CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 21

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE  - Année 1769 - Partie 21

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à M. le comte de Rochefort.

 

Ferney, 3 Juillet 1769.

 

 

          J’ai reçu, monsieur, l’honneur de la vôtre du 25 juin. Je suis bien persuadé que le médecin Bigot (1) vous guérira un jour de cette maladie que vous appelez la Peste (2). Votre tempérament est excellent, et je souhaite passionnément que le médecin s’affectionne à son malade. J’ai reçu quelquefois des lettres de madame Bigot (3), qui ne me paraissait point du tout embarrassée.

 

          A propos de médecin, j’avais écrit il y a deux ans à M. de Sénac, sur les bontés de qui j’ai toujours compté. Il s’agissait d’un jeune homme de mes parents, mousquetaire du roi, à qui on avait fait une opération bien douloureuse. M. de Sénac me manda qu’il ne croyait pas qu’il y eût de remède ; il ne s’est pas trompé : le jeune homme est mort dans de cruelles douleurs.

 

          Vous voyez donc quelquefois M. le duc de La Vallière ? C’est un des plus aimables hommes du monde, et qui ne laisse pas d’être philosophe. Je ne lui écris point du fond de ma solitude, mais je lui suis toujours très tendrement attaché.

 

          Je voudrais bien, monsieur, que vous fussiez chef de brigade dans la compagnie Ecossaise (4) ; celui qui la commande n’est pas fier comme un Ecossais ; mais heureux les Français qui lui ressemblent un peu ; on n’a point plus d’esprit et de raison. Je ne connais point les lettres hébraïques ; mais selon ce que vous me mandez, il n’y a qu’à faire lire la Bible à l’auteur pour y répondre. L’impotent convulsionnaire a mal pris son temps pour faire opérer sur lui un miracle ; la mode en est passée, le pauvre homme est venu trop tard.

 

          Je suis bien fâché que la famille de ce pauvre Morsan (5) soit si impitoyable. Il faut espérer que sa bonne conduite et le temps adouciront ses malheurs et le cœur de ses parents. Je lui ai dit, monsieur, de quelles bontés vous l’avez honoré ; il y est sensible comme il le doit : je vous présente ses très humbles remerciements et les miens.

 

          Je viens de lire l’histoire (6) dont vous me faites l’honneur de me parler. Elle est sûrement d’un jeune homme qui quelquefois a été assez modeste pour imiter mon style ; on m’a dit que c’est un jeune maître des requêtes ; mais je n’en crois rien. Quoiqu’il en soit, ceux qui m’imputent cet ouvrage sont bien injustes. Il est évident que l’auteur a fouillé dans de vieilles archives dont je ne puis avoir la moindre connaissance, étant hors de Paris depuis plus de vingt ans. Ainsi, loin de prétendre que l’auteur a dit ce que d’autres avaient rapporté avant lui, il faut avouer au contraire qu’il a avancé des choses que personne n’avait jamais dites ; comme, par exemple, les emprunts de Louis XII et de François Ier. Cela ne se peut trouver que dans des registres que je n’ai jamais vus. D’ailleurs, je trouve que sur la fin il y a des expressions très peu mesurées. M. de Bruguières (7) est fort méchant et fort dangereux. Je compte bien que vous aurez la bonté, ainsi que M. d’Alembert, de confondre la calomnie qui a la cruauté de m’imputer un tel ouvrage.

 

          Vous connaissez mon très tendre attachement, qui ne finira qu’avec ma vie.

 

 

1 – M. le duc de Choiseul. (G.A.)

2 – Le duc de Villeroi, capitaine des gardes du corps. (G.A.)

3 – Madame la duchesse du Choiseul. (G.A.)

4 – Première compagnie des gardes du corps, à la tête de laquelle était le duc de Noailles. (G.A.)

5 – Le frère de madame de Sauvigny. (G.A.)

6 – L’Histoire du Parlement. (G.A.)

7 – Le parlement de Paris. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, lundi 3 Juillet 1769.

 

 

          L’ermite de Ferney se laisse aller demain mardi à une horrible débauche. Il a l’audace de donner à dîner à un jeune antiquaire qui lui a paru très aimable. M. Hennin veut-il, en cette qualité, nous honorer de sa présence, et dire ce qu’il pense des ruines de Palmyre ? Le solitaire lui montrera une belle médaille moderne (1) ; il jugera si elle est digne de l’antiquité. Ledit solitaire lui présente son très humble respect.

 

 

1 – Celle de l’amiral Anson. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

5 Juillet 1769 (1).

 

 

          Mon cher ami, mon cher philosophe, vos lettres valent beaucoup mieux que tous les rogatons que je vous ai envoyés. J’aurais dû être un peu moins votre bibliothécaire, et un peu plus votre correspondant. Je serais bien curieux de savoir la vérité de l’histoire de votre médecin italien : j’ai peur qu’il ne soit doublement charlatan. S’il lui prenait fantaisie de voir Genève, je vous avoue que je serais curieux de m’entretenir avec lui.

 

          Je ne sais pas trop ce que sera le cordelier Ganganelli ; tout ce que je sais, c’est que le cardinal de Bernis l’a nommé pape, et que par conséquent ce ne sera pas un Sixte-Quint. C’est bien dommage, comme vous le dites, qu’on ne nous ait pas donné un brouillon. Il nous fallait un fou, et j’ai peur qu’on ne nous ait donné un homme sage. Plût à Dieu qu’il ressemblât au pontife de la tragédie que je vous envoie ! Les abus ne se corrigent que quand ils sont outrés. Je vous demande en grâce de ne montrer cette tragédie à personne avant de m’en avoir dit votre avis. Elle ne sera pas jouée sans doute ; car les magistrats ne sont pas encore assez raisonnables, et il n’y a point d’acteurs. Tout tombe en décadence, excepté l’opéra-comique qui soutient la gloire de la patrie.

 

          Adieu, mon cher ami ; dites-moi votre avis, gardez-moi le secret et aimez-moi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

A Ferney, ce 5 Juillet 1769 (1).

 

 

          Vous savez, monsieur, que, vers la fin de l’année passée, il parut une brochure intitulée : Examen de la nouvelle Histoire d’Henri IV par M. le marquis de B***.

 

          On est inondé de brochures en tout genre ; mais celle-ci se distinguait par un style brillant, quoiqu’un peu inégal. Le titre porte qu’elle avait été lue dans une séance d’Académie, et cela était vrai. De plus, tout ce qui regarde l’histoire de France intéresse tous ceux qui veulent s’instruire, et ce qui concerne Henri IV est très précieux. On traitait, dans cet écrit, plusieurs points d’histoire qui avaient été jusqu’ici assez inconnus.

 

          1°/ On y assurait que le pape Grégoire XIII n’avait pas reconnu la légitimité du mariage de Jeanne d’Albret et d’Antoine de Bourbon, père d’Henri IV ;

 

          2°/ Que cette même Jeanne d’Albret avait pris la qualité de majesté fidélissime ;

 

          3°/ On affirmait que Marguerite de Valois eut en dot les sénéchaussées de Quercy et de l’Agénois, avec le pouvoir de nommer aux évêchés et aux abbayes de ces provinces.

 

          Il y avait beaucoup d’anecdotes très curieuses, mais dont la plupart se sont trouvées fausses par l’examen que M l’abbé Boudot en a bien voulu faire.

 

          Ce qui me choqua le plus dans cette critique fut l’extrême injustice avec laquelle on y censure l’ouvrage très utile et très estimable de M. le président Hénault. Ce fut pour moi, vous le savez, monsieur, une affliction bien sensible quand vous m’apprîtes que plusieurs personnes me faisaient une injustice encore plus absurde, en m’attribuant cette même critique, dans laquelle il y a des traits contre moi-même. Je demandai la permission à M. le président Hénault de réfuter cet ouvrage, et je priai M. l’abbé Boudot, par votre entremise, de consulter les manuscrits de la Bibliothèque du roi sur plusieurs articles. Il eut la complaisance de me faire parvenir quelques instructions ; mais le nombre des choses qu’il fallait éclaircir était si considérable, et cette critique fut bientôt tellement confondue dans la foule des ouvrages de peu d’étendue, qui n’ont qu’un temps, enfin je tombai si malade, que cette affaire s’évanouit dans les délais.

 

          Elle me semble aujourd’hui se renouveler par une nouvelle Histoire du Parlement, qu’on m’attribue. Je n’en connais d’autre que celle de M. Le Page (2) avocat à Paris divisée en plusieurs lettres, et imprimée sous le nom d’Amsterdam en 1754.

 

          Pour composer un livre utile sur cet objet, il faut avoir fouillé, pendant une année entière au moins, dans les registres ; et quand on aura percé dans cet abîme, il sera bien difficile de se faire lire. Un tel ouvrage est plutôt un long procès-verbal qu’une histoire.

 

          Si quelque libraire veut faire passer cet ouvrage sous mon nom, je lui déclare qu’il n’y gagnera rien, et que, loin que mon nom lui fasse vendre un exemplaire de plus, il ne servirait qu’à décréditer son livre. Il y aurait de la folie à prétendre que j’ai pu m’instruire des formes judiciaires de France et rassembler un fatras énorme de dates, moi qui suis absent de France depuis plus de vingt années et qui ai presque toujours vécu, avant ce temps, loin de Paris à la campagne, uniquement occupé d’autres objets.

 

          Au reste, monsieur, si on voulait recueillir tous les ouvrages qu’on m’impute, et les mettre avec ceux qu’on a écrits contre moi, cela formerait cinq à six cents volumes, dont aucun ne pourrait être lu, Dieu merci.

 

          Il est très inutile encore de se plaindre de cet abus, car les plaintes tombent dans le gouffre éternel de l’oubli avec les livres dont on se plaint. La multitude des ouvrages inutiles est si immense, que la vie d’un homme ne pourrait suffire à en faire le catalogue.

 

          Je vous prie, monsieur, de vouloir bien permettre que ma lettre soit publique pour le moment présent, car le moment d’après on ne s’en souviendra plus ; il en est ainsi de presque toutes les choses de ce monde.

 

 

1 – Cette lettre parut dans le Mercure. (G.A.)

2 – Ou mieux Lepaige. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

7 Juillet 1769.

 

 

          Rien n’est plus sûr, mon cher ange, que les lettres de Lyon ; vous pouvez d’ailleurs les adresser à M. La Vergne, banquier, ou à M. Scherer, aussi banquier, tantôt l’un, tantôt l’autre. Cela est inviolable et inviolé, et je vous en réponds sur ma vieille petite tête.

 

          Permettez-moi de réfuter quelques petits paragraphes de votre exhortation du 29 de juin, en me soumettant à beaucoup de points. Les Sermons du P. Massillon sont un des plus agréables ouvrages que nous ayons dans notre langue. J’aime à me faire lire à table ; les anciens en usaient ainsi, et je suis très ancien. Je suis d’ailleurs un adorateur très zélé de la Divinité ; j’ai toujours été opposé à l’athéisme ; j’aime les livres qui exhortent à la vertu, depuis Confucius jusqu’à Massillon ; et sur cela on n’a rien à me dire qu’à m’imiter. Si tous les conseils des rois de l’Europe étaient assemblés pour me juger sur cet article, je leur tiendrais le même langage, et je leur conseillerais la lecture à dîner, parce qu’il en reste toujours quelque chose, et qu’il ne reste rien du tout des propos frivoles qu’on tient dans ces repas, tant à Rome qu’à Paris.

 

          Quant à l’Histoire dont vous me parlez, mon cher ange, il est impossible que j’en sois l’auteur ; elle ne peut être que d’un homme qui a fouillé deux ans de suite dans des archives poudreuses. J’ai écrit sur cette petite calomnie, qui est environ la trois centième, une lettre à M. Marin, pour être mise dans le Mercure, qui commence à prendre beaucoup de faveur. Je sais, à n’en pouvoir douter, que cet ouvrage n’a pas été imprimé à Genève, mais à Amsterdam, et qu’il a été envoyé de Paris. Je sais encore qu’on en a fait deux éditions nouvelles avec additions et corrections ; car je suis fort au fait de la librairie étrangère.

 

          Il est bon, mon cher ange, que l’on fasse imprimer, sans délai, jour et nuit, sans perdre un moment, ces Guèbres sur lesquels je pense précisément comme vous. On me les a dédiés dans le pays étranger, et on me loue, dans l’épître, d’aimer passionnément la tolérance et de respecter beaucoup la religion ; cela fait toujours plaisir.

 

          On a fait deux nouvelles éditions du Siècle de Louis XIV et de Louis XV. On m’a envoyé d’Angleterre une belle médaille d’or de l’amiral Anson, en signe de reconnaissance du bien que j’ai dit de ce grand homme, avec la vérité dont je suis assez partisan.

 

          On dit que nous allons avoir une petite histoire de la guerre de Corse. Je suis bien fâché que M. de Chauvelin n’ait pas été à la place de M. de Vaux. Vous ne sauriez croire quelle considération le ministère de France a chez l’étranger, ou plutôt vous le savez mieux que moi. Faire un pape, gouverner Rome, prendre un royaume en vingt jours, ce ne sont pas là des bagatelles.

 

          Tout languissant et tout mourant que je suis, je pourrais bien ajouter un chapitre (1) au Siècle de Louis XV.

 

          Je prends la plume, mon cher ange pour vous dire que j’ai su que vous cherchiez quelque argent. Je n’ai actuellement que dix mille francs dont je puisse disposer à Paris ; les voilà. Agréez le denier de la veuve. Je suis très affligé du dérangement de la santé de madame d’Argental. Dites-moi de ses nouvelles, je vous en conjure.

 

          N’admirez-vous pas comme j’écris lisiblement quand j’ai une bonne plume ? A l’ombre de vos ailes, mes anges.

 

 

1 – Le chapitre XL (De la Corse). (G.A.)

 

 

 

 

 

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