CORRESPONDANCE - Année 1775 - Partie 22

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1775 - Partie 22

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à M. le marquis de Courtivron.

 

A Ferney, le 26 Octobre 1775 (1).

 

 

          Monsieur, une espèce de petite apoplexie m’a empêché de vous remercier plus tôt de votre lettre et de votre mémoire du 1er de ce mois. Je ne suis pas encore si abattu de mon attaque que je ne sente très bien que vous aviez raison contre le président Hénault (2). Vous lui avez pardonné pendant sa vie, vous lui pardonnerez encore après sa mort ces petites faiblesses.

 

Quas humana parum cavit natura…

 

          Je suis tombé souvent dans des fautes plus grossières ; mais je les avoue, et je les corrigerais si les libraires m’en donnaient le temps.

 

          Je voudrais passer le reste de mes jours à mériter votre indulgence et à vous donner des preuves de l’estime respectueuse avec laquelle, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Voyez au 12 octobre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de la Verpillière.

 

A Ferney, 5 Novembre 1775 (1).

 

 

          Madame, n’étant pas assez heureux pour que mes quatre-vingt-deux ans et mes maladies me permettent de venir vous faire ma cour, souffrez que cet honneur et cet avantage ne sortent pas de ma famille. Madame Denis vous présente ses respects et son neveu, qui est mon arrière-neveu : c’est M. d’Hornoy, conseiller au parlement de Paris, qui veut rendre ses hommages à ce qu’il y a de plus respectable dans Lyon, à M. et à madame de La Verpillière. Il vous dira combien toute notre famille vous est dévouée, et avec quel respect j’ai l’honneur d’être votre, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Saint-Julien.

 

6 Novembre 1775 (1).

 

 

          J’élève mon cœur à notre adorable protectrice ; mais je ne puis encore lui débrouiller toutes mes idées ; je vois seulement que les aventures sont rarement mandées de loin comme elles sont arrivées. Je n’ai point eu de forte indigestion : qui ne mange point n’en a point. Un affaiblissement de la nature a été tout mon mal. Je vois heureusement que les sentiments de ma reconnaissance et de mon attachement sont plus forts que jamais.

 

          Je ne suis pas encore trop en état de discuter avec M. le contrôleur général et M. de Trudaine, si trente mille livres sont une somme trop exorbitante pour notre ratière que nous appelons province. L’abbé Morellet m’écrit de la part de M. le contrôleur général que tout ne sera signé et scellé que pour les étrennes. Il faudra tâcher de ne point donner à MM. les fermiers-généraux des étrennes trop fortes, qui nous ruineraient sans ressource. Si c’est M. Turgot qui nous écrase, nous mourrons du moins d’une main bien chère ; mais une plus chère encore nous sauvera, et ce sera la vôtre.

 

          Adieu, madame, le vieux malade oublie tous ses maux en vous écrivant. Il s’occupe actuellement du procès de son commandant, dans lequel vous êtes pour votre petite part. Est-ce M. Turgot qui plaide pour ou contre vous ?

 

P.S. – Savez-vous et sait-on que le père Adam a été pendant sept ans le camarade du préféré ? lequel préféré (2) régenta avec beaucoup de succès depuis la sixième jusqu’à la seconde. Ces sept années se passèrent dans notre voisinage, ce qui rend la chose plus curieuse.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le comte de Saint-Germain, que Louis XVI avait préféré au duc de Choiseul. (A. François.) – Le comte avait été jésuite. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

6 Novembre 1775.

 

 

          Mon cher ange, j’ai été longtemps sans vous écrire ; mais c’est que je n’étais pas en vie. Il est ridicule de tomber dans une espèce d’apoplexie quand on est aussi maigre que je le suis ; cependant j’ai eu ce ridicule. Je trouve que cela est pis que les Fréron et que les Clément.

 

          Madame de Saint-Julien ne tombe ni en apoplexie ni en paralysie, quand il s’agit de faire du bien. Si vous êtes mon ange gardien, elle est un ange qui a des ailes. Mon petit pays et ma colonie lui devront leur salut ; et moi, la consolation du reste de mes jours ; mon cœur est partagé entre vous deux.

 

          Mon d’Etallonde est actuellement auprès du roi de Prusse, qui a fort goûté sa sagesse et sa circonspection. Il peut faire une grande fortune, si on en fait dans ce pays-là. Lekain se plaint de ne l’avoir pas faite ; mais c’est qu’il n’a pas récité les vers du roi, et d’Etallonde sera un de ses bons acteurs dans les pièces que le roi de Prusse peut encore jouer.

 

          Savez-vous qu’un ministre d’Etat qui passe pour un des meilleurs généraux de l’Europe, a été sept ans jésuite dans mon voisinage, et qu’il a régenté depuis la septième jusqu’à la seconde ? On ne perd jamais entièrement le goût des belles-lettres ; il en reste toujours un doux souvenir. M. Turgot a fait sa licence en Sorbonne. Il n’est pas mal qu’un ministre ait tâté de tout. On dit que nous allons avoir l’âge d’or. Vous êtes fait pour cet âge.

 

          Est-il vrai que M. le duc de Choiseul va faire à Vienne le mariage de l’empereur avec madame Elisabeth, après avoir fait celui du roi ? Si la chose est vraie, c’est une fonction digne de lui. Adieu, mon cher ange : soyez toujours heureux, et conservez-moi vos bontés.

 

 

 

 

 

à M. de Vaines.

 

6 Novembre 1775 (1).

 

 

          J’ai reçu, monsieur, ces jours passés une petite tape de la nature qui m’avertit de faire bientôt mon paquet ; mais je ne veux pas faire le voyage sans vous dire auparavant combien je suis pénétré de vos bontés, de votre mérite, de vos succès, et de la gloire avec laquelle vous avez écrasé l’envie. Notre petite province est un peu effrayée des trente mille livres auxquelles M. le contrôleur général la taxe pour l’indemnité des fermiers-généraux, qui n’ont pas besoin d’indemnités. Nous sommes encore trop heureux, quelque cher qu’il nous en coûte. Mais si, dans un de vos travaux avec M. Turgot ou avec M. de Trudaine, vous pouviez lâcher quelques paroles qui réduisissent notre taxe à vingt mille livres, notre petit pays vous serait dix mille fois obligé.

 

          Je crains d’abuser de vos moments ; je finis en vous disant que, si je ne meurs pas, je me ferai député de ma province pour venir vous remercier. Permettez-moi de mettre cette lettre pour M. d’Alembert dans votre paquet.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. des Essarts.

 

6 Novembre 1775.

 

 

          Le solitaire de quatre-vingt-deux ans, à qui M. des Essarts a eu la bonté d’envoyer les choses les plus intéressantes et les mieux écrites, reçut, il y a quelques semaines, un avertissement de la nature, qui le mit hors d’état de faire réponse à M. des Essarts. Il a encore assez de force pour sentir le mérite de ses écrits, qui respirent l’humanité et l’éloquence ; il lui en fait les plus sensibles remerciements, et il le prie de pardonner à son triste état, qui ne lui permet pas de donner plus d’étendue aux expressions de tous les sentiments avec lesquels il a l’honneur d’être son très humble et très obéissant serviteur.

 

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

A Ferney, 12 Novembre 1775.

 

 

          Vous ne vous contentez pas, monseigneur, des bénédictions de la France ; vous étendez vos bontés jusqu’aux frontières de la Suisse. J’étais dans un état assez douloureux, après un de ces petits avertissements que la nature donne souvent aux gens de mon âge, lorsque madame de Rosambo (1) a daigné faire une apparition dans ma retraite avec monsieur votre gendre, et les cousins issus de germain de Télémaque. J’ai vu chez moi deux familles de grands hommes ; et, quoique mon état ne m’ait pas permis de jouir de cet honneur autant que je l’aurais voulu, je me suis senti consolé autant qu’honoré. Vous avez joint à cet avantage, que je vous dois, une lettre charmante, dont vous me permettrez de vous faire les plus sincères et les plus tendres remerciements. Madame de Rosambo est comme vous, monseigneur ; elle porte la consolation partout où elle paraît, elle tient de vous le don d’attirer tous les cœurs autour d’elle.

 

 

          Je crains d’abuser des moments que vous donnez au bien public, en vous parlant des obligations que je vous ai, et de la bonté généreuse avec laquelle vous en avez daigné user envers moi ; mais ces bontés ne sortiront jamais de ma mémoire. J’ai l’honneur d’être avec le plus sincère et le plus profond respect, monseigneur, votre, etc.

 

 

1 – Fille de Malesherbes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. deTrudaine.

 

Ferney, 13 Novembre 1775.

 

 

          Monsieur, daignez, au milieu de vos grandes occupations, recevoir mes très humbles remerciements, et souffrez qu’ils soient accompagné d’un Mémoire dont on vient de me charger. Je vous supplie de vouloir bien le lire. Mais je vous supplie avec bien plus d’instance d’être persuadé de la soumission, du respect, et de la reconnaissance avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

A Ferney, 13 Novembre 1775.

 

 

          J’ai une étrange prière à vous faire : il y a dans Lyon un ex-jésuite nommé Fessi, dont le père (qui s’appelait originairement M. Fesse, banquier dans votre ville), changea son nom en Fessi, dès que son fils fut jésuite.

 

          Ce M. Fessi, homme d’environ soixante-dix ans, demeure à Lyon chez sa sœur, qui s’appelle mademoiselle Meinard.

 

          Il s’agit de savoir de ce Fessi s’il est vrai que cet ex-jésuite ait eu autrefois l’avantage d’être le camarade de ce brave officier M. de Saint-Germain, devenu aujourd’hui ministre de la guerre avec l’applaudissement de toute la France.

 

          Frère Adam soutient qu’en effet M. de Saint-Germain, dans sa grande jeunesse, se fit jésuite, et régenta les basses classes avec père Fessi, à Dôle, en Franche-Comté.

 

          Je vous demande en grâce d’employer le vert et le sec, et toute votre industrie, pour vous informer de la vérité ou de la fausseté de cette anecdote. Vous trouverez aisément dans Lyon l’ex-jésuite Fessi. Je vous demande bien pardon ; mais la chose mérite assurément votre curiosité. Adieu, mon cher ami : je suis toujours dans un triste état.

 

 

 

 

 

à M. Tabareau.

 

Ferney, 14 Novembre 1775 (1).

 

 

          Pardon, monsieur, une maladie, qui a été mêlée d’une petite attaque d’apoplexie ; m’a empêché de vous remercier de vos anémones et de vos renoncules ; mais il n’y a point d’apoplexie qui puisse éteindre dans moi ma reconnaissance.

 

          Je me flatte que vous voudrez bien ordonner qu’on rembourse les frais chez M. Sherer. J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, etc. Le vieux malade de Ferney.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

A Ferney, 14 Novembre 1775.

 

 

          Une petite apoplexie, mon cher ami, laquelle m’a dérangé le corps et l’âme, m’a empêché de répondre plus tôt à votre lettre de Fontainebleau, du 29 octobre. Je suis persuadé que vous aurez pour vos étrennes des nouvelles du héros dont vous me parlez, et ce n’est pas sans vraisemblance que je conçois cet espoir. Comptez que des talents comme les vôtres ne sont jamais oubliés par ceux qui sont capables de les sentir.

 

          Vous n’avez point fait l’ambassade de Sosie (1) : vous avez été fêté, admiré, et même noblement récompensé par le prince Henri. Vous avez dû, à votre retour, briller à Fontainebleau ; et Paris sera toujours le théâtre de votre gloire. Je n’en serai pas le témoin ; je sens bien que je ne vous verrai plus. Je m’intéresserai à vous jusqu’à mon dernier moment ; l’état où je suis ne me permet pas de vous en dire davantage. Je vous embrasse de mes très faibles mains.

 

 

1 – Voyez Amphitryon, act. I, sc. II. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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