CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 6

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à M. Vasselier.

 

Le 28 Mars 1772.

 

 

          Premièrement, le cher correspondant est supplié de s’informer du jeune Chazin, écolier de rhétorique qui paraît avoir quelques talents, et qui a écrit une lettre si bien faite, que le vieux malade lui a répondu, quoiqu’il ne réponde à personne, et qu’on lui envoie un petit livre tout de poésie, pour le mettre un peu au fait.

 

          Secondement, voici bien une autre histoire : la pièce de l’avocat Duroncel a été lue aux comédiens, qui en ont été émerveillés, et qui l’ont reçue avec acclamation. On ne sait encore s’ils pourront la jouer immédiatement après Pâques, parce qu’ils ont donné parole à M. de Belloy, et qu’ils ont appris déjà sa tragédie de Don Pèdre. Un ami de M. Duroncel s’est chargé de cette négociation  on attend des nouvelles de cet ami : ainsi il faudra absolument que Rosset attende ces nouvelles pour imprimer. Il ne s’agit que de huit ou dix jours ; c’est un présent qu’on lui fait, et il doit se conformer aux intentions de ceux qui le lui font : à cheval donné on ne regarde pas la bride, dit Cicéron.

 

          Au reste, il y a de bien bonnes notes à faire à la queue de cette tragédie, à commencer par les sacrifices de sang humain qu’ont faits si souvent les Juifs, tantôt à leur Adonaï, tantôt à Moloch, tantôt à Melkom : mais ces notes doivent édifier les fidèles dans une autre édition.

 

          On embrasse tendrement le cher correspondant.

 

 

P.S. – M. Duroncel, à qui j’ai communiqué votre lettre du 27, dit que vous êtes le maître absolu de la facétie à vous envoyée, que tout ce que vous ferez sera très bien fait. Pour moi, je trouve que les druides d’aujourd’hui sont aussi fripons que les anciens. Je suis sûr qu’ils brûleraient tous les philosophes dans des statues d’osier, s’ils le pouvaient. Je ne sais pas quels monstres sont les plus abominables, ou ceux du temps passé, ou ceux du temps présent.

 

 

 

 

 

à M. Gabard.

 

A Ferney, 28 Mars 1772.

 

 

          Je prie l’homme très avisé qui a quitté sagement la Pologne pour M. Hennin, de vouloir bien mettre dans son paquet ce petit mot d’un vieux malade qui n’en peut plus, et qui n’en est pas moins sensible au souvenir de l’aimable résident.

 

          Il n’y a pas grand mal que le paquet dont M. Hennin avait bien voulu se charger ne lui ait pas été rendu en son temps ; il ne contenait que des balivernes. Ce sera un plaisir très sérieux pour le vieux malade et pour madame Denis quand ils auront l’honneur de recevoir l’homme du monde à qui ils sont le plus attachés, et dont ils connaissent tout le mérite.

 

 

 

 

 

à M. Christin.

 

30 Mars 1772.

 

 

          Mon cher philosophe, nous avons lu et traduit l’acte de magister Andreas Bauduyni, qu’un de vos habitants de Longchaumois m’a apporté. Nous avons trouvé que cet acte est un peu équivoque, et peut-être serait plus dangereux que profitable à nos pauvres esclaves. On les appelle taillables dans ces actes, et on les relève seulement de l’obligation où ils étaient de payer certaines redevances onéreuses.

 

          Il est vrai qu’on trouve dans cet écrit les mots de liberté et de franchise ; mais je crains que cette liberté et cette franchise regardent seulement les petites impositions annuelles dont on les délivre, et ne les laissent pas moins soumis à cette infâme taillabilité de servitude qui est l’opprobre de la nature humaine. C’est aux moines d’être esclaves, et non d’en avoir. Les hommes utiles à l’Etat doivent être libres ; mais nos lois sont aussi absurdes que barbares. Douze mille hommes esclaves de vingt moines devenus chanoines ! cela augmente la fièvre qui me tourmente ce printemps. Je n’aurai point de santé cette année. Je crains bien de mourir en 1772 ; c’est l’année centenaire de la Saint-Barthélemy. Venez faire vos pâques à Ferney, mon cher philosophe. Je vous embrasse bien tendrement.

 

 

 

 

 

à M. Seignette.

 

Mars 1772.

 

 

          Monsieur, accablé de maladies et ayant presque entièrement perdu la vue, c’est une grande consolation pour moi, dans le triste état où je suis, de recevoir votre prose et les vers de M. Fontanes (1), mon confrère ; mais c’est une nouvelle douleur pour moi de n’y pouvoir répondre comme je le voudrais.

 

          Daignez, messieurs, agréer tous deux mes remerciements. Les vers sont beaux, et pleins de ce feu qui annonce le génie. Moins j’en suis digne, plus j’y suis sensible. Mes souffrances, qui ne me permettent pas de donner plus d’étendue à l’expression de mes sentiments, n’en diminuent point la vivacité.

 

 

1 – Mort en 1821. Il avait alors dix-sept ans ; il était membre de l’Académie des belles-lettres de La Rochelle, dont Voltaire faisait aussi partie ; il venait de publier une Epître au patriarche. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

1er Avril 1772.

 

 

          Mon cher ange a sans doute reçu la lettre écrite au quinqué (1) ; et je ne puis rien ajouter au verbiage de M. Duroncel. Vraiment je vous enverrai tant de neuvièmes (2) que vous voudrez, mais comment, et par où ? Les clameurs commencent à s’élever, et il y a des personnes qui n’osent pas voyager. Si vous ne trouvez pas une voie, vous qui habitez la superbe ville de Paris, comment voulez-vous que j’en trouve, moi qui suis chez les Antipodes, dans un désert entouré de précipices ?

 

          Vous m’avez ôté un poids de quatre cents livres qui pesait sur mon cœur, en me disant que M. d’Albe (3) avait toujours de la bonté pour moi ; mais ce n’est pas assez ; et je mourrai certainement d’une apoplexie foudroyante, s’il n’est pas persuadé de mon inviolable attachement, et de la reconnaissance la plus vive que ce cœur oppressé lui conserve. L’idée qu’il en peut douter me désespère. Je l’aime comme je l’ai toujours aimé, et autant que j’ai toujours détesté et méprisé des monstres noirs et insolents, ennemis de la raison et du roi.

 

          Florian (4), qui pleurait ma nièce, et qui est venu chez moi toujours pleurant, a trouvé dans la maison une petite calviniste assez aimable (5), et au bout de quinze jours il est allé se faire marier vers le lac de Constance par un ministre luthérien. Ce mariage-là n’est pas tout à fait selon les canons, mais il est selon la nature, dont les lois sont plus anciennes que le concile de Trente.

 

          Est-il vrai que M. le duc de La Vrillière se retire ? j’en serais fâché ; il m’a témoigné en dernier lieu les plus grandes bontés. Ayez celle de me mander si vous voyez déjà des arbres verts aux Tuileries, des fenêtres de votre palais. Je me mets, de ma chaumière, au bout des ailes de mes anges avec effusion de cœur.

 

 

1 – C’est-à-dire au comité d’Argental, composé de cinq personnes. (G.A.)

2 – Neuvième volume des Questions. (G.A.)

3 – Le duc de Choiseul. (G.A.)

4 – Le marquis de Florian, veuf de madame de Fontaine. (G.A.)

5 – Madame Rilliet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

1er Avril 1772 (1).

 

 

          Nos lettres se sont croisées, mon cher ange, ; j’ai à peine un moment pour vous dire qu’on peut tirer un grand parti des deux observations que vous faites, et que M. Duroncel va y travailler aujourd’hui. Il lui semble que le nom de Teucer est bien maigre et bien peu connu, mais que les Lois de Minos sont un titre un peu dangereux, qui donne lieu à des allusions malignes. Il lui semble que l’on peut donner sa petite drôlerie à la rentrée, en disant que ce sont les Guêbres sous un autre nom. C’est le seul moyen de prévenir une édition qu’il sera très difficile d’empêcher. Duroncel met tout entre vos mains et est à vos pieds ;

 

          Je suis fâché de la mort de Duclos (2), et de la mienne qui s’approche ; car, après tout, il est doux de vivre. Je vous supplie de me répondre sur M. d’Albe, pour me rendre la vie plus douce. Mes tendres respects à l’autre ange.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le 26 mars. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

3 Avril 1772.

 

 

          Mes anges ont voulu des changements, les voilà. S’ils n’en sont pas contents, M. Duroncel est homme à en faire d’autres ; c’est un homme très facile en affaires, un peu goguenard, à la vérité, mais dans le fond bon diable.

 

          Il croit que le quinqué se moque de lui, quand le quinqué lui propose de nommer aux premières dignités de la Crète (1). Il dit que c’est au jeune candidat, qui a lu la pièce, à nommer les grands-officiers de la cour de Teucer. C’est à ce jeune candidat qu’on peut transférer l’ancien droit des Guèbres. Songez, au reste, que mon avocat est un pauvre provincial, qui n’a pas la moindre connaissance des tripots de Paris. Amusez-vous ; faites comme il vous plaira. Notre Duroncel dit que, si on ne plaide pas sa cause à Paris, il l’ira plaider à Varsovie, que Teucer est frère de lait de Stanislas Poniatowski, que sûrement Stanislas finira comme Teucer, et que Pharès, évêque de Cracovie, passera mal son temps.

 

          Pour moi, mes anges, je n’entends rien à tout cela. Tout ce que je sais, c’est que si jamais on me soupçonnait de connaître seulement M. Duroncel, je serais sifflé à triple carillon par une armée de Pompignans, de Frérons, de Cléments, et tutti quanti.

 

          Sur ce, j’attends vos ordres, et je vous supplie très instamment d’engager votre ami à mander à M. d’Albe que je lui serai inviolablement attaché jusqu’à mon dernier soupir, tout comme à vous si j’ose le dire.

 

 

1 – Il s’agit de la distribution des rôles des Lois de Minos. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Goldoni.

 

A Ferney, 4 Avril 1772.

 

 

          Un vieux malade de soixante-dix-huit ans, presque aveugle, vient de recevoir par Genève le charmant phénomène d’une comédie française (1) très gaie, très purement écrite, très morale, composée par un Italien. Cet Italien est fait pour donner dans tous les pays des modèles de bon goût. Le vieux malade avait déjà lu cet agréable ouvrage. Il remercie l’auteur avec la plus grande sensibilité, et en sachant pas sa demeure, il adresse sa lettre chez son libraire. Il souhaite à M. Goldoni toutes les prospérités qu’il mérite.

 

 

1 – Le Bourru bienfaisant. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Noverre.

 

A Ferney, 4 Avril 1772.

 

 

          Un vieux malade de soixante-dix-huit ans, qui a presque entièrement perdu la vue, n’en est pas moins sensible, monsieur, à votre mérite et à vos bontés. Il ne verra point ces belles peintures vivantes (1) que votre génie a produites, mais il les admirera toujours.

 

          Il a lu avec un vif intérêt les programmes de vos ballets, et a reçu M. Burcet (2) comme un homme qui venait de votre part. S’il suivait les mouvements de son cœur, il vous dirait plus au long combien il vous estime. Son triste état ne lui permet pas de vous témoigner tous les sentiments qu’il vous doit. VOLTAIRE.

 

 

1 – Ballets de Noverre. (G.A.)

2 – Ou mieux Bursay, auteur dramatique et acteur (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

6 Avril 1772.

 

 

          Mes anges sauront que j’épuise tout mon savoir-faire à suspendre l’édition (1) de la tragédie de notre jeune avocat. Je crois que j’y parviendrai  mais je me flatte que le quinqué, en considération de mes services, pourra faire passer, à la rentrée, le bon homme Teucer subrogé aux droits des Guèbres ; car il me semble qu’on peut céder son droit à qui on veut, et que le tripot est le maître de substituer Crétois à Guèbres, en changeant gué en cré, et bres en tois.

 

          De plus, je ne doute pas que mon avocat, qui plaide pour rien, ne donne à Teucer et à la demoiselle Astérie (2) les émoluments de sa drôlerie. Ils pourraient, sur ce pied-là, s’obstiner à dire : Nous voulons faire le voyage de Crète avant le voyage d’Espagne (3). Don Pèdre se soutiendra toujours par lui-même, mais Teucer a besoin d’un temps favorable. Si cette négociation est trop difficile, il faudrait du moins être sûr qu’il n’y aurait point d’intervalle entre l’Espagne et la Crète. L’avocat demande votre avis sur ce point de droit, comme à un fameux jurisconsulte. Vous savez de quelle docilité il a été dans son factum, et il espère surtout qu’un ancien conseiller de grand’chambre lui sera favorable dans cette conjoncture critique. Voilà tout ce qu’il peut dire à présent pour sa cause. Signé maître DURONCEL, avocat, L’OUVREUR DE LOGE, procureur ; M. D…, rapporteur ; M. de T…, solliciteur.

 

 

1 – Celle de Lyon. (G.A.)

2 – Mademoiselle Vestris. (G.A.)

3 – C’est-à-dire faire jouer les Lois de Minos avant Pierre le Cruel, de du Belloy. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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