. de Fargès, intendant des blés du royaume, de la part de M. de Turgot ; il me mande, comme M. de Trudaine, que la déclaration du roi doit être actuellement entre les mains du parlement de Dijon. Je crois qu’il ne sera pas difficile à M. l’intendant et à vous, monsieur, de faire contribuer tous les habitants du pays de Gex, puisque tous les habitants profiteront de la liberté qu’on leur donne : un tel arrangement est si juste, que je ne vois pas comment on pourrait s’y refuser ; j’en dirais un petit mot en qualité de commissionnaire des états. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

P.S. – J’apprends, monsieur, que, malgré les ordres précis donnés par M. le contrôleur général à la ferme de retirer sans délai leurs employés du pays de Gex, ils ont pourtant encore l’insolence de saisir et de conduire en prison tous ceux qu’ils rencontrent avec des marchandises permises : cette abominable tyrannie n’est pas concevable. Nous payons trente mille francs à la ferme, du 1er janvier ; donc nous sommes libres du 1er janvier ; dont on ne doit regarder que comme des assassins les scélérats qui, à la faveur d’une ancienne bandoulière, viennent voler sur les grands chemins et dans les maisons les sujets du roi. Il me semble qu’il faut faire sortir de prison ceux qu’on y a si injustement conduits hier, et y mettre à leur place les coquins qui ont osé les arrêter.

 

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

5 Janvier 1776.

 

 

          Si vous avez le temps, monsieur, de m’écrire un mot au milieu des occupations dont vous devez être surchargé, je vous supplie de vouloir bien m’instruire si le bureau de Versoix a reçu des ordres de déguerpir, ainsi que tous les autres. Voilà enfin notre grande affaire consommée ; il ne nous reste plus qu’à payer trente mille livres aux soixante colonnes de l’Etat, et je vous réponds qu’il n’y a personne dans la province qui n’y contribue de bon cœur.

 

 

 

 

 

à M. Turgot.

 

Ferney, 8 Janvier 1776.

 

 

          Monseigneur, un petit peuple devenu libre par vos bienfaits, ivre de joie et de reconnaissance, se jette à vos pieds pour vous remercier.

 

          Je vous demanderai la permission d’implorer quelquefois votre protection et vos ordres en faveur de quelques personnes qui méritent bien vos bontés. Il y a, par exemple, le sieur Sédillot, ci-devant receveur du grenier à sel, lequel s’est conduit dans cette affaire avec un désintéressement inouï ; il a préféré hautement, dans l’assemblée des états, l’affranchissement de son pays à son intérêt particulier. Il y a le procureur du roi, nommé Rouph, pourvu anciennement de l’office de contrôleur du grenier à sel, homme de mérite, grand cultivateur, et chargé de dix enfants.

 

          En attendant, je vous supplie de vouloir bien jeter un coup d’œil sur le mémoire ci-joint (1), seulement pour vous amuser, supposé que vous en ayez le temps. J’ai tâché, dans ce mémoire, de vous deviner ; mais je ne suis capable que de sentir vos bienfaits, et de vous témoigner mon inutile respect, mon inutile reconnaissance, mon inutile attachement. LE VIEUX MALADE DE FERNEY.

 

 

1 – Voyez, Mémoire à M. Turgot. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Chabanon.

 

A Ferney, 8 Janvier 1776.

 

 

          Lorsque vous viendrez souper, monsieur, à Saconnay (1) ou à Ferney, vous ne verrez plus de pandoures des fermes-générales fouillant des religieuses, et troussant leurs cottes sacrées. Ces petits scandales n’arriveront plus dans mon voisinage. Tous les alguazils de notre pays sont partis avec l’étoile des trois rois. Nous sommes libres aujourd’hui comme les Génevois et les Suisses, moyennant une indemnité que nous payons à la ferme-générale. Je ne sais point de plus beau spectacle que celui de la joie publique ; il n’y a point d’opéra qui en approche.

 

          Vous qui aimez M. Turgot, vous auriez été enchanté de le voir béni par dix mille de nos habitants, en attendant qu’il le soit de vingt millions de Français. Il me semble qu’il fait un essai sur notre petite province. Le ministre de la guerre fait, de son côté, des arrangements aussi utiles. L’âge d’or commence ; c’est à vous de le chanter, je n’ai plus de voix ; vox quoque Mœrim deficit. Mes sentiments pour vous ne se ressentent point de ma décrépitude. Madame Denis, qui est presque aussi malade que moi, vous fait mille compliments.

 

 

1 – Où habitait madame de La Chabalerie. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

Janvier 1776.

 

 

          Je suis seul, mon cher monsieur, bien malade, bien empêché, mais bien à votre service. Mon avis serait que chacun se pourvût comme il pût pendant deux ou trois mois, et qu’on tâchât, pendant cet intervalle, d’obtenir une permission particulière du roi  de faire venir du sel de Peccais pour notre consommation. Le refus que vous essuierez nous servira d’appui auprès de sa majesté, et cette dureté des fermiers-généraux pourrait bien servir à les priver de leurs trente mille livres. Je ne désespère de rien. Mille respects.

 

 

 

 

 

à M. le baron d’Espagnac.

 

A Ferney, 11 Janvier 1776 (1).

 

 

          Il n’y a guère d’invalide (2) plus invalide que moi : mais aussi il n’y en a point qui vous soit plus attaché. Je suis pénétré de toutes vos bontés. Serait-ce en abuser que d’oser vous demander s’il est vrai que vous ayez marié M. votre fils à mademoiselle His (3), avec une simple permission du roi, sans être obligé de faire ouvrir une si jolie porte par les clefs de Saint-Pierre ? Un tel exemple contribuerait au bonheur de la France et à la gloire du roi.

 

          Ce n’est pas sans raison, monsieur, que je prends la liberté de m’informer à vous-même si le bruit qui a tant couru, est véritable. J’achève mes jours dans un pays dont toutes les familles soupirent après la liberté qu’on dit que vous avez obtenue. Mais vous méritez des distinctions que d’autres demanderaient peut-être vainement.

 

          Je vous supplie, monsieur, de regarder surtout la question que je vous fais comme l’effet du véritable intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde. Agréez la reconnaissance et le respect avec lesquels je serai jusqu’au dernier moment de ma vie, monsieur, votre, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – D’Espagnac était gouverneur de l’hôtel des Invalides. (G.A.)

3 – Fille d’un grand banquier protestant, Pierre His, de Hambourg. Les éditeurs de cette lettre ont lu Triss. C’est une erreur. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Jaucourt. (1)

 

 

 

          Je vous dois les mêmes remerciements que notre petite province, et je suis très sensible à la bonté que vous avez de me donner part du bien que vous lui faites. Comme messieurs du conseil sont accoutumés à recevoir encore plus de requêtes que d’actions de grâces, je prends la liberté de vous soumettre un placet au roi des fabricants de montres établis à Ferney. Si ce placet vous paraissait, monsieur, mériter quelque attention, je vous supplierais de vouloir bien en parler avec M. le contrôleur général. Tout ce qui est énoncé dans cette requête est très véritable. Nous sommes bien peu de chose, je l’avoue ; mais nous travaillons, nous faisons entrer des espèces dans le royaume, nous y attirons des étrangers, nous peuplons, et nous ne demandons d’autre secours que la liberté d’être utiles.

 

          Quand je dis que nous peuplons, ce n’est pas moi qui parle, ce sont mes colons ; à moi n’appartient tant d’honneur ; mais si je ne fais pas d’enfants, j’en fais faire ; j’ai une multitude de petits garçons que leurs pères ramèneront en Suisse, en Savoie, en Allemagne, s’ils ne sont traités favorablement sur votre frontière. J’oserai donc, monsieur, demander votre protection pour eux et celle de M. de Trudaine. Il n’est pas possible que le conseil rejetât ce que vous approuveriez l’un et l’autre.

 

          Permettez-moi de joindre à la reconnaissance que je vous dois, celle que je conserverai jusqu’au dernier jour de ma vie pour M. de Trudaine et pour mesdames vos filles, qui m’ont honoré de tant de bontés lorsqu’elles ont passé par mes déserts. Je suis affligé de mourir sans venir me mettre à leurs pieds. Agréez le profond respect avec lequel, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Vaines.

 

11 Janvier 1776.

 

 

          Il faut, monsieur, que je vous interrompe un moment. Il faut absolument que je vous dise, au nom de dix à douze mille hommes, combien nous avons d’obligations à M. Turgot, à quel point son nom nous est cher, et dans quelle ivresse de joie nage notre petite province. Je ne doute pas que ce petit essai de liberté et d’impôt territorial ne prépare de loin de plus grands événements. La plus petite province du royaume ne sera pas sans doute la seule heureuse. Je sais bien qu’il y a de fameux déprédateurs qui redoutent la vertu éclairée ; je sais que des fripons murmurent contre le bonheur public ; mais j’espère tout de la fermeté du roi, qui soutiendra son ministre contre une cabale odieuse. Il a déjà confondu cette cabale, quand il a répondu à ses libelles en vous nommant son lecteur. Vous ne pourrez jamais lui faire lire un meilleur ouvrage que ceux auxquels vous travaillez sous les yeux de M. Turgot. Conservez un peu de bienveillance pour votre très humble et très obéissant serviteur. LE VIEUX MALADE.

 

 

 

 

 

 

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