CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1769 - Partie 17

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à M. M***.

 

 

 

          Je ne sais point mauvais gré à ceux qui m’ont fait parler saintement dans un style si barbare et si impertinent. Ils ont pu mal exprimer mes sentiments véritables ; ils ont pu redire dans leur jargon ce que j’ai publié si souvent en français ; ils n’en ont pas moins exprimé la substance de mes opinions. Je suis d’accord avec eux ; je m’unis à leur foi ; mon zèle éclairé seconde leur zèle ignorant  je me recommande à leurs prières savoyardes. Je supplie humblement les faussaires qui ont fait rédiger l’acte du 15 avril de vouloir bien considérer qu’il ne faut jamais faire d’actes faux en faveur de la vérité. Plus la religion catholique est vraie (comme tout le monde le sait), moins on doit mentir pour elle. Ces petites libertés trop communes autoriseraient d’autres impostures plus funestes ; bientôt on se croirait permis de fabriquer de faux testaments de fausses donations, de fausses accusations, pour la gloire de Dieu. De plus horribles falsifications ont été employées autrefois.

 

          Quelques-uns de ces prétendus témoins ont avoué qu’ils avaient été subornés, mais qu’ils avaient cru bien faire. Ils ont signé qu’ils n’avaient menti qu’à bonne intention.

 

          Tout cela s’est opéré charitablement, sans doute à l’exemple des rétractations imputées à MM. de Montesquieu, de La Chalotais, de Monclar, et de tant d’autres. Ces fraudes pieuses sont à la mode depuis environ seize cents ans. Mais quand cette bonne œuvre va jusqu’au crime de faux, on risque beaucoup dans ce monde, en attendant le royaume des cieux.

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse de Choiseul.

 

Lyon, 24 Mai, en ma boutique.

 

 

          Madame, aujourd’hui il est venu vingt personnes dans ma boutique, qui, en parlant toutes ensemble, selon la coutume, criaient : Nous sommes à Corte (1), et il triomphera de tout. Je leur dis : Je ne sais pas ce que c’est que Corte.

 

Ma benche fossi guardian deglitorti,

Vidi e conobbi pur l’inique corti.

 

LE TASSE, Ger., VII.

 

          Je vous dis, me répliquèrent-ils, qu’il sera appelé Corsicus, en dépit de l’envie. Je n’entends rien à tout cela, madame ; mais j’ai cru devoir vous en donner avis, à cause de la grande joie dont j’ai été témoin, et à cause que j’ai l’honneur d’être par hasard votre typographe, me signant avec un profond respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur. GUILLEMET.

 

 

1 – Ville de Corse. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Chabanon.

 

26 Mai 1769 (1).

 

 

          Vraiment, mon cher ami, cette scène était nécessaire ; elle doit faire un grand effet, elle justifie l’impératrice. Peut-être, quand il s’agira de la faire jouer, ajouterez-vous encore quelques nuances dans les caractères d’Eudoxie, de Maxime et de l’ambassadeur. Ce sont ces nuances délicates qui assurent le succès. Vous joindrez de nouveaux détails à ceux qui font déjà le mérite de la pièce. Je suis persuadé qu’en y consacrant à votre loisir quelques matinées, vous en ferez un ouvrage qui restera au théâtre.

 

          Votre divertissement pour les écoles gratuites est non seulement d’un bon citoyen, mais d’un très aimable poète.

 

          La petite et honnête correction est très justement adressée à l’abbé Foucher. Plût à Dieu que je n’eusse à combattre que des antiquaires ! Les dévots sont plus à craindre. Il y a des Troyens qui forcent quelquefois les Grecs à jouer le rôle de Sinon. Vive memor meî.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Vasselier.

 

28 Mai 1769 (1).

 

 

          Votre bibliothécaire, monsieur, présume que le paquet contient un A B C, et qu’il n’y a nul risque avec ces trois premières lettres de l’alphabet Il est à croire qu’on a trouvé le paquet trop cher. J’ai toujours été étonné que les intendants des postes n’aient pas mis un taux modéré aux paquets considérables ; il me semble qu’en diminuant le prix, ils auraient eu un plus grand avantage.

 

          Je prie le premier courrier qui ira à Rome de demander pour moi la bénédiction à Ganganelli. Ce nom me paraît tiré de la comédie italienne.

 

          N’avez-vous pas reçu d’Amsterdam le Cri des Nations ? M. Tabareau est-il à sa jolie maison de campagne ? Je m’intéresse plus à vous et à lui qu’à Ganganelli. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

29 Mai 1769.

 

 

          Vous saurez mon ancien ami, que le jeune magistrat attendait le livre de l’abbé de Châteauneuf (1) pour faire une préface dans laquelle il voulait faire connaître le caractère de la célèbre Ninon, que Préville ne connaît point du tout. Je l’avais flatté que ce petit livre pourrait venir par la poste ; mais comme vous l’avez envoyé par les voitures publiques, il n’arrivera que dans trois semaines. Je n’en suis point fâché ; l’auteur aura tout le temps de limer son ouvrage, qu’il veut intituler le Dépositaire, et non pas Ninon, parce qu’en effet le dépôt fait par Gourville à un dévot est le principal sujet de sa pièce, et tout le reste paraît accessoire.

 

          Il est vrai que l’ouvrage n’est pas dans le goût moderne, et je craindrais même que la passion de boire, qui était autrefois un goût du bel air, et qui est aujourd’hui hors de mode, ne parût insipide. J’ai pris la liberté de dire à l’auteur qu’un tel rôle ne peut réussir que quand il est supérieurement joué, et je l’ai engagé à livrer sa pièce à l’impression plutôt qu’au théâtre. Il vous l’enverra donc dès qu’il y aura mis la dernière main, et vous en ferez tout ce qu’il vous plaira. Quoique l’on soit aujourd’hui très sévère, et qu’on s’effarouche de tout ce qui aurait passé sans difficulté du temps de Molière, je crois que vous obtiendrez aisément une permission. Il est plus aisé à présent d’être imprimé que d’être joué.

 

          S’il y a quelques nouvelles dans la littérature, je me flatte que vous m’en donnerez. Je ne crois pas que vous soyez au fait de ce qu’on imprime en Hollande. Marc-Michel Rey au fait de ce qu’on imprime en Hollande. Marc-Michel Rey a donné une Histoire du Parlement de Paris, que les connaisseurs jugent fidèle et impartiale. Connaissez-vous le Cri des Nations ? Avez-vous entendu parler des aventures d’un Indien et d’une Indienne (2) mis à l’inquisition à Goa du temps de Léon X, et conduits à Rome pour être jugés ? Il y a dans cet ouvrage une comparaison continuelle de la religion et des mœurs des brames avec celles de Rome. L’ouvrage m’a paru un peu libre, mais curieux, naïf, et intéressant. Il est écrit en forme de lettres dans le goût de Paméla. Le titre est Lettres d’Amabed et d’Adaté. Mais dans les six tomes de Paméla il n’y a rien : ce n’est qu’une petite fille qui ne veut pas coucher avec son maître, à moins qu’il ne l’épouse ; et les Lettres d’Amabed sont le tableau du monde entier, depuis les rives du Gange jusqu’au Vatican.

 

          Adieu, mon ancien ami, qui êtes mon cadet de plusieurs années ; votre vieil ami vous embrasse.

 

 

1 – Dialogue sur la musique des anciens. (G.A.)

2 – Lettres d’Amabed. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Beaumont-Jacob.

 

A Ferney, 29 Mai (1).

 

 

          Je vous prie, monsieur, de vouloir bien tenir prêts vingt mille francs, que je dois payer à M de La Borde le 20 juin préfix. Je lui envoie une lettre de change de cette somme sur vous. Je compte en remettre une plus considérable entre vos mains, au mois d’août.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Beaumont-Jacob.

 

A Ferney, 29 Mai 1769.

 

 

 

          Il est très égal pour moi, monsieur, que M. de La Borde tire sur vous les vingt mille livres ou que vous les lui fassiez tenir à Paris. Vous ne feriez pas mal de lui en écrire ; cette correspondance pourrait vous être utile.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

2 Juin 1769 (1).

 

 

          J’ai reçu, monsieur, les truffes que vous avez eu la bonté de m’envoyer : vous ne sauriez croire combien je suis sensible à cette marque d’amitié ; elles sont très bonnes et très bien choisies. Je vous demande en grâce, mon cher marquis, de n’en envoyer à Paris que lorsque j’irai y faire un petit tour pour un mal dangereux dont je suis attaqué.

 

          Je vous ai écrit quelquefois par madame de Modant ; il y a deux paquets assez gros qu’elle n’a pas probablement voulu recevoir, et qui ont été renvoyés à Lyon, d’où ils étaient partis.

 

          C’est bien pis encore, quand il faut que les paquets passent par Paris. Je comptais vous envoyer des étoffes ; mais je ne sais plus comment m’y prendre. Tout ce que je sais, c’est que je vous aimerai jusqu’à la fin de ma vie.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame d’Épinay.

 

4 Juin 1769.

 

 

          Je ne puis dire autre chose à ma philosophe que ce que j’écris (1) à mon philosophe d’Alembert. Je voudrais que tous ceux qui pensent pussent faire un peuple à part, et n’eussent jamais rien de commun avec la canaille idiote, fanatique, persécutante, fourbe, atroce, ennemie du genre humain.

 

          Je suis bien malade, madame, et d’une faiblesse extrême. Un homme tel que M. le comte de Schomberg sera ma consolation ; je n’ai pas tous les jours de pareilles aubaines. Loin de gêner un pauvre malade, il lui fera oublier tous ses maux.

 

          Puisque les lettres au prophète de Bohême sont exactement rendues à ma philosophe, on ne manquera pas d’adresser quelques paquets à M. de Fontaine.

 

          Mille tendres respects.

 

Et les chiens s’engraisseront

De ce sang qu’ils lècheront (2).

 

 

1 – Le même jour. (G.A.)

2 – Voyez Saül, act. IV, sc. V. (G.A.)

 

 

 

 

 

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