JUGEMENT - VIE DE MOLIÈRE - Partie 8

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JUGEMENT - VIE DE MOLIÈRE - Partie 8

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JUGEMENTS SUR MOLIÈRE, CRÉBILLON, SHAKESPEARE,

BOILEAU, LA FONTAINE, MADAME DU CHÂTELET, FRÉDÉRIC II,

HELVÉTIUS, LOUIS RACINE, J.B.-ROUSSEAU, DESFONTAINES.

 

 

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VIE DE MOLIÈRE,

 

AVEC DES JUGEMENTS SUR SES OUVRAGES.

 

 

 

- Partie 8 -

 

 

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LES FOURBERIES DE SCAPIN.

 

Comédie en prose et en trois actes, représentée sur le

théâtre du Palais-Royal le 24 (1) mai 1671.

 

 

 

          Les Fourberies de Scapin sont une de ces farces que Molière avait préparées en province. Il n’avait pas fait scrupule d’y insérer deux scènes entières du Pédant joué, mauvaise pièce de Cyrano de Bergerac. On prétend que, quand on lui reprochait ce plagiat, il répondait : « Ces deux scènes sont assez bonnes ; cela m’appartenait de droit ; il est permis de reprendre son bien partout où on le trouve. »

 

          Si Molière avait donné la farce des Fourberies de Scapin pour une vraie comédie, Despréaux aurait eu raison de dire dans son Art poétique :

 

C’est par là que Molière, illustrant ses écrits,

Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures,

Il n’eût pas fait souvent grimacer ses figures,

Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin,

Et sans honte à Térence allié Tabarin.

Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,

Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

 

          On pourrait répondre à ce grand critique que Molière n’a point allié Térence avec Tabarin dans ses vraies comédies, où il surpasse Térence ; que s’il a déféré au goût du peuple, c’est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique, et que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe.

 

          Molière ne pensait pas que les Fourberies de Scapin et le Mariage forcé valussent l’Avare, le Tartufe, le Misanthrope, les Femmes savantes, ou fussent même du même genre. De plus, comment Despréaux peut-il dire que « Molière peut-être de son art eût remporté le prix ? » Qui aura donc ce prix si Molière ne l’a pas ?

 

 

1 – Ou plutôt le 21. (G.A.)

 

 

 

 

 

PSYCHÉ.

 

Tragédie-ballet en vers livres et en cinq actes, représentée

devant le roi, dans la salle des machines du palais des

Tuileries, en janvier et durant le carnaval de l’année 1670,

et donnée au public sur le théâtre du Palais-Royal en 1671.

 

 

 

          Le spectacle de l’Opéra, connu en France sous le ministère du cardinal Mazarin, était tombé par sa mort. Il commençait à se relever. Perrin, introducteur des ambassadeurs chez Monsieur, frère de Louis XIV, Cambert, intendant de la musique de la reine-mère, et le marquis de Sourdéac, homme de goût, qui avait du génie pour les machines, avaient obtenu, en 1669, le privilège de l’Opéra ; mais ils ne donnèrent rien au public qu’en 1671. On ne croyait pas alors que les Français pussent jamais soutenir trois heures de musique, et qu’une tragédie toute chantée pût réussir. ? On pensait que le comble de la perfection est une tragédie déclamée, avec des chants et des danses dans les intermèdes. On ne songeait pas que si une tragédie est belle et intéressante, les entr’actes de musique doivent en devenir froids, et que si les intermèdes sont brillants, l’oreille a peine à revenir tout d’un coup du charme de la musique à la simple déclamation. Un ballet peut délasser dans les entr’actes d’une pièce ennuyeuse ; mais une bonne pièce n’en a pas besoin, et l’on joue Athalie sans les chœurs et sans la musique. Ce ne fut que quelques années après que Lulli et Quinault nous apprirent qu’on pouvait chanter toute une tragédie, comme on faisait en Italie, et qu’on la pouvait même rendre intéressante, perfection que l’Italie ne connaissait pas.

 

          Depuis la mort du cardinal Mazarin, on n’avait donc donné que des pièces à machines avec des divertissements en musique, telles qu’Andromède et la Toison d’or. On voulut donner au roi et à la cour, pour l’hiver de 1670, un divertissement dans ce goût, et y ajouter des danses. Molière fut chargé du sujet de la fable le plus ingénieux et le plus galant, et qui était alors en vogue par le roman aimable, quoique beaucoup trop allongé, que La Fontaine venait de donner en 1669.

 

          Il ne put faire que le premier acte, la première scène du second, et la première du troisième ; le temps pressait : Pierre Corneille se chargea du reste de la pièce ; il voulut bien s’assujettir au plan  d’un autre, et ce génie mâle, que l’âge rendait sec et sévère, s’amollit pour plaire à Louis XIV. L’auteur de Cinna fit à l’âge de soixante-sept ans cette déclaration de Psyché à l’Amour, qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au théâtre.

 

          Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault. Lulli composa les airs. Il ne manquait à cette société de grands hommes que le seul Racine, afin que tout ce qu’il y eut jamais de plus excellent au théâtre se fût réuni pour servir un roi qui méritait d’être servi par de tels hommes.

 

          Psyché n’est pas une excellente pièce, et les derniers actes en sont très languissants ; mais la beauté du sujet, les ornements dont elle fut embellie, et la dépense royale qu’on fit pour ce spectacle, firent pardonner ses défauts.

 

 

 

 

 

LES FEMMES SAVANTES.

 

Comédie en vers et en cinq actes, représentée sur le théâtre

du Palais-Royal le 11 mars 1672.

 

 

 

          Cette comédie, qui est mise par les connaisseurs dans le rang du Tartufe et du Misanthrope, attaquait un ridicule qui ne semblait propre à réjouir ni le peuple ni la cour, à qui ce ridicule paraissait être également étranger. Elle fut reçue d’abord assez froidement ; mais les connaisseurs rendirent bientôt à Molière les suffrages de la ville ; et un mot du roi lui donna ceux de la cour. L’intrigue, qui en effet a quelque chose de plus plaisant que celle du Misanthrope, soutint la pièce longtemps.

 

          Plus on la vit, plus on admira comment Molière avait pu jeter tant de comique sur un sujet qui paraissait fournir plus de pédanterie que d’agrément. Tous ceux qui sont au fait de l’histoire littéraire de ce temps-là, savent que Ménage y est joué sous le nom de Vadius, et que Trissotin est le fameux abbé Cotin, si connu par les satires de Despréaux. Ces deux hommes étaient, pour leur malheur, ennemis de Molière ; ils avaient voulu persuader au duc de Montausier que le Misanthrope était fait contre lui ; quelque temps après ils avaient eu chez Mademoiselle, fille de Gaston de France, la scène que Molière a si bien rendue dans les Femmes savantes. Le malheureux Cotin écrivait également contre Ménage, contre Molière, et contre Despréaux : les satires de Despréaux l’avaient déjà couvert de honte ; mais Molière l’accabla. Trissotin était appelé aux premières représentations Tricotin. L’acteur qui le représentait avait affecté, autant qu’il l’avait pu, de ressembler à l’original par la voix et par les gestes. Enfin, pour comble de ridicule, les vers de Trissotin, sacrifiés sur le théâtre à la risée publique, étaient de l’abbé Cotin même. S’ils avaient été bons, et si leur auteur avait valu quelque chose, la critique sanglante de Molière et celle de Despréaux ne lui eussent pas ôté sa réputation. Molière lui-même avait été joué aussi cruellement sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, et n’en fut pas moins estimé : le vrai mérite résiste à la satire. Mais Cotin était bien loin de se pouvoir soutenir contre de telles attaques  on dit qu’il fut si accablé de ce dernier coup, qu’il tomba dans une mélancolie qui le conduisit au tombeau. Les satires de Despréaux coûtèrent aussi la vie à l’abbé Cassaigne : triste effet d’une liberté plus dangereuse qu’utile, et qui flatte plus la malignité humaine qu’elle n’inspire le bon goût.

 

          La meilleure satire qu’on puisse faire des mauvais poètes, c’est de donner d’excellents ouvrages ; Molière et Despréaux n’avaient pas besoin d’y ajouter es injures (1)

 

 

1 – Ce passage est bien de 1739. Voltaire alors était en butte aux traits de Desfontaines et de J.B. – Rousseau. (G.A.)

 

 

 

 

 

LA COMTESSE D’ESCARBAGNAS.

 

Petite comédie en un acte et en prose, représentée

devant le roi, à Saint-Germain, en février 1672, et à

Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 8 juillet de la

même année.

 

 

 

          C’est une farce, mais toute de caractères, qui est une peinture naïve, peut-être en quelques endroits trop simple, des ridicules de la province ; ridicules dont on s’est beaucoup corrigé à mesure que le goût de la société et la politesse aisée qui règne en France se sont répandus de proche en proche.

 

 

 

 

 

LE MALADE IMAGINAIRE.

 

En trois actes, avec des intermèdes, fut représenté

sur le théâtre du Palais-Royal le 10 février 1673.

 

 

 

 

          C’est une de ces farces de Molière dans laquelle on trouve beaucoup de scènes dignes de la haute-comédie. La naïveté, peut-être poussée trop loin, en fait le principal caractère. Ses farces ont le défaut d’être quelquefois un peu trop basses, et ses comédies, de n’être pas toujours assez intéressantes : mais, avec tous ces défauts-là, il sera toujours le premier de tous les poètes comiques. Depuis lui, le théâtre français s’est soutenu, et même a été asservi à des lois de décence plus rigoureuses que du temps de Molière. On n’oserait aujourd’hui hasarder la scène où le tartufe presse la femme de son hôte ; on n’oserait se servir des termes de fils de putain, de carogne, et même de cocu ; la plus exacte bienséance règne dans les pièces modernes. Il est étrange que tant de régularité n’ait pu laver encore cette tâche, qu’un préjugé très injuste attache à la profession de comédien. Ils étaient honorés dans Athènes, où ils représentaient de moins bons ouvrages. Il y a de la cruauté à vouloir avilir des hommes nécessaires à un Etat bien policé, qui exercent, sous les yeux des magistrats, un talent très difficile et très estimable ; mais c’est le sort de tous ceux qui n’ont que leur talent pour appui, de travailler pour un public ingrat.

 

          On demande pourquoi Molière ayant autant de réputation que Racine, le spectacle cependant est désert quand on joue ses comédies, et qu’il ne va presque plus personne à ce même Tartufe qui attirait autrefois tout Paris, tandis qu’on court encore avec empressement aux tragédies de Racine, lorsqu’elles sont bien représentées ? C’est que la peinture de nos passions nous touche encore davantage que le portrait de nos ridicules ; c’est que l’esprit se lasse des plaisanteries, et que le cœur est inépuisable. L’oreille est aussi plus flattée de l’harmonie des beaux vers tragiques et de la magie étonnante du style de Racine, qu’elle ne peut l’être du langage propre à la comédie ; ce langage peut plaire, mais il ne peut jamais émouvoir, et l’on ne vient au spectacle que pour être ému.

 

          Il faut encore convenir que Molière, tout admirable qu’il est dans son genre, n’a ni des intrigues assez attachantes, ni des dénouements assez heureux : tant l’art dramatique est difficile !

 

 

 

 

 

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